Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'Algérie à l'ère des ayatollahs

par Abed Charef

Le gaz de schiste suscite la controverse. Les Etats-Unis sont pour, la France contre. Et l'Algérie ? Ni pour, ni contre. Elle risque d'attendre la fatwa que dictera le pot-de-vin.

La première fatwa, de type chiite, est venue du mollah George Bush. Appuyée par l'école pétrolière du Texas, elle a été prononcée au lendemain des attentats du 11 septembre. Elle était dictée par un besoin considéré comme vital pour l'économie américaine : assurer l'indépendance des Etats-Unis dans le domaine de l'énergie.

Au moment où la fatwa était prononcée, elle paraissait utopique, voie absurde, au vu des données du marché de l'époque. Les Etats-Unis importaient alors près 60% de leur consommation en pétrole, un chiffre qui a atteint ensuite un pic de 66% en 2006. Il était même question d'une possible pénurie de gaz si le pays n'arrivait pas à importer en quantité suffisante. Le monde s'agitait alors autour d'un concept à la mode, le fameux « peak oil », ce moment où le monde aurait atteint un niveau de production maximal de pétrole, pour voir ensuite la production baisser de manière irrémédiable.

Cette fatwa a débouché sur deux bouleversements majeurs. Le premier consistait à rendre le gaz de schiste, ainsi que l'ensemble des énergies non conventionnelles, « halal ». Les protestations des écologistes ont été balayées d'un revers de la main. Les critiques étaient ignorées, étouffées sous les décombres des tours jumelles. Les compagnies pétrolières découvraient, de leur côté, un formidable gisement, qui allait leur permettre de pousser en avant une recherche destinée à contourner les difficultés qui entravaient encore l'exploitation du gaz et du pétrole de schiste.

Le second bouleversement a concerné les prix des hydrocarbures. Le pétrole à vingt dollars le baril est mort, pour laisser place à un baril à cent dollars. Le pétrole de l'Alaska, celui du pôle nord, ou encore celui emprisonné dans de petites poches, par petites quantités au Nebraska ou au Montana, devait à assurer des bénéfices à ceux qui l'exploitent pour pousser le monde entier à forer là où une odeur d'huile était reniflée.

Au bout d'une décennie, le résultat est spectaculaire. Les Etats-Unis sont redevenus un producteur de pétrole important, et envisagent désormais de redevenir autonomes à l'horizon 2020, lorsque leur production atteindra le niveau de celle de l'Arabie Saoudite. Entre 2008 et 2012, l'augmentation est de 24%. Comme, dans le même temps, la consommation a baissé, sous l'effet de la crise et des économies d'énergie, la dépendance des Etats-Unis envers les importations est repassée sous le seuil des 50%. A terme, probablement avant 2020, les Etats-Unis pourraient se passer complètement du pétrole du Proche-Orient, pour peu que la production du Canada et du Venezuela tienne ses promesses.

En ce sens, le gaz de schiste pourrait bouleverser la géopolitique au niveau mondial. En redevant autonomes dans le domaine de l'énergie, les Etats-Unis peuvent se montrer moins présents dans des régions où leur influence est traditionnellement dominante. Au Proche-Orient, leur poids risque de devenir moins écrasant. Ce qui obligera l'Europe, la Chine et le Japon à se montrer plus présents pour assurer leur approvisionnement en énergie.

La seconde fatwa, d'obédience sunnite, a été prononcée par l'ayatollah Nicolas Sarkozy, et maintenue par l'imam François Hollande. Elle a déclaré illicite l'exploitation du gaz de schiste en France.

Comment expliquer ce choix convergent entre deux hommes politiques que tout séparait ? Nicolas Sarkozy voulait apparemment séduire l'électorat écologique, espérant qu'un basculement de un pour cent des électeurs serait suffisant pour lui assurer sa réélection. François Hollande a, quant à lui, été contraint d'appliquer un accord avec les verts, nécessaire pour garantir le succès de la gauche aux présidentielles.

NOUVEAUX IMAMS EN COMPETITION

Mais au-delà, des spécialistes algériens ?oui, ils existent-, rappellent aussi que la France est l'un des leaders mondiaux du nucléaire, qui lui assure une énergie à très bas prix. Les lobbies du nucléaire ne veulent pas leur quasi-monopole électrique soit concurrencé en France même par d'autres sources d'énergie, au moment où ils éprouvent de sérieuses difficultés à exporter leur savoir-faire, pourtant reconnu.

Entre ces deux fatwas, que fait l'Algérie ? Elle édicte une troisième fatwa, ni chiite ni sunnite, une fatwa complètement farfelue, digne de Cheikh Chemseddine. Elle décide, en catimini, de se lancer dans l'exploration, mais sans le dire, en s'associant avec des compagnies venant de pays où l'exploitation de gaz de schiste est interdite ! Autrement dit, elle fait tout de travers. Elle travaille dans l'opacité la plus complète, et ne donne quelques bribes d'information que lorsque la mèche est vendue.

Mais l'opinion algérienne, elle, a déjà tranché. A en croire les commentaires, et ce qui s'écrit sur les réseaux sociaux, elle est largement hostile à l'exploitation au gaz de schiste. Par crainte des retombées écologiques, mais aussi par méfiance envers le pouvoir : tout ce que fait le pouvoir apparait en effet comme suspect, faux, un coup tordu de plus ou le résultat d'un acte de corruption.

L'opinion algérienne se rapproche ainsi de la fatwa française. Mais est-il raisonnable de priver un pays de quelque chose qui est en train de bouleverser le marché mondial de l'énergie et de bouleverser le monde tout court ? Est-ce raisonnable pour l'Algérie de rester sur le bord du chemin alors que le monde est parti vers une nouvelle l'aventure ?

De manière plus large, une partie de l'opinion algérienne reste curieusement à la traine de la gauche française. Y compris, et surtout, dans ses divagations.

Ainsi, Arnaud Montebourg a fait des émules en Algérie. L'homme qui voulait nationaliser des installations sidérurgiques visiblement destinées à la casse, avant d'être désavoué par les siens, sert de modèle à ceux qui veulent nationaliser El-Hadjar. Le discours dominant en Algérie sur le terrain social reprend, lui aussi, largement les méthodes de la gauche française, l'efficacité en moins.

Mais tout ceci va bientôt disparaitre. L'idéologie héritée de contacts rapprochés avec la gauche française va être rapidement balayée. Au rythme des révélations sur les pots-de-vin versés aux dirigeants algériens, il faudra bien se résigner à admettre qu'une nouvelle fatwa a supplanté tout le reste : celle prononcée par le grand ayatollah Dollar US.