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Barça, Hamraouas !

par Moncef Wafi

Ahmed le Barcelonais et Houari le Madrilène se sont donné rendez-vous lundi dernier, à 21h tapantes, au café du quartier pour suivre en direct un match qui ne les regarde ni de près, ni de loin, ni en amont, ni en aval, ni de père, ni de mère. Ahmed, 33 ans, chômeur professionnel, célibataire malgré lui, maigre comme la bourse d'un étudiant et hargneux comme un Algérien blousé, est barcelonais de cœur, espagnol de tentative. Il connaît le consulat comme le propre F2 parental, il y a déposé cinq fois une demande de visa refusée. Houari, 28 ans, est un rescapé des années de braise. Réfugié politique, fuyant Relizane, il est venu à Oran chercher un coin de ciel plus républicain. Il ne trouvera en fin de compte au-dessus de sa tête qu'un vulgaire morceau de tôle ondulée, menacé d'éradication par le nouveau wali. Houari est madrilène de maillot, laissé en héritage par un cousin monté au maquis résiduel. Houari ne connaît pas le consulat d'Espagne parce qu'il ne possède pas un passeport, vu que c'est un réfugié qui n'a pas de droits. Mais Houari est un Espagnol de tentative lui aussi, comme la moitié des jeunes Algériens en âge de comprendre et de nager. Ahmed et Houari, avant de s'attabler dans le café, pour suivre le match entre le F.C Barcelone et le Real Madrid, avaient fait connaissance, huit mois plus tôt, sur le rivage de Kristel, se préparant à une harga vers les rivages ibériques. Ahmed le Barcelonais, à force de vol à la sauvette, a réuni l'argent nécessaire. Houari, lui, a dû retourner au bled pour faire les poches à de la famille propriétaires terriens. Le voyage dans l'obscurité et dans la peur de faux espoirs scelle les nouvelles amitiés mais le temps qui se gâte ruine tous les calculs. Les gardes-côtes puis la prison pour tentative de fuir un si beau pays. Six mois à l'ombre et au frais.

 Puis retour à la rude réalité. Ahmed commande deux cafés d'un goût douteux et Houari met six cigarettes de Rym sur la table. Ni l'un ni l'autre n'ont l'espace et le luxe de se payer une carte de Jazzera Sport à 11 mille balles. Ahmed, le plus citadin et le plus instruit des deux, qui a fait deux années de moyen, explique à Houari que le match ne se joue pas que sur le terrain mais c'est une confrontation politique entre le pouvoir central et la Catalogne qui cherche à se soustraire au royaume d'Espagne et que les Arabes, ne voulant pas s'impliquer dans cette explication, ont décidé tout bonnement de quitter l'Andalousie. Il expliquera également que Madrid, la capitale espagnole, c'est comme Alger ou l'Algérie, pour faire plus court et juste, et que Barcelone est comme qui dirait la Kabylie ou le reste de l'Algérie profonde, pour faire plus vaste et authentique. Il ajoutera que la comparaison s'arrêtait là parce qu'à Barcelone comme à Madrid, et partout dans les démocraties du monde, on pouvait manger à n'importe quelle heure, dans n'importe quel mois, qu'on pouvait marcher main dans la main avec sa copine dans les rues, qu'on pouvait avoir des opinions contraires sans risquer de voir un maire porter plainte, que?, que?, que... Perplexe, Houari, alluma sa première cigarette, souffla la fumée sur le visage buriné de son compagnon d'infortune et se leva. «Le match retour, je le verrai à Madrid avec les Espagnols ou au fond de la Méditerranée avec mes frères noyés».