Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Pénurie de confiance

par Ghris Djillali

Dans le noir, la moindre source de lumière, par sa clarté, est bien visible. Lorsqu'elle est proche, elle paraît plus grande que sa dimension réelle. Elle illumine son entourage et fait naître de l'espoir.

Pour un voyageur égaré sans eau dans le désert, c'est le retour de la vie. Pour un jeûneur, c'est la joie de l'aïd. Dans la lumière, le corps noir visible peut passer inaperçu et si on s'y attarde à l'observer il consommera toute notre énergie. Ainsi, dans notre entourage, nous devons chercher tout ce qui est positif, initiative, mode de gestion, travail bien fait et l'encourager. Notre culture nous exige d'apprécier et reconnaître la critique constructive et d'adhérer au sérieux, mais aussi de dire en toute honnêteté à ceux qui se trompent, que leur appréciation nécessite révision.

 Dans une société, comme la notre, ou l'information circule très peu et est considérée presque secondaire, ou le citoyen semble se noyer dans de faux problèmes devenus trop stressants, ou les belles choses sont d'une extrême rareté, ou la classe moyenne, censée être l'amortisseur des chocs et l'interface utile entre les deux extrêmes, a sombré au fin fond, il est très difficile pour le citoyen de se fixer dans la vie un objectif bien clair. Dans ses conditions de vie sans repère bien défini, l'algérien ressemble aujourd'hui beaucoup plus à un marin perdu au milieu de l'océan, sans SOS et au gré des vents. Il perd le sens de programmation jusqu'à ne pas être capable de se dire par exemple, demain c'est un week-end, je me reposerai, ce sera une grâce matinée. C'est le klaxon du distributeur d'eau potable qui commencera de bon matin par l'assommer. Puis ce sont les enfants du voisinage, qui par manque d'espace de jeu, envahiront les rues. Suivra ensuite le bruit de l'information dans le quartier, un criminel dangereux a été libéré sans rester longtemps enfermé, et il est déjà en meilleure santé que le jour de son arrestation. Les droits de l'homme concernant les enfermés pour la liberté d'expression et autres pour des délits secondaires, lorsqu'ils sont appliqués aux bandits, ne font que les encourager. Ces parasites, de différentes catégories, ont trop pollué notre société. La moindre inattention, et c'est votre bien qui disparaît. C'est effarant.

 Quand les gens vivent dans des absurdités incompréhensibles, ils perdent toute confiance en leurs leaders. Les discours deviennent moins efficaces. La méfiance et le soupçon s'installent et se généralisent. Le raisonnement logique devient inutile. En avançant des chiffres, par exemple, pour prouver qu'il n'y a pas de pénurie d'un produit quelconque, et qu'en réalité on a des difficultés à le trouver sur le marché, est une preuve que les choses ne fonctionnent pas comme il se doit. Ce genre de situation doit être alarmant pour des gestionnaires conscients. Cent queues sans alerte est un indicateur de grande inertie. Il est peut être temps d'introduire de nouvelles unités de mesure ou d'évaluation du sous développement. Le nombre et la longueur des queues de citoyens dans les différentes administrations, par exemple. A la poste, à l'état civil, au transport, etc. Quand la porte du pessimisme est grandement ouverte, cela fait les beaux jours de la cristallomancie. Malheureusement pour les scientifiques, avec cette escroquerie on arrive parfois à lire des semblants de vérités et consoler le client avec des explications, sans preuve, des phénomènes complexes.

Crystal ball

Mais, que peut bien dire une voyante à un citoyen désespéré qui n'arrive pas à supporter le poids de ses problèmes quotidiens ? Et comment peut-il lui décrire sa frustration?

- J'ai un mal de tête que je sens surtout la nuit, et aucun médicament n'a pu me soulager.

- Mets toi à l'aise, le temps de consulter cette petite merveille. Après un instant, elle se prononce : C'est bien ça, je vois un tableau de commande avec plusieurs alarmes actives, sonores et lumineuses clignotantes. Une alarme haute tension dans la société, une autre niveau très bas de gestion et bien d'autres. Je vois d'un autre côté, dans l'obscurité de la nuit, vos cinq sens en réunion autour de leur maître. Ils rapportent ce qu'ils ont vécu le jour.

La vue en premier : Surtout ne pas accuser l'ophtalmologue. L'œil se porte bien et l'information apportée est bien correcte. Je confirme avoir vu un camion citerne chargé de combustible, sur lequel était écrit en grand, «danger produits inflammables», traverser une fumée épaisse, prés d'un dépotoir communal le long de la route où on avait mis le feu. Le vent emportait des objets légers enflammés. J'ai vu des mendiantes avec des bébés, assises sur les trottoirs sous le vent, la poussière et le froid. J'ai aussi vu des jeunes voleurs, des pick pokets, à la station des bus au moment du rush des voyageurs et à quelques mètres des jeunes agents de sécurité représentant la loi et les forces de l'ordre. J'ai vu des produits alimentaires de première nécessité doubler de prix sans alerte, j'ai vu des écoliers du primaire, mal vêtus et mal nourris, faire de l'auto stop pour arriver chez eux à la fin de l'école, et bien d'autres choses aussi tristes les unes que les autres.

 L'ouie : Le spécialiste ORL lui aussi n'est pour rien. L'oreille fonctionne correctement et le signal envoyé est bien représentatif de la réalité. Il est bien filtré, amplifié et conditionné. Je confirme avoir entendu un agent de banque dire à un citoyen, cherchant à changer un billet de banque trop abîmé et refusé par les vendeurs, je ne peux pas le prendre, essaie de le faire passer ailleurs. Et pour un autre cherchant à ouvrir un compte, nous sommes saturés. Nous n'ouvrons plus de comptes. Le toucher : Ce que je rapporte est également facilement vérifiable. Il suffit de sortir de son décor et vivre au milieu des gens. Les produits de première nécessité, les légumes et la sardine vous brûlent les doigts en les touchant. J'ai cru avoir des trous dans mes poches. En cherchant mon argent une semaine après avoir perçu mon salaire, je ne l'ai pas trouvé.

Le verdict

Sans trop s'attarder, la voyante a bien compris de quoi il s'agit et prononce son jugement.

- Mon cher concitoyen, ce qui vous rend malade est un conflit entre source et traitement d'information dans votre petite boîte pensante. Ce que vous avez appris à l'école de la logique ne fonctionne plus dans notre société. Malheureusement, je n'ai pas pour vous une prescription pour une guérison rapide. Tout ce que je peux vous dire, c'est patienter. Je sais très bien que de nos jours les neuropsychiatres sont fort occupés. La dépression fait ravage et les calmants se vendent comme des cacahouètes. Le citoyen ne comprend rien à ce qui se passe autour de lui, ni à ce qui se décide à son égard. On cherche par exemple à déterminer statistiquement son niveau de vie, alors qu'une petite opération du primaire comparant les coûts et les salaires est suffisante, pour s'en apercevoir. Lorsque, dans les rubriques du salarié, la somme des indemnités de l'enfant et de la femme au foyer est inférieure au prix d'un kilogramme de viande, au moment même ou le discours officiel parle des droits de l'enfant et de la femme, c'est à se demander si on a bien compris à qui est destiné ce discours. L'état des citoyens, ce sont les épiciers et les médecins qui doivent fournir les données pour le déterminer. Ceux qui confondent vivre et respirer ont bien évidemment des données bien différentes. Heureusement, nous avons encore des hommes sérieux et responsables qui comprennent très bien ce qui vous perturbe. S'ils ne sont pas nombreux aujourd'hui, ils le seront demain. Ils connaissent très bien l'effet avalanche. Un mal, mal guéri, génèrera un autre plus grave.

 Les défaillances nombreuses considérées comme secondaires sont une source réelle de malaise. Malheureusement, on oublie souvent que l'instabilité des sociétés est bien causée par ces petites perturbations lorsqu'elles durent et s'amplifient. On oublie également que les puissants et civilisés des temps modernes ne cherchent que ce genre de problèmes chez les sous développés pour résoudre leurs propres tensions internes. Bien entendu, l'Algérie n'est pas n'importe qui comme ont tendance à croire ceux qui ignorent l'histoire. Combien de pays dans ce monde ont arrosé leur terre avec le sang très cher de plus d'un million et demi de leurs braves enfants pour se libérer de cent trente deux ans d'esclavage, du napalm et des bombes interdites d'une des grandes armées de l'époque ? Ceux qui essaient aujourd'hui de nous affaiblir et de nous transformer en un simple marché de consommation se trompent de calcul. Notre nation est bien plus forte que nul ne peut, avec ses fausses manœuvres, la réduire au second plan. Nous ne sommes pas faits pour jouer les figurants.

Notre étoile brillera toujours. Notre position géographique est un atout. Nos richesses naturelles sont un autre. Avec un joker on joue à l'aise, avec deux on doit gagner. Evidemment, entre les professionnels tricheurs, il faut savoir gérer ses cartes avec talent.

Pour conclure, je dirai que sentir ce malaise est un bon signe. Autrement vous seriez inconscient.