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Tics d'hier, fractures de demain

par Abdou B.

«Faites choix d'un censeur solide et salutaire que la raison conduise et le savoir éclaire». Boileau

Il y a des évènements en 2010 qui font inexorablement penser à l'Union soviétique, à la guerre froide, à la pensée unique, que les jeunes d'aujourd'hui ne peuvent pas connaître. Le glorieux FLN, pièce maîtresse (pensent les analystes du sérail) de la majorité qui veut un nouveau siège pour l'APN, en attendant des retraites valorisées sur la base d'indices qui ne concernent que les «élus», ressemble étrangement au PCUS des purges. Des complots de nuit, des redressements tordus, des secousses techniques à l'intérieur d'un microcosme microscopique, des envolées à la mode Torquemada, en guise de programme articulé autour de l'EFC, de la démocratie de proximité de la refonte de la politique industrielle et de l'université, le décor fait Guépéon. La seule différence avec la période Staline, c'est que redresseurs et redressés, les retraités et les bleus peuvent, lorsque «la colline qui a des yeux» l'autorise, s'en aller raconter à la presse privée les trahisons des uns et les grandioses réalisations des autres. Le temps s'est figé et les observateurs, les jeunes, les ambassades étrangères suivent les absences, les bulletins de santé, les réservistes qui s'échauffent, la fermeté du ton et le frémissement des moustaches. Comme du temps de la guerre froide où il y avait deux champions et des supplétifs qui comptaient pour une chanson.

 A l'époque des deux grands blocs, le moindre résultat sportif était la preuve indiscutable de la suprématie prouvée du génie socialiste qui fabriquait les hommes nouveaux, autant que les klach' dont le saccadé se distinguait nettement de celui de la mitraillette impérialiste. En ces temps là, les champs artistiques et littéraires étaient l'enjeu de batailles dont les échos arrivaient partout sur la terre, sans parabole ni Internet, tant la propagande et les propagandistes avaient de la culture et du talent. Un danseur, le plus grand, soviétique qui brûlait la politique à ses compagnons dans un aéroport impérialiste, était une prise de guerre sans prix, qui provoquait des incidents et des ruptures diplomatiques à répétition. Les uns voulant être les ancêtres de la harga, le KGB voulant les empêcher et les impérialistes récupéraient la matière grise et les talents. Seul le cinéaste A. Kentchalouski, connu par les anciens de la cinémathèque d'Alger, avait obtenu, grâce à sa famille, l'autorisation d'émigrer aux USA. Sa famille était haut placée dans la nomenklatura soviétique. C'était un peu comme pour les bourses, aujourd'hui.

 Comme à la belle époque du socialisme triomphant, le foot est revenu à la une. «Devant la modeste équipe du Luxembourg, l'EN n'a fait que patati et patatrac». La modeste place du Luxembourg est jaugée selon des critères «impérialistes» européens. Ce qui veut dire que l'Algérie face à une équipe du haut du tableau européen (Allemagne, Espagne, Angleterre, Italie, Croatie, etc.) serait considérée modeste, à sa juste place parmi les pays en voie de devenir émergents, en transition, qui réfléchissent à un développement et des exportations hors hydrocarbures. Mais comme il y avait les symboles du socialisme, de l'homme nouveau, il y a aujourd'hui «l'image de marque» du pays, «sa place dans l'arène internationale» et les jeunes capables de tout, si leur dose (victoire uniquement dans le foot) n'est pas fournie à chaque match, n'importe où, n'importe quand. On leur fait croire, tous les jours, que l'Algérie peut donner la raclée à l'Espagne, où elle veut et quand elle veut, que nous avons une équipe de haut standing. En cas de mauvais résultats, c'est la fracture. Il faut donc rapidement des victoires. Cependant les tics d'hier ne sont plus bons qu'à générer les fractures de demain. Prenons le cas du Sahara Occidental comme révélateur d'une régression, de nombreux tics et de cacophonie dans la majorité majoritaire au parlement.

 Sur ce dossier, il est remarquable de constater que la position algérienne qui est celle de l'ONU, est soutenue. Elle l'est en Europe et ailleurs par des partis, des ONG, des associations, des commentateurs, des personnalités politiques et culturelles, des défenseurs des droits de l'Homme. Toutes ces forces font pression sur le Maroc, la France et l'Espagne de mille et une manières, dans la rue, dans les médias et les parlements, sur le net, dans des syndicats etc. l'ensemble constitue une série de groupes de pression à ne pas négliger. Mais en Algérie, la fracture est profonde entre les thèses officielles et le silence absolu des partis de la majorité, des associations et des membres de «la famille» subventionnée, du syndicat étatique, du parlement, qui tous, se contentent de transformer en tic la thèse, pourtant juste, du droit des peuples à l'autodétermination qui date de l'époque du camarade Oulianov. De son côté, le MSP qui est dans la majorité, s'en lave les mains (du Sahara Occidental) et opte pour la Palestine qui est, selon lui un «problème religieux». A ce jour, personne ne sait s'il y a une fracture entre ce tic «religieux» dans le champ politique et la pensée profonde des autres composantes de la majorité concernant la colonisation du territoire sahraoui. Peut-être que la majorité est unanime.

 La pénurie était la marque de fabrique du système socialiste, un tic emblématique d'hier. En 2010, le sachet de lait nous joue la scène de la nostalgie, celle de la pénurie. Beaucoup de commentaires ont été émis sur la question, mais aucun sur la pratique saugrenue qui met fait mettre du «lait dans un sachet sale posé dans un cageot sur le trottoir. Le cageot fait office de contenant et d'obstacle qui sert à préserver un stationnement pour le commerçant. Cela fait 2 tics en un, au vu et au su du gendarme, du policier, de l'association des commerçants et des piétons.

 Des danseurs nous font faire un saut dans le passé celui que ne connaissent pas les jeunes. La fuite du pays, il n'y a pas d'autre mot pour dire la fracture, de danseurs est plus dramatique que les vaudevilles qui se jouent à l'intérieur de certains partis. Cette nouvelle forme du refuznik local a fait dire, comme au temps de la guerre froide, que les relations Algérie - Canada allaient être perturbées! On se croirait à l'époque où des artistes de l'ex- Est passaient à l'ex- Ouest. Mais l'autre fracture se creuse ici.

 La Kabylie se prend en charge, en plein état d'urgence, donnant à son corps défendant l'image d'un pays et d'une justice à deux, voire trois vitesses. Dans une wilaya, on peut marcher et manifester dans la rue, dans une autre, c'est strictement interdit. Dans une région, on donne des armes aux citoyens, dans d'autres, c'est à juste raison impensable. Des non jeûneurs sont condamnés ici, là-bas ils sont relaxés. Les tics d'antan sont impuissants devant la montée en puissance des salafiens ou salafistes, devant les fractures que creusent les violences faites aux femmes et à des milliers d'enfants. Les tics du passé ne peuvent couvrir le fait que la structure de prévention et de lutte contre la corruption attend son installation, depuis des années. Toutes les fractures, n'inquiètent ni les partis ni les parlementaires trop inquiets du retard pris pour la construction d'une nouvelle bâtisse pour eux, vitale, urgente et stratégique pour l'avenir du pays après le pétrole. Ils oublient même d'ouvrir un débat sur les fractures en Kabylie et les violences qui y sont exercées, sur l'ouverture médiatique dont le retard transforme les dirigeants, des journalistes et même des citoyens, en pleureuses professionnelles devant les chaînes satellitaires.

 Que Dieu protège le pays où le gouvernement est composé à 100% exclusivement et uniquement de docteurs en histoire reconnus par les académies d'histoire, de doukteurs en art et en critique littéraire. La preuve? Pour un film sur la Révolution,, il faut l'autorisation du gouvernement et le silence complice des historiens et des experts (comme ceux des séries) locaux en matière de cinéma qui, plus tard diront qu'ils étaient absents, hospitalisés, pas consultés au moment de la préparation de la loi sur le cinéma. Amen.