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IMPASSES AFRICAINES

par K. Selim

Le capitaine Moussa Dadis Camara,président de la junte militaire qui a hérité du pouvoir en Guinée à la mort du général Lansana Conté, a été sérieusement blessé jeudi dernier par son aide de camp, le lieutenant Aboubacar Diakité, dit Toumba. La capitaine Camara a, semble-t-il, été victime de la colère vengeresse de son subordonné, ulcéré par l'idée de servir de bouc émissaire pour les très graves exactions commises au stade de Conakry lors d'une manifestation de l'opposition, le Forum des Forces Vives, le 28 septembre dernier.

 L'incertitude plane sur la suite des événements. Nul ne sait à ce jour si le capitaine reviendra au pouvoir où s'il sera remplacé par l'un de ses homologues. Ainsi donc, de putschs en rébellions, la Guinée, petit pays d'Afrique de l'Ouest de dix millions d'habitants, poursuit une interminable descente aux enfers, entamée du vivant du leader historique de la lutte pour l'indépendance, Ahmed Sekou Touré.

 Pourtant la Guinée, premier exportateur mondial de bauxite, dispose d'atouts loin d'être négligeables. Mais la mauvaise gestion d'une classe politique complètement déconnectée de la population range ce pays parmi les plus pauvres du monde. La situation de la Guinée est l'illustration du sort tragique de l'essentiel des pays d'Afrique subsaharienne, déchirés par les conflits de toutes natures et en proie aux convulsions les plus tragiques et les plus sanglantes.

 Or, en cette année 2009, la population du continent vient de passer le cap du milliard d'habitants et, selon les prévisions des démographes, elle atteindra un milliard et demi à deux milliards en 2025. Le continent le plus concerné par les famines, qui sera sans doute le plus exposé aux répercussions du réchauffement climatique global, ne trouve toujours pas en lui-même les ressources politiques pour enclencher une logique vertueuse vers le développement et la prospérité. A l'inverse, le pillage des richesses par des classes dirigeantes plus souvent en visite dans les capitales occidentales que dans leur propre pays, entraîne un appauvrissement aggravé, constaté par tous les experts. L'instabilité politique et l'avidité de dirigeants sans autre programme que leur enrichissement personnel et celui de leurs soutiens, ont fini - la Guinée en est également une sinistre illustration - par saper les rares structures d'Etat survivantes.

 Les anciennes puissances tutélaires, par leur soutien très intéressé à ces régimes, ont continué ainsi le travail destructeur qu'elles menaient frontalement au temps de la colonisation. Le désespoir de populations entières, condamnées à une misère effroyable, finira par poser de sérieux problèmes, non seulement aux Européens mais également aux rares pays du continent qui s'en sortent un peu mieux, comme ceux du Maghreb ou l'Afrique du Sud.

 Les flux migratoires, en croissance continue, sont l'indicateur le plus expressif des impasses africaines et les prodromes des déséquilibres à venir. A la veille du cinquantenaire, en 2010, de la vague des indépendances africaines - dont celle de la Guinée fondée sur un «non !» retentissant aux propositions néocoloniales de l'ancienne métropole -, le constat est accablant.

 Il n'y a pourtant aucune fatalité, les maturations politiques sont en cours. Le Forum des Forces Vives guinéennes fait preuve d'un sens réel des responsabilités en encadrant les revendications populaires dans une période très complexe. Les luttes politiques en Guinée sont peut-être le signe avant-coureur du réveil africain.