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Les raisons cachées d'une haine bien visible

par Aïssa Hirèche

Ce qui devait être un simple match de football est devenu, par la baguette égyptienne, un mauvais mousselsel.

Infini dans sa durée et insupportable dans son contenu. Exactement comme ceux que nous a imposés notre TV unique

des décennies durant au nom d'une fraternité à sens unique.

Un mousselsel auquel n'a manqué ni l'imagination, ni l'invention, ni le fantasme, ni le jeu, ni le drame, ni l'énigme... mais dont la fin a échappé aux réalisateurs.

 En effet, la rencontre qui a réuni les équipes algérienne et égyptienne était, en réalité, plus qu'une rencontre de foot.

 C'était un match entre une équipe algérienne de football qui voulait simplement gagner une place au Mondial de 2010 et un comportement. Un match entre une équipe algérienne de football et toute une culture égyptienne. Une rencontre où le pays hôte n'a respecté ni les règles de jeu, ni ceux de l'hospitalité ni même ceux de la bonne éducation.

 Pour des raisons que personne n'ignore, l'Egypte tenait à la victoire et, pour sa part, l'équipe algérienne, qui tenait sa chance d'aller à Johannesburg, refusait de plier malgré les pressions et malgré les lâches agressions du Caire que toute la planète a eu le loisir de voir grâce aux caméras de Canal plus. Les incroyables fabulations égyptiennes qui voulaient faire croire au monde que ce sont nos joueurs qui se seraient taillés pour on ne sait quel motif, et les mensonges extraordinaires de nos frères n'ont pas convaincu les centaines de millions de personnes à travers la planète. Malgré le résultat du Caire, les insultes fusaient de toute part.        

L'armée de chaines déchainées menait une campagne de dénigrement injustifié contre tout ce qui est algérien. Quelque chose faisait croire aux Egyptiens qu'ils allaient remporter la rencontre du Soudan et c'est ainsi que la défaite de leur équipe nationale sur le terrain de Khartoum était considérée comme une défaite de leur engagement, de leur solidarité nationale, de leur comportement et, surtout, de leur culture.

 Bien sûr, lorsqu'on est aussi chauvin on n'admet pas la défaite et c'est pour cela qu'une bataille insensée fut aussitôt engagée par la partie égyptienne sur un autre terrain. Celui de l'impolitesse, des mensonges, et de la falsification des données. Les chaines irresponsables - qui n'ont pas eu honte de présenter un faux chauffeur du bus qui transportait les joueurs algériens au Caire- n'ont pas hésité à montrer des images de bras brandissant des couteaux et des épées et à les présenter comme étant les bras d'Algériens au Soudan. Ces chaines n'ont pas hésité, non plus, à créer de toutes pièces des interviews à l'aéroport du Caire et où le mensonge n'était même pas caché. Elles n'ont pas eu de gêne à nous qualifier de barbares, d'arriérés, de sauvages... et à nous traiter de tous les noms. Jamais une défaite de football n'a causé autant de haine à l'encontre du vainqueur. Même celle qui a entrainé, en 1969, une guerre entre le Salvador et le Honduras n'a pas duré plus de cent heures. Qu'est-ce qui fait alors que la haine ressentie par nos frères à notre égard soit plus longue et plus grande ? Pourquoi les Egyptiens nous en veulent-ils autant ?

Essayer de répondre en restant dans le seul cadre du football serait une erreur. Ce serait, en effet, jouer le jeu des Egyptiens que de croire que tout est football dans cette rencontre de foot.

 En Egypte, et malgré ce que laissent croire les films et les mousselsels, le misère est fortement implantée et le marasme tant économique que social est grand. Cette misère a toujours poussé les Egyptiens à émigrer vers d'autres horizons pour tenter de subvenir aux besoins des leurs. Avec près de cinq milliards d'euros envoyés chaque année par les travailleurs émigrés, l'émigration est ainsi devenue, par la force des choses, la deuxième source de devise pour le pays après le tourisme. Mais, depuis quelque temps, les choses se corsent pour cette émigration.

D'abord, la crise économique mondiale qui a entrainé la suppressions d'emplois a frappé de plein fouet cette émigration où, rien que dans les Emirats Arabes Unis, près de 200 000 ouvriers égyptiens ont été licenciés au début de l'année 2009. L'émigration égyptienne a subi la crise parce que l'ouvrier égyptien est l'un des moins productifs sur le marché. Ce n'est d'ailleurs un secret pour personne que l'ouvrier égyptien préfère donner le moins possible et gagner le plus possible.

D'ailleurs, «selon une récente étude faite par l'Organisme central de mobilisation et de recensement, l'ouvrier égyptien est moins productif en comparaison avec le Bengali ou l'Indien de 50 à 70 % ». En plus du manque à gagner, de tels nombres font peur aux autorités égyptiennes qui se savent incapables de leur offrir un travail ou un revenu. Mais en plus de la crise économique, il y a autre chose. Il s'agit de la qualité insuffisante des diplômés parmi nos frères égyptiens sur la place mondiale de travail. Il est notoirement connu que «le niveau de diplômés égyptiens est dramatiquement inférieur à celui de leurs homologues étrangers». En effet, dans le monde arabe, comme partout dans le monde, les universités sont en train de chercher à améliorer leur compétitivité. Or, pour cela, il faut des compétences et non des discours car si, généralement, les diplômés égyptiens savent tenir des discours, ils ne savent par contre pas (certains ne veulent pas) transmettre correctement des connaissances ou construire des compétences, choses nécessaires pour la qualification des universités. En plus, c'est le comportement trop tolérant et trop diluant de ces enseignants- souvent non à la hauteur de la confiance placée en eux-qui est béni des universités arabes.

 Partout où l'on regarde dans les pays arabes (en Jordanie, en Arabie saoudite, au Qatar, à Oman, aux Emirats Arabes...) les diplômés égyptiens sont donc en train de se faire remplacer. Lorsqu'on précise que ces remplacements sont effectués entre autres au profit des diplômés algériens, on saisit la haine qui nous a été ressortie lors d'un simple match de football ! Par ailleurs, sur les 82 millions d'Egyptiens, près de la moitié vivent avec moins de deux dollars par jour. La corruption fait ravage sous le soleil de la journée et les dénonciations par une certaine presse ressemble plus à une mise en scène qu'à autre chose. Au Caire, et sur les 18 millions d'habitants, plus de deux millions de personnes habitent dans les cimetières, soit un taux non négligeable de plus de 10 %. Les prix des produits de première nécessité ont flambé depuis la fin de l'année 2008 au point où l'Etat a dû intervenir pour subvenir le pain des pauvres (el moudaam). Mais même cette mesure ne suffit pas car ceux qui, poussés par la misère, viennent faire la chaine devant les boulangeries qui vendent le pain au prix subventionné voient leur nombre sans cesse grandir. Le pain subventionné n'arrive pas à résoudre le problème de la misère.

 La misère ronge indiscutablement le pays du Nil depuis quelque temps et les réussites et titres remportés par l'Equipe nationale de football-comme les deux derniers championnats d'Afrique-ont servi jusque là de palliatif car ils ont permis de détourner le regard des jeunes (en 2005, ils étaient 18 millions à avoir entre 20 et 34 ans) et de les préoccuper de leur propre misère. Après la défaite face à l'Algérie, avec quoi le gouvernement Moubarak va-t-il occuper tous ces jeunes ? et avec quoi leur faire oublier leur mouise ? On comprend mieux.

Moubarak, au pouvoir depuis 1982, n'a pas apporté les améliorations tant promises au peuple égyptien. Les difficultés de la vie ne font qu'augmenter alors qu'en parallèle, l'Egypte officielle ne cesse de cumuler les erreurs et les fausses notes. Notamment sur le plan politique où le silence face aux exactions israéliennes et la fermeture du passage de Rafah aux moments critiques ont levé le voile sur les véritables intentions d'une politique aux ordres des puissants. Déjà qu'ils arrivaient à peine à contenir les nombreuses manifestations de colère de la rue, les hommes de Moubarak auront plus de peine à le faire suite à la défaite de leur équipe nationale face à l'Algérie car, cette défaite va faire sonner le réveil pour tous ceux qui, le moment d'un rêve du mondial, avaient oublié (parfois avec plaisir) leur mal-vie, leur misère et même leur faim.

 En battant l'Egypte au football, les Algériens contribuent à lever le voile sur une réalité malheureuse, falsifiée, maquillée. Ils contribuent donc au réveil des Egyptiens, chose tant redoutée par le gouvernement Moubarak. C'est pour cela que les chaines et les journaux à la solde du pouvoir nous insultent et nous traitent de tous les noms. Le peuple égyptien, quant à lui, nous remerciera sans doute un jour de l'avoir soustrait à son ivresse insensée.

 En plus de leur défaite au football face à l'Algérie, nos frères égyptiens ont eu tout le loisir de comparer de visu le capital de sympathie dont jouit chacune des deux nations auprès des peuples arabes. Le Soudan, pays pourtant choisi par la partie égyptienne, n'a pas caché son soutien à l'Algérie. En effet, si sur le plan de l'organisation et de la sécurité, tout a été fait de manière impeccable et neutre, les rues de Khartoum ont affiché sans ambigüité leur penchant pour les Verts et le drapeau algérien a longtemps flotté sur les voitures, les maisons et les commerces soudanais.

 Les Palestiniens ont sillonné les rues de Gaza toute la nuit pour fêter la victoire algérienne et partager la joie des Algériens. Nous les avons vus dans les voitures, à pieds, dans les cafés, sur les trottoirs portant encore les traces des agressions sionistes et même dans leurs foyers en train de supporter l'équipe algérienne. Les Tunisiens n'ont vraiment pas trouvé quoi faire de plus pour manifester leur joie à la victoire de l'Algérie.

 Ils avaient supporté avec sincérité, avec sérieux et avec la peur au ventre, exactement comme nous, l'équipe algérienne. Les arocains ont vibré avec nous au sifflet final à Khartoum. Ils ont porté le drapeau algérien là où ils se trouvaient. Au Maroc, en France, en Arabie saoudite, en Belgique... là où ils sont, les Marocains ont supporté l'équipe algérienne.

Dans les pays du Golfe, et même si, pour des raisons professionnelles, les télévisions arabes ont manifesté sur le plan officiel leur neutralité, les populations ont exprimé leur joie au sifflet final. Les jeunes et les moins jeunes ont opté dès le départ pour l'équipe algérienne qui ne les a pas déçus.

 Les Jordaniens et les Syriens ne sont pas du reste. ils ne cachent pas leur joie et applaudissent bien fort à la victoire des Algériens.

 Cette marque de sympathie quasi unanime des Arabes à l'égard de l'équipe algérienne n'a pas plu aux frères égyptiens qui, fidèles à leur mauvaise interprétation des choses, n'ont pas manqué de faire l'idiote confusion entre supporter une équipe et haïr l'autre. Imitant l'Amérique de Bush, ils se sont aussitôt demandés sous la plume de Hassan Bakri (respectable journaliste et député pourtant) «Pourquoi nous haïssent-ils ?». Cette question, tant mal posée ne devrait produire, il faut en convenir, que de mauvaises réponses. Et elle ne devrait engendrer que plus de haine encore. Le fait que la chaine Dream ait souhaité «à tous les peuples arabes une bonne fête de l'Aïd El-Adha à l'exception du peuple algérien» est une preuve-encore une-d'une haine sciemment voulue par un pouvoir essoufflé par son propre âge et érodé par une misère des plus profondes.

 Nos frères égyptiens devraient se tourner vers eux-mêmes. Se poser les questions qu'ils veulent, mais à eux-mêmes car, eux seuls savent comment ils se sont pris pour tomber si bas !



Chahinaz Gheith, El Ahram du 26 juillet 2009 (http://www.alencontre.org/autres/EgypteTextile07_09.html)

Chahinaz Gheith a écrit dans le quotidien El Ahram du 26 juillet 2009 «Les efforts du Ministère de la main-d'œuvre n'atteindront pas leurs objectifs tant que le niveau de nos diplômés restera dramatiquement inférieur à celui de leurs homologues étrangers.»