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Lettre à un ami suisse

par Brahim Senouci

Un conseil d'abord : détruis cette missive sitôt que tu l'auras lue. Peut-être pourrais-tu l'avaler ? Mauvaise idée, il y a un rique de trouver des éléments de mon ADN dans ton estomac. La brûler, peut-être ? Danger, là encore. On arrive de nos jours à reconstituer des textes à partir de fragments complètement carbonisés. Alors, quoi ? Attends la fin de cet exposé. Peut-être trouverai-je une idée...

 Tu viens de voter contre la construction de minarets. Comme je te comprends. Comment de telles choses pourraient-elles trouver leur place dans les paisibles herbages suisses ? Comment pourraient-elles s'accorder au silence suisse, à la retenue suisse, au secret suisse ? Comment pourraient-elles ne pas jurer avec le paysage des lourdes églises suisses, des sabots suisses, du fromage, du chocolat suisse ? En fait, rien ne doit venir bousculer le bel ordonnancement et le confort suisse, construit patiemment au fil des siècles.

 Tu as raison, ami suisse. Mais pourquoi t'arrêterais-tu en si bon chemin ? Pourquoi ne votes-tu pas l'interdiction des babouches, des djellabas, des turbans ? Tu devrais aussi, à mon sens, interdire les noms à coucher dehors que tant de gens d'aspect peu suisse, arborent sans vergogne. Comment peux-tu laissercheminer dans tes rues suisses si nettes, si peopres, des gens si peu suisses, poreurs de patronymes âpres ? Comment tolères-tu des nez camus, des cheveux crépus, des teints bistres ? Je suis très surpris de ce laisser-aller. Il paraît qu'il se trouve même des Suissesses et des Suisses pour tomber amoureux de représentants de cette engeance et commettre avec eux des métis ! Qu'attends-tu pour établir un cordon sanitaire pour séparer tes aborigènes de ces envahisseurs ? Ne réalises-tu pas qu'il y va de la survie de la race suisse ? Allons, secoue-toi. Je te trouve bien timide de limiter ton attaque à l'interdiction de la construction de minarets. Il faut l'étendre à tout ce qui n'est pas suisse.Je suis sûr que si tu soumettais ça à référendum, tu gagnerais haut la main. Je connais tes talents de persuasion et ton art d'effrayer les foules.

 Quoi ? Sauvegarder le bien-être de la Suisse? Cela passerait-il par l'acceptation de cette insupportable mixité ? Oui, me dis-tu ? L'argent des banques suisses a les cheveux crépus, le teint bistre et le nez camus ? Voyons, mon cher ami. Tu sais bien que le Noir et l'Arabe cessent d'être Noir ou Arabe à partir d'une certaine fortune. Ils sont même naturalisés suisses sitôt qu'ils la confient à tes banques. Pas d'inquiétude donc. Tu peux continuer tant que tu veux à prospérer avec l'argent volé aux pauvres (aux cheveux crépus...) tout en maintenant la Suisse indemne de mélange.

 Tu en as eu l'illustration naguère. tu as eu des velleités de traiter un riche Arabe, non pas en Arabe mais en citoyen oridinaire. Tu as même eu la prétention de lui demander des comptes. Tu as été très vite renvoyé dans les cordes et tu as eu l'extrême sagesse de ramper, juste ce qu'il faut, en demandant pardon à son père.

Continue donc de rayer de ton paysage tout ce qui est ostensiblement différent, tout ce qui jure. Continue d'amasser dans tes coffres le fruit discret de la rapine et de la corruption en léchant les bottes de ceux qui te le confient. Quant à la présente lettre, elle te vaudrait des ennuis si elle tombait entre les mains de ta police suisse. Il y a plusieurs moyens de t'en débarasser. Peut-être pourrait-tu la dissimuler au milieu des ruines de la mosquée que ton entrain va sûrement finir par détruire. Peut-être pourrais-tu la mettre dans la cale du prochain bateau de ramassage des immigrés noirs et arabes ? Problème : le navire pourrait tomber entre les mains de pirates somaliens qui la monnaieraient auprès des autorités suisses.

 La meilleur solution serait de la mettre dans un de tes si nombreux coffres. Ils sentent tellement mauvais que personne ne viendra y mettre son nez !