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Algérie - Argentine: Quand un match devient un pays qui se raconte
par Laâla Bechetoula Il y
a des matchs que l'on attend pour leur enjeu sportif, et des matchs que l'on
attend pour ce qu'ils réveillent en nous. Celui du 17 juin 2026, à Kansas City,
à une heure du matin, entre l'Algérie et l'Argentine, appartient à une
troisième catégorie, plus rare, plus exigeante : celle des matchs qui ne
racontent pas seulement une équipe, mais un pays tout entier. Il ne s'agit pas
d'un premier tour de Coupe du monde, mais d'un instant où l'histoire, le doute,
l'espoir et la fierté se mettent à parler la même langue.
Depuis que la FIFA a officialisé l'affiche, quelque chose a circulé dans l'air algérien, une forme de tension positive, une énergie ancienne qui ressurgit sans prévenir. On aurait pu imaginer la crainte, la prudence, la modestie. Mais non : c'est l'élan qui a répondu. Un élan presque instinctif. « Hadi hiya » - cette phrase populaire, presque anodine, qui porte pourtant en elle la manière algérienne d'accueillir les défis. Nous n'avons jamais été intimidés par la démesure. C'est même souvent là que nous devenons nous-mêmes. Car l'Algérie a une relation particulière à l'improbable. C'est dans l'impossible que ce pays trouve son axe. On l'a vu en 1982 contre l'Allemagne de Rummenigge. On l'a vu en 2014 contre l'Allemagne de Neuer, quand un onze vêtu de vert a obligé la meilleure équipe du monde à courir, douter, souffrir, vaciller. On l'a vu en 2019, dans les rues, les maisons, les cœurs, lorsque le pays entier a compris que le football pouvait servir de miroir à sa propre dignité. Aujourd'hui, l'histoire frappe de nouveau à la porte. Mais elle frappe autrement. Parce qu'en 2026, l'Argentine n'est plus la machine imparable qu'elle était en 2022. Messi aura trente-huit ans. Otamendi aussi. Un cycle s'achève, un souffle s'essouffle, et l'équipe qui paraissait immortelle à Doha n'est plus aussi invincible sur les terrains américains. Personne n'a défendu un titre mondial depuis 1962. Le football a ses lois : la gloire vieillit plus vite que le talent. En face, l'Algérie a quelque chose qu'elle n'avait plus depuis longtemps : un projet, une cohérence, une respiration collective. Vladimir Petkoviæ n'est pas un magicien, mais il a fait ce que les bons architectes savent faire : reconstruire en silence. Ramasser les morceaux, redonner un centre de gravité, installer une logique, une méthode, une manière de penser le jeu. Avec lui, l'Algérie a retrouvé de la densité. Des lignes plus serrées, un pressing mieux calibré, des phases offensives plus courtes, plus tranchantes. Quinze victoires en vingt matchs, cinquante-deux buts, dix-neuf encaissés : les chiffres ne disent pas tout, mais ils disent déjà beaucoup. Et dans cet édifice qui se construit, deux forces se complètent : celles qui viennent de loin, et celles qui arrivent. La première catégorie s'appelle Riyad Mahrez. Il sera, sauf miracle du temps, à sa dernière Coupe du monde. Il n'a plus à prouver quelque chose à qui que ce soit. Il a déjà écrit son nom sur les pelouses anglaises, européennes et africaines. Il connaît la lumière et l'ombre, les trophées et les tempêtes. Mais il lui reste une phrase à écrire, une seule, la plus importante : celle qu'il voudra laisser au peuple dont il porte les couleurs depuis bientôt dix ans. C'est dans ce genre de moment que les grands joueurs deviennent des monuments. La seconde catégorie s'appelle Aït-Nouri, Bouanani, Gouiri, Zinedine Zedan. Une jeunesse libre, rapide, électrique. Des joueurs qui n'ont rien à perdre et tout à prouver. Ils n'ont pas l'épaisseur historique de leurs aînés, mais ils ont autre chose : la légèreté de ceux qui ne portent pas encore les cicatrices des défaites passées. Des joueurs qui arrivent dans un moment où l'Algérie n'attend pas d'eux la perfection, mais l'audace. Et c'est peut-être cela qui peut faire vaciller l'Argentine. Car cette équipe n'est pas seulement vieillissante. Elle est lourde de son propre mythe. Lourde d'un Messi qui avance vers la fin. Lourde d'un titre qu'elle doit défendre. Lourde d'un statut qui peut paralyser. Le monde entier scrutera son premier match. L'ombre de la performance passée pèsera sur chaque geste. L'Algérie, elle, n'aura rien de cela : elle avancera légèrement, presque joyeusement, comme une équipe qui n'obéit qu'à sa propre histoire. Certains observateurs étrangers ont déjà averti. Un journaliste d'ESPN a expliqué que si une équipe devait faire tomber l'Argentine dans cette phase de groupes, ce serait l'Algérie : « parce qu'elle joue avec une intensité que l'on ne peut pas entraîner ». À Buenos Aires, le quotidien Olé a parlé d'un « adversaire dangereux lorsqu'il se sent sous-estimé ». Ils ont raison. L'Algérie n'aime rien tant que les rendez-vous où personne ne l'attend. Mais ce match ne sera pas simplement une confrontation tactique. Il sera une scène. Une scène où se rejouera quelque chose de plus profond. Le football, en Algérie, est un espace d'identité. Il est un laboratoire émotionnel. Il est une manière d'exister dans un monde qui ne nous accorde pas toujours la place que nous méritons. Il est ce moment où la nation entière respire avec une seule poitrine, pense avec un seul cœur, parle avec une seule voix. C'est cela, finalement, que l'Argentine n'aura pas. Non pas le talent - elle en regorge. Non pas l'expérience - elle en déborde. Mais cette fièvre qui n'appartient qu'aux peuples qui ont beaucoup perdu et beaucoup survécu. Cette obstination à transformer l'impossible en étape. Cette manière de jouer avec l'âme et non avec le seul entraînement. Le 17 juin, le monde verra un génie nommé Messi. Il verra aussi une équipe algérienne. Mais il verra surtout une nation en train de se raconter. Une nation qui ne cherche pas la gloire facile. Une nation qui, chaque fois qu'elle entre dans une grande nuit, y entre comme on entre dans une vérité. Alors, que peut-il se passer ? Tout, absolument tout. Le football refuse les certitudes. Mais une chose demeure : l'Algérie ne se présentera pas pour regarder. Elle se présentera pour intervenir. Et si la Coupe du monde commence vraiment ce jour-là, alors elle commencera par une déclaration. Messi a les titres. L'Algérie a ce qu'il n'aura jamais : un peuple qui joue avec son âme. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||