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L'EMIR : LE VRAI, LE GRAND

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Les yeux dans le dos. Roman de Azouz Begag. Editions Dalimen, Alger 2025, 175 pages, 1.300 dinars



Voilà un livre éloge de la paix et de la fraternité en temps de crise... avec des thématiques peintes d'actualité vu les conflits fréquents, notamment au Moyen-Orient (mais pas que...), à cause des différences religieuses. Encore plus évidentes ces toutes dernières années avec l'« offensive » judéo-sioniste, appuyée par l'islamophobie enragée occidentale, qui a massacré des dizaines de milliers de Palestiniens pour la plupart musulmans. Le livre allie documentation et fiction. C'est l'histoire singulière d'Elias et d'Ibrahim. Un chrétien et un musulman. Un aveugle et un paralytique. L'un ( aveugle), portant l'autre. L'autre (paralytique) guidant l'autre. Une solide fraternité. Le duo fréquente le centre de Damas (Syrie) pour bercer les gens de chants pleins d'amour et de paix. Damas était alors capitale d'une Syrie multiconfessionnelle sous la férule de l'Empire ottoman. Hélas, le 6 juillet 1860, leur vie va changer. Alors qu'on apprend que deux bateaux de guerre, français et anglais, viennent d'arriver dans le port de Beyrouth, à cause des troubles entre chrétiens et musulmans qui se sont aggravés, à Damas, au Café des Rosiers, Ibrahim chante en public comme jamais auparavant. Son succès est divin. La foule est envoûtée par sa voix. Ainsi d'ailleurs qu'une jeune et belle jeune fille de la bourgeoisie qui observe derrière une fenêtre. Les piastres s'accumulent dans la bourse que tend Elias aux gens, venus de tous horizons, de toutes religions. Leur talent réunit les Damascènes. Et, ils sont même accueillis par l'Emir qui les prend sous sa protection.

En arrière-plan, on a le massacre de chrétiens en l'an 1860, massacre que seul l'Emir Abdelkader, qui habite à Damas depuis cinq ans, a pu arrêté. Rappel : Une foule de Druzes et de musulmans participent à massacrer les chrétiens de la ville. Les morts se comptent par milliers. Les quartiers chrétiens sont en feu. Avec ses troupes d'Algériens, l'émir Abdelkader en sauvera des milliers qu'il recueillera dans sa maison pendant plusieurs jours. Durant les massacres, perdus dans les rues, Ibrahim et Elias sont arrêtés par des émeutiers plein de haine. Juché sur le dos de son ami-frère, Elias ne cacha pas sa foi chrétienne. Il fut assassiné sauvagement. Ibrahim ne put s'en remettre. Plongé dans le noir, il mourut de désespoir quelques jours plus tard. L'un et l'autre furent enterrés à Damas, par leurs amis pauvres, clandestinement, près du mausolée du grand soufi Ibn'Arabi, près duquel, en toute saison, poussent des roses de Damas de toutes les couleurs...

L'Auteur : Sociologue, écrivain et homme politique français d'origine algérienne. Surtout connu pour son premier roman, en 1986, « Le Gone de Chaâba » (adapté au cinéma). A été également ministre (français) délégué à la promotion de l'égalité des chances (juin 2005-avril 2007, dans le gouvernement D. de Villepîn aux côtés de deux individus ne portant pas les beurs dans leur cœur, racistes même : Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur et Brice Hortefeux) et même diplomate (2013-2016). Chercheur au Cnrs, enseignant et auteur de plusieurs ouvrages

Extraits : « Oui, la Syrie était un flacon de parfums ouvert. Et l'eau ! Elle ajoutait admirablement à son charme» (p 17), « La plus ancienne cité du monde (Damas) offrait aux voyageurs sa somptueuse mosquée des Omeyyades, ses églises, ses remparts, ses palais, ses ruelles couvertes bordées de boutiques et ses souks, ses maisons traditionnelles, ses quartiers d'artisans... Elle n'avait jamais cessé de nourrir l'imaginaire des poètes » (p23), « A Damas, la diversité des cultures était une richesse, dommage que le pays fut convoité par les Français, les Anglais, les Russes, les Egyptiens... C'était son talon d'Achille » (p31),

Avis - Petit livre, grande histoire. Se lit facilement et rapidement. L'histoire, en Syrie multiconfessionnelle de 1860, d'une cohabitation mal assumée, tragique même, chrétiens-musulmans... Une cohabitation qu'il aurait été préférable, en ces temps d'islamophobie - de ne pas aborder.

Citations : « C'est une bonne définition de notre amitié : regarder dans la même direction » (p 9), « C'est la diversité des cultures du monde qui fait sa beauté » (p35), « Si souvent dans l'histoire, le pouvoir, la trahison, l'envie et les guerres avaient mis les dieux en compétition et conduit les hommes à la barbarie » (p 38), « Souvent, le sentiment d'injustice, la jalousie étaient à l'origine d'amertume et de disputes entre communautés » (p55), « Ne demande jamais quelle est la religion d'un homme; interroge plutôt sa vie, son courage, ses qualités et tu sauras ce qu'il est » (p69), « Dans la vie des chiens, comme dans celle des humains, il fallait toujours tout reconstruire, dans un éternel recommencement pour se frayer un chemin » (p 167).



La dernière nuit de l'émir. Un roman de Abdelkader Djemai. Editions Barzakh. Alger 2013 (Le Seuil, 2012), 167 pages, 600 dinars (fiche de lecture déjà publiée en septembre 2023).



Seuls les sexagénaires et plus connaissent combien le talent de Abdelkader Djemaï ne date pas d'aujourd'hui. Après un passage dans l'enseignement (et Dieu sait combien les enseignants des années 60 et 70 étaient de qualité), il est parti faire du journalisme. Où ? A La République (d'Oran) alors dirigée par (feu) Bachir Rezoug, qui avait réuni alors, autour de lui, du temps du ministre M-S Benyahia, une équipe d'«enfer» pour faire du quotidien oranais le journal le plus influent et le mieux écrit (on n'a guère fait mieux jusqu'ici et les styles ont involué, compliquant l'écriture et la compréhension). Une signature devient alors célèbre et respectée, aux côtés de bien d'autres : Ouasti, Safer, Mezali, Benamadi, Bouchène, Rezigui

93 : L'exil. Des livres et des livres. Des prix aussi. Dans la discrétion la plus totale comme il sied à tout grand écrivain.

Son dernier-né, sur l'Emir Abdelkader, n'est ni une fresque historique, ni un roman, ni un essai. Un peu de tout. La vie, le combat d'un homme hors du commun. L'exil d'un personnage exceptionnel, homme de progrès, de dialogue et de tolérance qui a marqué non seulement l'Algérie, mais l'humanité. Vivement le film, en espérant quelque chose de grand, comme le bonhomme. Et, pourvu que la «famille révolutionnaire» et la famille tout court ne s'en mêlent pas trop.

Avis - Un livre qui se lit goulûment, tant l'écriture est claire, fluide et les évènements décrits avec simplicité mais précision. Vous commencez avec hésitation, déçu, peut-être, par ce qui a été tellement écrit précédemment sur le héros, mais vous allez très vite, le premier chapitre terminé, être emporté, transporté dans un océan d'émotions.

Extraits : «Je n'ai point fait les événements : ce sont les événements qui m'ont fait ce que j'ai été «(p 105), «Il fut l'un des premiers combattants à pratiquer la guérilla, qui n'était pas enseignée dans les écoles militaires «( p. 115), «Respectueux de l'autre, le fils de Mahieddine disait qu'il ne faut jamais demander l'origine d'un homme : pour savoir qui il est, il faut plutôt interroger sa vie, son courage et ses qualités» (p 129), «La science est l'arme suprême, le sabre n'étant jamais que l'instrument de ceux qui ont renoncé à régner par l'esprit» (p 137).



Le livre de l'Emir. Roman historique de Waciny Laredj (.Titre original : Kitab al-Amîr, 2006. Traduit de l 'arabe par Marcel Bois en collaboration avec l'auteur). Enag Editions, Alger 2016, 729 pages, 700 dinars (Fiche de lecture déjà publiée en décembre 2022. Extraits pour rappel. Fiche complète in www.almanach-dz.com/histoire/bibliotheque dalmanach)



C'est, je crois, le premier roman sur l'émir Abdelkader. Chef de guerre inspiré, fin stratège politique, érudit et poète, soufi, ennemi déclaré puis ami de la France, apôtre du djihad et protecteur des chrétiens de Damas... un personnage fascinant et qui continue de l'être ! Né en 1808 près de Mascara, dans l'Ouest algérien, il prend à 24 ans la tête de la guerre de résistance contre la conquête française de l'Algérie. Pas totalement vaincu mais surtout souvent trahi et dépourvu de moyens modernes de combat malgré de gros efforts, après dix sept ans de guerre, il capitule en 1847 (un acte de sagesse ?) puis est emprisonné en France dans des conditions déplorables jusqu'en 1852. Il est exilé en 1855 (par Louis Napoléon Bonaparte) à Damas, où il meurt en 1883. Un livre qui se dévore comme un roman d'aventures, pimenté de scènes de batailles épiques exaltant le courage et la sagesse d'Abdelkader. Au fil des pages, on découvre un homme érudit, et amoureux des livres. Un musulman soufi, favorable au rapprochement entre l'Orient et l'Occident, entre l'islam et le christianisme (...)

Le livre est animé, du début jusqu'à la fin, par le souci de comprendre et de faire comprendre les métamorphoses de l'Emir, combattant de la foi et pionnier du dialogue entre les religions et les cultures.

L'Auteur : Né en 1954 dans la région de Tlemcen. Nomade impénitent... entre son village natal, Tlemcen, Oran, Damas, Alger, Los Angeles et Paris... où, à partir de 1994, il a enseigné la littérature à la Sorbonne. Auteur de plusieurs romans traduits en plusieurs langues, dont le français (...)

Table des matières : I/Au seuil des initiatiques épreuves (L'Amirauté 1 et Cinq haltes)- II/ Les arcanes de la sagesse (L'Amirauté 2 et Quatre haltes)- III/Les impasses et les périls (L'Amirauté, 3 et Trois haltes...et L'Amirauté, 4).

Extraits : (...), « La foi, ne suffit plus à elle seule. Elle a besoin d'appuis solides et efficaces. La plupart des nations puissantes n'ont pas résisté aux vents quand elles étaient minées par les divisions, les calculs mesquins et l'égoïsme forcené » (p 154), « Ce sont les vainqueurs qui écrivent l'Histoire. Le drame, c'est que derrière l'Histoire il y a des êtres humains, avec leurs passions » (p 235), « Les Arabes sont comme ça. Pour eux, les territoires ne représentent pas grand-chose, mais quand ils voient quelqu'un s'y intéresser, ces territoires prennent de la valeur et de l'importance » (p 444), (...), « Apparemment, l'Histoire n'instruit pas beaucoup les hommes. Ils la vivent, en ressentent les effets quand elle les touche de près, mais quand elle s'éloigne, ils l'oublient et retombent dans les mêmes erreurs. L'oubli, quand on a le pouvoir, est le plus grand défaut des tyrans » (p 588) (...).

Avis - Un récit historique monumental... et un livre largement digne d'être la source et la base d'un grand film. (...). L'émir Abdelkader une des figures les plus fascinantes du monde arabe

Citations : (...), « Un cadi n'a pas le droit de jouer avec un pouvoir qui n'est pas son bien propre, mais le bien de ceux qui lui ont confié ce poste » (p 85 (...), « Le djihad ne consiste pas à prendre l'épée et à la brandir à la face du premier venu. Le djihad consiste à lever l'épée quand se ferment devant toi les chemins de la paix (...). Le djihad c'est d'apprendre sans relâche à l'homme qu'il est un ignorant tant qu'il se laisse devancer par le temps » (L'Emir Abdelkader, propos rapporté par Mgr Dupuch, p 284), « La religion est une plante généreuse : si tu la cultives bien, elle suscite un prophète généreux » (p 287), « L'ignorance est plus dangereuse que les ennemis déclarés. L'ignorance, cet ennemi furtif...» (p 335) (...), « L'exil n'est pas seulement une frustration, mais aussi le sentiment d'être humilié, de dépérir, de mourir à petit feu» (p 648), (...).