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Inondations en Algérie: L'urgence d'une culture de prévention !

par Cherif Ali*

Comment expliquer qu'une pluie, aussi torrentielle soit-elle, arrive, en quelques heures seulement, à submerger des pans entiers d'une ville, voire une capitale comme Alger ?

Des quartiers entiers, des parkings, des routes et des tunnels se retrouvent sous les eaux très rapidement, causant d'importants dégâts. Les autorités concernées pointent souvent du doigt la météo, expliquant que, primo, «la quantité d'eau tombée équivalait à la quantité d'habitude enregistrée durant un mois complet», et, secundo, «les avaloirs, quelles que soient leurs capacités, n'ont pas pu absorber les quantités de pluie tombées en un laps de temps réduit».

À leur décharge, il faut dire que les responsabiliser sur tout et rien, c'est, quelque part, aller vite en besogne, au regard de la faiblesse des moyens mis à leur disposition !

Dans l'absolu, que peuvent-elles faire devant le «dérèglement climatique» qui touche l'ensemble des pays du bassin méditerranéen ?Anticiper, pour le moins, les événements, alerter les populations, secourir les sinistrés, les reloger même provisoirement, car, c'est leur rôle !

Aujourd'hui, force est de constater qu'en l'absence de toute stratégie d'intervention des communes à moyen et à long termes, les mêmes erreurs et les mêmes défaillances se reproduisent de manière cyclique, avec leur lot de drames humains et de dégâts matériels, à l'orée de chaque saison hivernale.

Le pays s'apprête à faire face à un nouvel épisode pluvial et neigeux en deux semaines. L'Office national de la météorologie (ONM) a lancé ce mardi 2 décembre de nouvelles alertes pluie, neige et vent qui concernent 40 wilayas.

Autrement dit, tout le nord du pays ainsi qu'une partie du sud seront touchés !

Mais, comme à chaque fois, la responsabilité est imputée à l'Office national de météorologie (ONM) ; on lui reproche de ne pas cibler les localités exactes qui seront affectées par les intempéries, alors que son rôle se limite à donner des alertes, à travers la diffusion des BMS (Bulletin météorologique spécial) en temps réel.

Raisonnablement, la météo ne peut faire face aux intempéries et aux inondations, d'autres facteurs interviennent justement dans cette situation.

Les collectivités locales, par exemple, n'accordent pas beaucoup d'importance au curage des avaloirs et des regards de la voirie. Ces travaux, qui devraient être entrepris en été, auraient certainement permis d'éviter leur obstruction par les premières pluies automnales et le refoulement de ces eaux !

Quelle que soit l'importance des mesures préventives, il faut s'adapter, pour faire face aux différents risques, par la mise en œuvre de moyens humains et matériels appropriés.

Les pouvoirs publics ont le devoir, une fois l'évaluation des risques établie, d'organiser les moyens de secours nécessaires, pour faire face aux crises.

Cette organisation nécessite un partage équilibré des compétences entre l'État et les collectivités territoriales.

Ce plan, qui s'appuie sur les informations contenues dans le dossier d'information communal sur les risques majeurs, définit les mesures immédiates de sauvegarde et de protection des personnes, l'organisation nécessaire à la diffusion de l'alerte et les consignes de sécurité, et, enfin, la mise en œuvre des dispositions d'accompagnement et de soutien à la population.

Le président d'APC est responsable de l'organisation des secours de première urgence, en déclenchant le plan Orsec. Le laisser-aller, l'absence, parfois, de plans Orsec et les interventions conjoncturelles d'un personnel non formé pour la circonstance aggravent la situation, quand la catastrophe se produit.

Les opérations d'entretien préventif, quand elles ont lieu, ne doivent pas, en principe, s'inscrire dans un calendrier saisonnier, dans la mesure où les calamités sont imprévisibles, n'ont cessé de répéter tous les spécialistes de la question.

Il y a aussi le manque d'informations concernant la consistance et l'état des moyens à mutualiser et à mobiliser à l'échelon national, et aussi des ressources humaines à réquisitionner quand la catastrophe touche une ou plusieurs wilayas, ce qui laisse perplexes les responsables en charge de coordonner les secours, en l'absence d'un fichier central informatisé.

Dans ce registre, un responsable du ministère des Ressources en eau avait annoncé, il y a quelque temps, qu'un «Plan national de protection des villes contre les inondations avait été établi, dans le cadre d'une stratégie allant jusqu'à 2030».

On a entendu aussi parler d'«une étude sur le phénomène des inondations en Algérie et les moyens de réduire leur impact», financée par l'Union européenne pour un coût de 1,2 million d'euros.

Simples effets d'annonce ou projets concrets, toujours est-il qu'au jour d'aujourd'hui, les inquiétudes demeurent et les Algériens se souviennent encore des drames causés par :

Mais s'il venait à se produire une quelconque catastrophe dans une région où l'«on aurait fermé les yeux sur des habitations édifiées sur des conduites de gaz, ou des bâtisses construites dans des lits d'oueds, ou plus encore des travaux de réalisation ou de réfection bâclés par des entreprises non compétentes et qui auraient impacté, gravement, sur des citoyens ou leurs biens», chaque responsable, direct ou indirect, de cette situation aurait à répondre de sa négligence.

Il faut aussi reconnaître qu'en l'état, nos communes sont démunies devant ces périls :

1. La plupart d'entre elles ne disposent même pas d'un «système d'alerte et d'information de la population».

2. À cela, il faut ajouter le manque d'organisation des services de nettoyage et d'entretien, ainsi que le laxisme de certains responsables locaux qui ne prennent pas les mesures d'anticipation qui s'imposent en cette basse saison et qui ne donnent même pas suite aux BMS spéciaux qui leur sont transmis !

3. Les oueds menacent nos villes et les alertes météo vont être fréquentes, et il n'est pas question de se rejeter les responsabilités.

En matière d'intervention, la coordination interministérielle doit revêtir, obligatoirement, un caractère intersectoriel, ce qui n'est pas souvent le cas, et les résultats s'en ressentent :

l Il faudrait organiser des cycles de formations en matière de «gestion des risques» pour les présidents d'APC, les doter en moyens de réalisation et d'intervention (camions et engins de toutes sortes), ces efforts doivent être absolument poursuivis, si l'on souhaite mettre au premier plan l'intelligence et l'innovation économiques, sortir de la dépendance des hydrocarbures et vivre de ce que nous pourrons produire.

l Cela passe, nécessairement, par l'engagement des responsables locaux, la dépénalisation de l'acte de gestion, mais également et surtout, par la «réforme des finances et de la fiscalité locales», celle-là même qui permettrait aux P/APC de valoriser leur patrimoine, de profiter de leurs ressources et gisements fiscaux, et, partant, de monter des projets et les financer sans recourir aux subventions de l'État.

l En un mot, il s'agirait de faire fonctionner les communes comme des «entreprises» !

De ce qui précède, la problématique des inondations doit être, à l'orée de cette basse saison, une priorité pour le gouvernement de Ghrieb Sifi, car, dans notre pays au climat semi-aride, voire aride dans sa majeure partie, leur survenance ne peut-être qu'un paradoxe, mais quand cela se produit, l'impact est dramatique, autant sur les personnes que sur les biens !

Devant les délégations du G20 et des organismes internationaux, où il représenté l'Algérie, Said Sayoud, le ministre de l'intérieur, des Collectivités locales et des Transports a présenté les efforts conséquents de l'Algérie en matière de prévention des catastrophes, affirmant que. « La prévention des catastrophes constitue une priorité nationale pour notre pays ».

L'Algérie a-t-il déclaré à l'assistance, a ainsi développé un cadre juridique et institutionnel solide, notamment à travers la loi du 26 février 2024, qui définit les règles générales de prévention et d'intervention et élargit la gestion des risques majeurs à 18 catégories principales, chacune encadrée par des plans précis de prévention et de préparation.

L'Algérie a-t-il ajouté, a également réalisé des progrès notables dans la mise en œuvre du cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophes, en renforçant les infrastructures, les capacités techniques et technologiques, ainsi que les systèmes d'alerte précoce et de réponse rapide, en particulier pour les séismes, inondations et feux de forêt.

Le ministre a aussi souligné l'importance des technologies modernes, telles que les systèmes d'information géographique (GIS) et l'analyse des données climatiques, pour faciliter l'échange d'informations et la prise de décisions préventives, tout en renforçant les interventions immédiates des services de protection civile et de défense civile.

Par ailleurs, l'Algérie a mis en place des mécanismes de financement efficaces pour soutenir les populations touchées par les catastrophes, via des fonds dédiés tels que le Fonds de garantie contre les catastrophes naturelles, le Fonds national de coopération agricole et le Fonds de solidarité nationale, tout en impliquant le secteur des assurances et la société civile dans les efforts de rétablissement et de solidarité locale.

Le ministre a enfin rappelé que la sensibilisation communautaire constitue un pilier central de la politique nationale, à travers des campagnes de communication et des programmes éducatifs intégrant la culture de prévention dans les curricula scolaires, afin de préparer et conscientiser les générations futures.

Si le dérèglement climatique amplifie les phénomènes extrêmes, les faiblesses structurelles, le manque d'anticipation et la gestion conjoncturelle des crises aggravent leurs conséquences.

En définitive, la récurrence des inondations en Algérie ne peut être imputée au seul « déchaînement des éléments».

L'heure n'est plus aux constats ni aux effets d'annonce :

Il s'agit, désormais, d'ériger la gestion des risques majeurs en priorité nationale, en dotant les collectivités locales de moyens réels, en instaurant une culture de prévention et en renforçant la coordination intersectorielle. Car, dans un pays où l'eau est rare, mais où les pluies se transforment en drames, chaque retard dans l'action coûte cher, en vies humaines comme en patrimoine collectif.

Saïd Sayoud, le ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et des Transports, vient d'intégrer, dans la stratégie de son département, outre «l'amélioration des services publics», qui était pour lui une exigence, et qui est devenue aujourd'hui une réalité, «la nécessité d'enclencher un plan de réforme des collectivités locales», susceptible de les doter en nouveau mode d'organisation et de gestion, en mécanismes et outils, de manière à leur permettre de réaliser leurs objectifs.

(*) Ancien chef de daïra