Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Découpage administratif: Tebboune redessine l'Algérie !

par Cherif Ali*

Le président Abdelmadjid Tebboune a remis sur la table l'un des dossiers les plus structurants pour l'avenir institutionnel et territorial du pays : le découpage administratif.

Derrière ce terme technique se cache une volonté politique claire - celle de rééquilibrer le développement national, de rapprocher l'État des citoyens, et d'adapter la gouvernance aux réalités démographiques et géographiques d'une Algérie vaste et plurielle. Entre efficacité administrative et exigence démocratique, cette réforme marque une étape décisive dans la construction d'une Algérie moderne, plus décentralisée, plus équitable et plus proche de ses territoires.

Le président de la République a-t-il posé les balises du débat ?

La question est pertinente dès lorsqu'il s'agit d'une«nécessité inéluctable»car a-t-il dit :« l'Algérie de 2025 avec ses 47 millions d'habitants doit pouvoir mieux se déployer dans les 2,3 millions de kilomètres carrés». Plus que cela, le Président ne voit pas seulement l'aspect de l'efficacité administrative. Il entend y adjoindre«le principe de la pratique démocratique».

Autrement dit, le Président Tebboune entend révolutionner les territoires !

Le dossier du découpage administratif est donc une « priorité », a-t-il ajouté, assurant que les codes communal et de wilaya « garantiront l'équilibre requis entre les communes rurales et urbaines, consacrant ainsi le principe du développement à travers toutes les wilayas du pays».

Mais le découpage administratif est bien plus qu'une prise en charge des revendications des citoyens ou de promotion de nouveaux cadres, c'est surtout un aménagement plus ciblé du territoire.

Des wilayas comme Tamanrasset, Biskra ou encore Béchar étaient trop lourdes à encadrer, avec des superficies qui égalent celles de certains Etats, l'Algérie est un pays continent comme l'ont noté plusieurs spécialistes. En réduisant ces espaces, les responsables locaux peuvent mieux maîtriser l'œuvre de développement. Les habitants de ces wilayas attendent des emplois et de meilleures conditions de vie pour contribuer pleinement à l'exploitation des ressources locales.

Chaque responsable se rendant dans certaines villes du Sud ou des Hauts-Plateaux n'entendait que cela : « On veut devenir une wilaya ! ».

Pour la simple raison que ces localités où on observe le plus grand nombre de zones d'ombre, cherchaient à bénéficier de la théorie du « ruissellement », grâce à l'investissement public qui forcément accompagnerait la nouvelle wilaya.

En effet, les enveloppes budgétaires locales sont concentrées au niveau des « wilayas-mères » et celles-ci peinent souvent à faire rayonner les projets d'infrastructures sur des territoires très vastes, surtout dans le Grand Sud.

L'Algérie s'orienterait vers 100 wilayas

Said Sayoud, Ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et des Transports, l'a révélé à l'occasion de son déplacement dans la wilaya de Naama, toute en rappelant les grandes orientations du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, en matière de gouvernance territoriale et de développement équilibré du territoire national. Sayoud a souligné que le chef de l'État a adopté, depuis son élection en 2019, une vision prospective visant à renforcer la gestion des collectivités locales, en réponse aux réalités démographiques et géographiques du pays.

Certaines wilayas, a-t-il précisé, regroupent aujourd'hui jusqu'à 70 communes, ce qui rend leur gestion efficace de plus en plus complexe. Partant de ce constat, a-t-il ajouté, le président de la République a décidé de lancer un processus de découpage administratif progressif pour atteindre à l'avenir près de 100 wilayas, voire plus.

Le ministre a souligné que le dernier découpage administratif, approuvé par le Conseil des ministres en juillet dernier, comprenait la promotion de sept communes au statut de wilayas déléguées.

Jusqu'ici donc, la centralisation, donc, a énormément freiné les différents projets de développement, notamment les opérations des « fonds spéciaux » au profit du Grand Sud et des Hauts-Plateaux.

Et conséquemment, la consommation des budgets alloués reste des plus faibles. Les taux de consommation des PSD et PCD ne dépassent pas, selon certains chiffres publiés dans la presse nationale, les 30% dans plusieurs communes ; ils n'atteignent pas 50% dans certaines wilayas !

L'Etat central a pourtant injecté des centaines de milliards à travers les programmes quinquennaux de développement : programme de croissance économique, programme de relance économique PCRE et soutien à la relance PSRE. A tout cela, il faut ajouter l'absence de suivi des projets, leur faible maturation technique, ce qui a eu pour effet d'impacter négativement l'enveloppe allouée avec comme conséquence directe des réévaluations plus que préjudiciables !

On veut bien le croire, mais force est de constater que le système algérien, qui a connu depuis les années 1990 plusieurs ouvertures au plan politique et économique, n'a pas touché à la nature et au contenu des relations organiques et fonctionnelles qui existent entre les institutions centrales et les institutions locales. Aujourd'hui et en l'état de l'organisation administrative du pays, les collectivités locales sont dépassées par l'ampleur des problèmes. Et les élus aussi, même s'ils n'ont pas, prétendent-ils, le champ libre du fait des restrictions de leurs prérogatives qui leur ont été imposées par les codes de wilaya et de la commune. On a beau augmenter le nombre des wilayas, la machine locale, celle du développement notamment, est grippée au point de ne pouvoir satisfaire les besoins les plus basiques de la population ? Faudrait-il s'autoriser à penser aussi que la décentralisation et la déconcentration des pouvoirs, telles que voulues par le législateur dans les années soixante-dix, ont fait leur temps ?

Est-il arrivé ce temps de passer à autre chose ?

Ouvrir pour le moins un débat sur un réaménagement du territoire, qui pourrait renforcer la démocratie participative et, partant, aboutir à la consécration de nouveaux mécanismes, plus fluides, et surtout susceptibles d'améliorer la répartition des pouvoirs entre l'appareil central de l'Etat et les institutions locales ?

Dans le domaine économique par exemple, la décentralisation des centres de décision dans les grandes entreprises nationales a démontré, partout, son efficacité et son efficience ; ce sont les grandes régions, dit-on qui font aujourd'hui les grands pays industrialisés et qui assurent une intégration intelligente des facteurs nécessaires au développement durable. Peut-on pour autant parler de régionalisation, pendant que certains qui ne veulent pas aller plus vite que la musique, lui préfèrent « décentralisation poussée », doux euphémisme? Et ils ont raison, car en Algérie, parler régions ou invoquer la régionalisation participe, presque du tabou, tellement ces termes renvoient, selon certains, à la séparation et à la division du pays. En dépit de sa réalité historique, sociologique, géopolitique, économique et culturelle, la région est paradoxalement souvent combattue et jamais reconnue. Et pourtant, bien avant cela, l'idée de régionalisation a été évoquée par des hommes politiques et non des moindres, comme le défunt Salah Boubnider.

Dans un entretien accordé à l'hebdomadaire Ruptures, paru en 1993, il avait affirmé que « le découpage des wilayas historiques, avait été fait en fonction des spécificités de chaque région ; celle-ci gérant ses affaires de façon autonome et contribuant ainsi au combat libérateur, dans le cadre des principes et des grandes lignes tracées de la révolution de novembre ; le découpage a introduit l'émulation entre les différentes zones et a contribué, à hauteur de 50%, à la victoire finale ».

Poursuivant son propos, ce chef historique disait « être pour la création de grands espaces régionaux dans le respect des principes intangibles où chaque région serait respectée et contribuerait, selon ses moyens et ses potentialités, à l'effort national ».

Et à ceux qui pouvaient penser que la régionalisation qu'il proposait était une atteinte à l'unité nationale, il répondit : « De Gaulle avait voulu diviser les forces combattantes en proposant l'indépendance à toute région qui choisirait de rester dans le giron de la France. Les Algériens ont choisi de rester unis, sans contrainte et le général a échoué dans ses desseins» ! Plus près de nous, c'est l'économiste Mustapha Mekidèche, vice-président du CNES et membre, par ailleurs, du Mécanisme africain d'évaluation par les pairs, qui parle de régionalisation, à l'occasion d'un entretien radiophonique à la Chaîne III ; il déclarait «militer pour la création d'institutions de régionalisation qui ne doivent pas être des composants de l'exécutif, mais réellement indépendantes »; l'expert a dit, aussi, « regretter qu'on n'ait pas donné plus de pouvoirs aux élites locales pour qu'elles puissent peser sur le développement de leurs territoires ».

Il cite l'exemple édifiant où un wali possède, aujourd'hui, plus de pouvoirs que le président de l'Assemblée populaire de wilaya, dûment élu.

Chez les hommes politiques, un ancien chef de parti plaidait sans ambages, pour une nouvelle organisation du territoire ; son programme était décliné comme suit :

- des régions regroupant des wilayas limitrophes,

- des entités ou des conseils régionaux pour chapeauter la régionalisation et la gestion des grands projets d'intérêt commun ou des équipements d'intérêt local,

- une assemblée délibérante pour la gestion et le suivi des affaires de la région.

Comme on le voit, à travers les exemples donnés par un historique, un économiste et un homme politique, le vocable de régionalisation est à la mode dans le langage de tous les jours et paradoxalement, inexistant dans la sémantique administrative et /ou politique, même si de temps à autre, on entend tel ou tel ministre, ou même Premier ministre parler de « réhabilitation des territoires ».

Longtemps otage des politiques, la notion de régionalisation a toujours constitué une thématique récurrente, notamment dans les conférences où les spécialistes et les adeptes de la démocratie participative, en débattent sans complexe. Malgré cela la régionalisation est considérée par certains comme un concept sulfureux, voire un facteur de division.

En l'état, aborder le sujet, même de manière superficielle, c'est déjà donner un coup de main au débat national qui commence, comme on l'a dit supra, à s'en saisir !

Aujourd'hui, aller vers la décentralisation, autrement dit, vers une organisation qui renforcerait la prérogative des démembrements de l'Etat, wilayas et communes, avec l'élargissement des compétences des élus et des assemblées locales n'est plus une hérésie.

Décentralisation, régionalisation, sont des notions à la fois proches et distinctes, d'où souvent, la confusion dans l'opinion publique parfois mise à mal par certains discours extrémistes qui n'ont pas leur place dans la vision qu'on se fait de cette politique nouvelle de réaménagement du territoire.

Peu importe, l'important pour ceux qui sont partisans de cette régionalisation rassurent ceux qui, aujourd'hui, veulent la retoquer au motif que,-l'Etat, la région, la wilaya, la daïra, la commune, les assemblées élues-, c'est trop!

Le débat sur le découpage administratif dépasse les considérations techniques : il touche à la philosophie même de la gouvernance en Algérie. Si l'objectif affiché est de fluidifier la gestion des affaires locales et de garantir un développement équilibré, la réussite de cette entreprise dépendra moins du nombre de wilayas que de la réelle autonomie des institutions locales et du transfert effectif des pouvoirs décisionnels.

Faut-il aller jusqu'à la régionalisation ?

Le mot reste tabou, mais la question est désormais ouverte.

Une chose est sûre : le Président Tebboune a donné le ton, et avec lui s'amorce peut-être la plus grande refonte territoriale de l'Algérie indépendante.

*Ancien Cadre Supérieur de l'Etat