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France, fin de cycle: L'âne de buridan

par Abdelhak Benelhadj

Les commentateurs passent leur temps à envisager les différentes solutions politiques à apporter au problème posé au président de la République.

Le problème n'est pas le coût nécessaire que devront payer les Français pour faire sortir leur pays de l'ornière dans laquelle l'ont plongée ses dirigeants. Le problème n'est pas le choix entre plusieurs solutions, en termes de coûts-bénéfices. Le problème est qu'il ne semble pas y avoir de solutions du tout au cul de sac dans lequel elle se trouve. Toutes les voies envisagées paraissent aujourd'hui sans issue.

Une nouvelle dissolution de l'Assemblée ? Du président ? Une nouvelle coalition ?

Les législatives qui se sont déroulées au début de l'été 2024, ont été précipitées comme une solution au problème posé par la réussite d'une élection présidentielle au lendemain de laquelle le président légalement élu s'est retrouvé dans une position politiquement illégitime.

Or, la légalité est un costume vide si elle n'est pas habitée par un choix délibéré des citoyens.

Les conclusions tirées de la perte des Européennes ont mal été tirées. La perte des législatives précipitamment organisées, confirme la défaillance de l'analyse et la stérilité des solutions.

L'entêtement de l'Elysée à faire comme s'il ne s'était rien passé constitue un abus de pouvoir au sens fort du mot.

A la vue des résultats de ces deux consultations démocratiques, l'esprit de la Constitution de la Vème République aurait invité le Président « désavoué » à « prendre ses responsabilités » et donner sa démission.

Non seulement il ne l'a pas fait, mais il a confié successivement Matignon à des partis minoritaires. E. Macron est ainsi devenu le plus grand consommateur de Premiers ministres depuis 1958.

La Constitution française confère au président des marges de manœuvres dont la plupart de ses homologues sont dépourvus, y compris à Washington où s'agite un nabab omnipotent. Mais lorsque la légitimité est érodée, la légalité doit prendre appui sur l'intelligence politique pour se concilier les voix opposées et gérer aussi équitablement que possible la répartition des contraintes.

Jupiter omnipotent à l'Elysée ne pouvait durablement échapper aux lois de la gravité.

Retour aux réalités et aux limites

La France se retrouve non à un carrefour des solutions, pesant le pour et le contre de chacune d'elle.

Elle se trouve au fond d'un trou sans hypothèse de solution parce que toutes celles qui sont envisagées sont soit de fausses solutions, soit des solutions qui viennent avec de nouveaux problèmes aussi insolubles que les précédents. Une fuite en avant sans lendemains et sans succès.

La France est dans une situation ingérable. Economiquement et politiquement.

Il y a d'abord, un déficit et un endettement « hors normes » maastrichtiennes.

L'Elysée a tenté, sans véritablement répondre aux besoins du plus grand nombre, de favoriser le capital (théorie de l'offre) sans basculer dans une économie totalement libérale. Il a voulu maintenir une économie de répartition tout en privatisant peu à peu des pans entiers de l'économie solidaire. La santé, la retraite, le logement, l'éducation… ont été érodés. Et de plus en plus avec l'accroissement des contraintes budgétaires.

Le gouffre créé par les déficits et l'endettement devenait insupportable.

Ni les Français dont la majorité a du mal à boucler ses fins de mois, ni les milliardaires dont le nombre et la fortune ne cessent de croître, ne veulent mettre la main à la poche et solder ces différences.

A supposer un pacte conclu avec des socialistes domestiqués, qui va payer la mauvaise gestion (suspension, abrogation…) de la réforme des retraites, votée par un 49-3 ? Sans oublier le processus engagé sous un régime socialiste « pragmatiques », la « réforme Touraine », promulguée en 2014, mais enclenchée en 2020 ?

Qui va payer les irresponsabilités du macronisme (qui remontent à L. Jospin et au quinquennat de F. Hollande, en passant par celui de N. Sarkozy) ?

Naturellement, la France est souveraine et peut faire des choix radicaux : il est toujours possible de quitter l'Union et reprendre sa liberté de battre monnaie. Le Royaume Uni l'a fait et, malgré quelques soucis qui tiennent surtout à la politique intérieure, les Britanniques ne s'en sont pas plus mal portés. De plus, la France ne ploie pas sous le poids de « special Relationship ». Encore que…

Mais il faudrait consentir à payer le prix d'un éventuel FREXIT.

Comment peut-on continuer à confier les clés du pouvoir à des partis minoritaires et refuser de se conformer aux résultats tirés des urnes ?

Marine Le Pen est cruelle quand elle rappelle que le PS, le parti qui veut gouverner le pays à partir de Matignon, a obtenu 1,75% aux présidentielles de 2022. Mais elle n'a pas tort. Les chiffres sont impitoyables. Ce n'est pas par excès de modestie que F. Hollande, le même qui tire les ficelles aujourd'hui dans les coulisses, a refusé de se présenter au scrutin.

Une éventuelle dissolution serait très incertaine. Il n'y a plus de Nouveau Front Populaire et imaginer un Front Républicain pour contrer le Rassemblement National relève de l'incertitude. Il est probable que le PS serait laminé, comme les LR, les Verts et les macroniens dans un nouveau scrutin qui mettrait à mal les taux d'intérêts français et aggraverait les comptes publics.

Il est vrai aussi que la condamnation de Le Pen à l'inéligibilité lui fait préférer la dissolution à une compétition présidentielle anticipée à laquelle elle ne peut prendre part et que son parti est encore moins sûr de gagner avec un second impétueux et inexpérimenté.

Personne ne veut prendre le risque d'un J.-L. Mélenchon à l'Elysée.

Une nouvelle dissolution lui permettra d'achever de gober ce qui reste des LR bicéphales.

Ce ne sont pas, chacun l'a bien compris, les calculs et les calculateurs qui manquent à la France. Le Landernau en déborde.

Les enjeux géopolitiques

Derrière la crise française, se cache une crise géopolitique européenne

Une profonde et chronique instabilité politique gagne tous les pays européens depuis le début des années 2020.

Deux crises majeures, Covid et ukrainienne, ont profondément ébranlé des Etats de l'Union et même au-delà.

Tous les pays européens sont au bord de graves ruptures, en particulier l'Allemagne jusque-là posée en modèle de vertu économique et politique.

Les enjeux internationaux. Par-delà les tentatives de sauvetage du quinquennat présidentiel, derrière le macronisme et une partie du centre mou du paysage politique français il y a deux piliers qui se sont profondément incrustés dans la vie politique française, l'atlantisme et le sionisme qui déterminent les choix essentiels en matière de politique économique et étrangère française. Ce n'est pas seulement leur marocain et leurs sièges de députés qu'ils ne veulent pas lâcher. Sous les querelles politiciennes bruyantes, il y a de gros enjeux et intérêts stratégiques et financiers nationaux et transnationaux.

La France n'est plus qu'une place parmi de nombreuses autres. Mais elle représente un élément majeur. Son poids géographique (au cœur de l'Europe), économique, historique, culturel. Son lien avec l'Europe germanique et la Méditerranée lui confère une importance de première grandeur.

Les pays scandinaves, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, naguère paisibles démocraties marchandes connaissent une instabilité qui renvoie aux péripéties malheureuses du XXème siècle. La Hongrie, la Slovaquie, la République Tchèque, la Roumanie, la Moldavie, la Pologne… et le reste des autres pays, même le Japon, sont menacés par un « populisme » qui fragilise la position occidentale et pas seulement en leur soutien à l'Ukraine.

C'est sous ces contraintes que la France est placée sous le regard attentif des marchés et des acteurs mondiaux qui ne voudront à aucun prix que ce pays bascule dans une « neutralité » qui aggraverait une stratégie globale qui dépasse le cadre est-européen et les querelles franco-françaises.

C'est tout cela qui se joue dans la crise politique française. C'est pour cette raison que la difficulté (voire l'impossibilité) dans laquelle elle se trouve à trouver une solution à ses problèmes embarrasse les puissants de ce monde qui redoutent plus que tout un irréversible changement de rapports de forces à leur avantage que les Occidentaux ont mis en place depuis la chute de Constantinople. Quelle autre signification donner au nom du parti naguère présidentiel français de « Renaissance » ? ainsi d'ailleurs que celui donné à celui de son voisin « Reconquête » (associant tout à la fois, la chute de Grenade et la « découverte » de l'Amérique) qui relie de manière transparente quelques-unes de ces dates critiques : 1492-1948-1956-1962-1979-1990…

Naturellement, on peut toujours en appeler au délire d'interprétation ou au complotisme.

«Si les gens savaient par quels petits hommes ils sont gouvernés, ils se révolteraient vite».  Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord.