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![]() ![]() ![]() Reconnaissance d'État : quand l'histoire inverse les rôles entre Israël et la Palestine
par Berkane Larbi ![]() L'histoire
contemporaine du Proche-Orient est marquée par une étonnante inversion des
rôles en matière de légitimité étatique. En 1948, la communauté internationale
s'est mobilisée pour donner une existence juridique et politique à l'État
d'Israël, proclamé au terme d'un long processus sioniste et d'un vote décisif
des Nations unies. La Palestine, pourtant présente de longue date sur le plan
historique, culturel et humain, fut reléguée à l'arrière-plan. Soixante-quinze
ans plus tard, la situation est renversée : Israël est solidement implanté,
reconnu par la quasi-totalité des pays, tandis que la Palestine poursuit un
combat diplomatique acharné pour obtenir la pleine reconnaissance de son
existence étatique. Ce retournement illustre les contradictions profondes du
droit international et les déséquilibres persistants dans le traitement de ce
conflit.
Un État né sous le sceau de la reconnaissance internationale, le 14 mai 1948, David Ben Gourion proclame l'indépendance de l'État d'Israël. À peine quelques heures plus tard, Washington et Moscou reconnaissent la nouvelle entité. Le soutien des grandes puissances contribue à renforcer sa légitimité, en dépit d'un contexte de guerre avec les pays arabes voisins et de l'exode massif de centaines de milliers de Palestiniens. Le plan de partage adopté par l'ONU en 1947 prévoyait pourtant la création de deux États distincts : l'un juif, l'autre arabe. Mais seul le premier vit le jour. Les Palestiniens, privés d'un cadre institutionnel reconnu, se retrouvèrent dispersés entre la Cisjordanie, annexée par la Jordanie, la bande de Gaza, administrée par l'Égypte, et les camps de réfugiés disséminés au Moyen-Orient. Leur cause resta longtemps marginalisée dans les forums internationaux. La Palestine : une existence niée puisfragmentée, contrairementà Israël, dont l'édification fut appuyée par la communauté internationale, la Palestine dut composer avec une mise sous tutelle de fait. Pourtant, laprésence palestinienneest ancienne : elle s'appuie sur des siècles d'histoire, une culture enracinée et un sentiment identitaire puissant. Mais l'absence d'État reconnu et l'éclatement territorial affaiblirent durablement leur représentation politique. Dans les années 1960, la création de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) constitua un tournant. Sous la direction de Yasser Arafat, les Palestiniens réussirent à imposer leur cause sur la scène mondiale. En 1974, l'ONU reconnut l'OLP comme « représentant légitime du peuple palestinien ». Mais la reconnaissance d'un État souverain restait hors de portée, notamment en raison de l'occupation israélienne des territoires palestiniens après la guerre de 1967.Un renversement diplomatique. À partir des années 1990, avec les accords d'Oslo, l'idée d'un État palestinien trouva une traduction institutionnelle : création de l'Autorité palestinienne, division des territoires en zones administrées partiellement par les Palestiniens. Mais le processus de paix s'essouffla rapidement. En 1988 déjà, le Conseil national palestinien avait proclamé l'État de Palestine à Alger, une initiative reconnue par plusieurs pays arabes et non-alignés. En 2012, un pas symbolique majeur fut franchi lorsque l'Assemblée générale des Nations unies accorda à la Palestine le statut d'« État observateur non membre ». Aujourd'hui, plus de 140 pays reconnaissent officiellement la Palestine. Cependant, les États-Unis, Israël et plusieurs puissances occidentales, dont certaines nations européennes, continuent de s'y opposer, considérant que cette reconnaissance doit découler d'un accord de paix bilatéralL'ironie d'un renversement historique. Ce contraste révèle une ironie historique profonde. En 1948, Israël plaidait pour son existence politique, brandissant le droit à l'autodétermination et la nécessité d'un refuge après la Shoah. Aujourd'hui, c'est la Palestine qui formule les mêmes arguments, réclamant un espace souverain où son peuple puisse vivre librement et en sécurité. Entre-temps, Israël est devenu une puissance régionale dotée d'institutions solides, d'une économie dynamique et d'un réseau diplomatique étendu. La Palestine, quant à elle, reste morcelée : la Cisjordanie est confrontée à l'expansion continue des colonies israéliennes, tandis que Gaza vit sous blocus depuis près de deux décennies. La division politique entre le Fatah et le Hamas complique encore la perspective d'un État uni et reconnu. Une question de droit mais aussi de rapports de force. La reconnaissance d'un État ne relève pas seulement du droit international ; elle dépend aussi de rapports de force politiques. Israël a bénéficié dès sa naissance d'un appui stratégique des grandes puissances. La Palestine, en revanche, se heurte à la réticence de pays influents, pour lesquels une telle reconnaissance pourrait bouleverser l'équilibre fragile de la région et compromettre les négociations. Ce décalage met en lumière les limites d'un système international qui prétend défendre l'égalité des peuples, mais qui, dans les faits, consacre les plus forts au détriment des plus faibles. Du point de vue historique, la situation actuelle apparaît comme un retournement presque ironique : l'État qui fut autrefois mendiant de reconnaissance est aujourd'hui solidement établi, tandis que celui qui existait de « belle lurette », selon l'expression populaire, demeure en quête d'une légitimité internationale pleine et entière. Au-delà des débats juridiques et diplomatiques, cette réalité interroge la crédibilité d'un ordre mondial qui se veut garant du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. La Palestine, plus qu'une entité politique en devenir, est devenue le symbole d'un État promis mais toujours différé. |
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