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Halloween, l'histoire d'une double récupération

par Sid Lakhdar Boumédiene*

Que des fêtes et rites païens se soient intégrés dans les religions monothéistes, c'est un grand classique. Puis que des rites religieux aient été introduits dans les coutumes civiles et, surtout, dans les pratiques du marketing, nous sommes là dans une banalité historique. Halloween la résume parfaitement.

Il aura fallu les séries télévisées américaines des années 60 pour que le public mondial prenne connaissance du mot et des usages d'Halloween, sans vraiment percevoir la signification. C'est pourtant une très vieille fête des peuples celtes qui donnera naissance à la Toussaint catholique puis à Halloween, la commerciale. Tout en ayant un lien indirect.

Mais pourquoi cette suite de déclinaisons qu'on peut tout à fait qualifier de récupération ? L'affaire est très simple à résumer et à comprendre si, comme il est d'habitude dans mes articles, d'aller au plus simple, au plus pédagogique et, en fin de compte, à l'essentiel.

Le point de départ, les croyances ancestrales liées au cycle du temps

C'est une pratique aussi vieille que l'humanité que celle des peuples et civilisations qui lient les cycles du temps avec des croyances.

Les communautés antiques ont toujours traduit les phénomènes récurrents du ciel, des saisons et des rythmes des jours et des nuits par une interprétation qui les rassure car comprendre (ou croire le comprendre), c'est en quelque sorte commencer à maitriser la source de la crainte.

À ces époques où la science était inexistante (du moins dans la très grande majorité des couches sociales), ces interprétations ne pouvaient être autres que des projections des craintes et croyances humaines.

C'est donc naturellement que nous trouvons les racines d'Halloween dans les croyances de l'une des peuplades antiques. Les Celtes, d'origine indo-européenne, vont s'installer dans la partie ouest de ce qui deviendra l'Europe. Leur civilisation va surtout prendre racine, depuis l'Espagne, la Bretagne jusqu'à l'Irlande, l'Ecosse et le pays de Galles.

Pendant des siècles, cette célébration des Bretons et des autres pays celtes, surtout l'Irlande, est appelée fête de Samain (ou Samhain).

Comme toutes les peuplades de l'époque, les rites se sont cristallisés autour des cycles temporels. Pour les Celtes, la fin de l'année se termine le 31 octobre (date qui correspond aux calendriers ultérieurs). L'étymologie du mot est cependant contestée. Longtemps elle fut interprétée comme l'association entre le mot été (sam) et celui de fin (fuin), donc la fin de l'été correspondant à un nouveau cycle pour les moissons. Plus récemment, la traduction privilégiée est le mot «réunion» (ou rassemblement).

Les Celtes voyaient donc en cette fin d'année un basculement vers un autre temps, inconnu. Et la nuit du 31 octobre représentait ainsi un entre-deux, entre la vie et la mort, ce n'était plus le présent mais pas encore le futur.

Ainsi, ils pensaient que le lien entre ces deux états temporels devait mettre en contact le royaume des morts et celui des vivants puisque le point de basculement n'était ni celui des vivants ni celui des morts. La croyance des Celtes était qu'il y avait un temps de l'union se concrétisant par la visite des morts aux vivants. Le royaume des morts étant également celui des fantômes et des sorcières.

Provenant de l'expression anglaise «All Hallows' Day», Halloween se traduit en français par la «veille de tous les saints» ou «la veillée de la Toussaint». Le décor est mis, nous comprenons l'origine de l'évocation des morts par des masques et par des tenues de sorcières et leur balai qui vous transportent dans l'au-delà.

La récupération de Samain par l'Église

Pendant que la nouvelle ère du christianisme s'étendait en Europe, les croyances païennes perduraient aux côtés des rites chrétiens. Le plus souvent, les rites anciens étaient soit condamnés et poursuivis, soit intégrés dans les rites chrétiens pour les transformer en des usages compatibles avec la religion dominante.

Pour Samain, la tentative n'est, au départ du catholicisme, pas du tout une réussite. Samain s'étend même sur une grande partie du territoire chrétien. Alors l'Eglise a tenté, par le Pape Grégoire IV en l'an 835, de décréter que le 1er novembre serait le jour de célébration de tous les Saints. Une tentative de détournement des esprits au moment de Samain.

Auparavant cette fête était célébrée aux alentours de Pâques car il s'agissait d'honorer tous les croyants qui ont fait le vœu de se rapprocher des préceptes du Christ. Une façon de dire que tous les êtres humains peuvent être considérés potentiellement comme des Saints. Et pour rajouter à la récupération, en 988 fut instituée la fête des morts (des trépassés), au lendemain de la Toussaint, le 2 novembre. Les jeunes diraient qu'ils «ont mis le paquet» pour créer la diversion.

Au passage, jusqu'à nos jours, la quasi-totalité des populations font une confusion, la Toussaint n'est donc pas la fête des morts.

L'ère de la commercialisation

Il ne faut pas se méprendre, nous parlons ici de la période contemporaine qui a accéléré la dimension commerciale par les moyens de communication, de création de masse et de puissance marketing.

La dimension commerciale des cultes religieux, en elle-même, n'a pas attendu l'époque contemporaine pour exister. Les marchands du temple à Jérusalem en sont l'exemple le plus connu et la commercialisation de la religion bien plus ancienne.

C'est donc tout naturellement que cette fête païenne a été récupérée par le temple de la société du marketing au milieu du vingtième siècle, les Etats-Unis. Il ne faut également pas oublier que la communauté irlandaise a fourni l'un des plus gros contingents de la migration européenne. Au départ assez oublié, il serait trop long de faire état de l'origine de la résurgence de la fête dans le continent américain. Comme nous nous égarerions en racontant pourquoi la citrouille, en fait liée à la terrible crise alimentaire de la pomme de terre en Irlande, l'une des causes de l'émigration massive.

Il faut dire que la mondialisation du phénomène a mis un peu plus de temps qu'une autre récupération, celle de la Saint Nicolas, un évêque devenu malgré lui le Père Noël. Originellement habillé d'une cape verte, le Père Noël va porter le rouge de Coca Cola qui a transformé le mythe en l'une des plus gigantesques campagnes de marketing. Des bouteilles de coca-cola pour chaque soldat américain (à un prix très modique) engagé pendant la seconde guerre mondiale et voilà l'affaire mondialement diffusée. C'est tout à fait exact que la France et les pays du sud européen ont été longtemps réticents à la diffusion à grande échelle de la fête d'Halloween. Mais l'appétit commercial étant plus fort, même l'Espagne, la très catholique, a succombé. «El dìa de los muertos» est une journée très festive dans la péninsule ibérique et, surtout, en Amérique latine (particulièrement au Mexique).

Finalement, que reste-t-il de la Toussaint en cette veille du 1er novembre ? Certainement encore des millions de catholiques en dévotion. Mais tellement occultés par l'image et le bruit d'Halloween.

*Enseignant