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Charles III, une suite aux rois maudits d'Angleterre ?

par Sid Lakhdar Boumédiene*

Lorsque la reine commençait à donner des signes inquiétants et que la rumeur annonçait que son fils, Charles, prendrait probablement le titre royal de Charles III, je me suis dit qu'il n'oserait pas. Eh bien oui, il a osé prendre la relève des noms des rois maudits d'Angleterre.

C'est un réflexe de pensée qu'ont certainement toutes les personnes ayant une formation ou une passion pour l'histoire. Pour ma part, il était impossible que la référence aux rois maudits d'Angleterre ne puisse être oubliée en cette circonstance car tant d'heures de cours et de livres lus sur l'histoire des idées politiques et du droit constitutionnel. D'ailleurs, la plupart des rédactions dans le monde n'ont pas hésité à en faire mention.

Dans cet avenir incertain qui fait face au Royaume Uni, il est en tout cas une certitude, leur nouveau souverain n'est pas superstitieux et possède ce si célèbre «humour british».

Mais au-delà de l'anecdote en elle-même, c'est l'occasion unique de nous emparer de ce moment de sourire pour faire le lien avec les deux grands défis qu'aura à faire face l'après règne d'Élisabeth II. Et, chose étonnante, c'est justement ces deux défis que nous pouvons relier avec Charles I et Charles II. L'histoire nous fait souvent ce genre de clin d'œil. Reprenons les choses dans un ordre qui, pas à pas, nous éclairera sur le titre de cet article.

L'usage des noms royaux

Ce n'est que l'usage qui détermine le choix des noms des souverains. Dans les dynasties européennes, l'usage veut que ce soit le prénom suivi du chiffre ou nombre qui indique la position de ce prénom dans la liste des souverains précédents qui l'on porté. Que Charles, héritier de la reine Elisabeth II, prenne le nom de Charles III était assez logique et attendu par la majorité des chroniqueurs de la couronne.

Mais ce n'était pas une obligation. À ce sujet, il faut rappeler que sa mère, Elisabeth II, avait repris un nom assez téméraire et risqué pour l'union du Royaume Uni. Elisabeth I fut la terrible fille d'Henri III, lui-même de réputation encore plus terrifiante dans l'histoire Britannique.

Pour une reine, c'était un signe de mourir dans une contrée, l'Ecosse, où ce nom est de sinistre mémoire, soit celui de la reine d'Angleterre qui a fait assassiner leur reine d'Ecosse bien-aimée, Marie Stuart, cousine d'Elisabeth.

Les rois maudits d'Angleterre

C'est l'une des erreurs de la mémoire collective sur les faits historiques des plus insistantes. Le peuple qui a coupé la tête au roi pour établir une république (un siècle après) serait le peuple français si on questionnait cette mémoire collective. Et cette erreur chronique fait immédiatement le parallèle avec les Anglais qui, eux, ont toujours gardé leur roi. Si cela est vrai dans la longévité de l'histoire, il n'en est rien du point de vue des faits chronologiques. Les Anglais ont décapité leur souverain bien avant que le peuple révolutionnaire français ne l'eût fait.

Charles 1er, roi d'Angleterre en 1625, a déclenché une guerre civile entre ses partisans et ceux du Parlement qui souhaitait une monarchie moins autoritaire et imposer un régime constitutionnel. Battu, il refusa les demandes, se condamnant ainsi à la décapitation après un procès pour haute trahison. La monarchie fut abolie et remplacée par une république dirigée par Oliver Cromwell.

Charles I

Après sa fuite en Ecosse où il fut proclamé roi, les circonstances qui suivirent la mort de Cromwell ont amené son fils, Charles II, à monter sur le trône d'Angleterre en 1660.

Mais la malédiction s'abat de nouveau sur le fils comme elle s'était abattue sur son père. Le descendant des Stuart dû affronter une très grande épidémie de peste avant de connaître, un an plus tard, le grand incendie qui dévasta Londres. Il ne survécut pas longtemps sur le trône après ces deux grandes crises puisqu'il fut foudroyé par une violente attaque quelques années plus tard (en ces temps le diagnostic ne pouvait en donner la cause précise).

Charles II

C'est dire s'il faut être téméraire ou totalement dénué de superstition pour endosser le nom de Charles III et poursuivre la lignée des deux infortunés rois qui portèrent le même nom.

À ne pas confondre avec les rois maudits français

Avant d'en arriver à Charles III, il faut faire un petit détour pour relever une erreur qui peut traverser les esprits. Pour la royauté française, l'expression « les rois maudits », même si elle existait bien avant, fut immortalisée par le célèbre roman de Maurice Druon qui porte ce titre.

Les Algériens de ma génération ne peuvent l'ignorer car la population était suspendue à la série télévisée dérivée du roman. Et ce n'était pas seulement parce qu'il n'y avait qu'une chaîne. Par sa grande qualité, la série est restée dans les mémoires de nombreux publics à travers le monde.

Pour ce roman, Maurice Druon part d'un fait réel, la malédiction qui se serait abattue sur les souverains français, successeurs de Philippe le Bel. Celui-ci était en rivalité avec le pouvoir du Pape et n'était pas du tout satisfait que l'ordre des Templiers, qui était fidèle au Pape, soit hors de son contrôle. Mais il faut rappeler que le souhait du contrôle de Philippe le Bel portait aussi sur l'immense fortune acquise par l'ordre.

Le grand maître du Temple, Jacques de Morlay, refusant de se soumettre à l'autorité du roi, monta sur le bûcher. La légende dit qu'il aurait lancé une malédiction au roi et à sa descendance.

Si la légende persiste, c'est que la succession de Philippe le Bel fut effectivement frappée de malheurs continus, jusqu'à détruire la dynastie. Les faits historiques réels ont été reliés à la légende de la malédiction par une facilité à le faire, vu la coïncidence.

Charles III, un nouveau roi maudit ?

Revenons maintenant au nouveau souverain. C'est tout d'abord un fait que l'impopularité de Charles III auprès des sujets du royaume Britannique. Elle n'a cessé de s'amplifier avec ses déboires matrimoniaux et la mort de l'icône de tout un pays, sinon du monde, son ancienne épouse Diana, dont on l'accuse d'en être le responsable indirect.

Puis, il faut dire que l'ombre écrasante de sa mère qui refusa, jusqu'au dernier souffle, d'abdiquer au bénéfice de son fils ne lui a pas donné beaucoup de chance, avec une usure certaine dans l'âge et la notoriété.

Enfin, les actes de son fils cadet qui ont définitivement placé l'aîné comme l'héritier préféré et souhaité du peuple Britannique.

Mais si nous voulons faire un parallèle plus étroit avec les deux autres Charles, nous dirions que Charles III est, à mon sens personnel, face au même défi de la couronne à se maintenir en place.

Certes, les républicains sont une frange assez minoritaire dans le pays mais les frasques de cette famille royale ont, depuis deux décennies, reposé le questionnement du sens de la monarchie et de son coût devenu très élevé.

La solidité de la royauté n'a tenu que par la très grande place que tenait sa mère. Son père, comme la reine mère avait tenu une place héroïque durant la seconde guerre mondiale. En cela, ils ont joué le rôle qu'on attend du souverain dans une monarchie constitutionnelle, soit la référence de l'unité nationale, de la continuité de la nation et de l'incarnation de l'histoire.

Rôle qu'elle a ensuite parfaitement assumé à travers le prestige britannique qu'elle a contribué à maintenir dans le monde. La royauté tenait encore solidement par ce lien affectif de reconnaissance très puissant pendant soixante-dix ans.

Mais il ne faut jamais oublier que ce rapport très fort entre la souveraine et son peuple n'a pas empêché que celui-ci soit absolument indigné du statut fiscal de cette reine. À leurs yeux, elle coûte cher au budget de l'Etat alors qu'elle bénéficiait d'une exemption des impôts malgré ses revenus très importants.

Je doute sincèrement que cette majorité du peuple, favorable au système monarchique, résiste longtemps pour rejoindre les rangs de la minorité républicaine après ce long moment de tendresse et d'attachement à leur reine pour les raisons qui viennent d'être exposées. Même si nous avons l'incarnation du contraire avec la nouvelle Première ministre qui fut républicaine auparavant et maintenant partisane de la monarchie Qu'en sera-t-il pour Charles III qui n'a absolument pas comme allié les mêmes circonstances qui ont porté si haut sa maman et qui débute avec une popularité si faible ?

D'autant que l'attend la seconde malédiction, celle que nous pouvons rapprocher du malheureux Charles II. Il doit maintenant être confronté à une situation redoutable car le pays est profondément divisé après l'interminable affrontement sur le Brexit.

Les conditions économiques mondiales du moment, surtout avec les retombées de la guerre d'Ukraine, ne le lui épargneront pas comme ce fut le cas de la peste et de l'incendie de Londres qui ont été sur la route de Charles II.

Car, de plus, le grand projet enchanteur de l'Angleterre qui justifia le Brexit n'est pas au rendez-vous. Ce traité que voulait l'Angleterre avec les Etats-Unis, alliés historique des Anglais, s'éloigne chaque jour d'avantage.

Et que dire du rêve du retour de la puissante Angleterre qui pensait retrouver sa place dans les territoires du monde sur lesquels elle s'imaginait avoir gardé son influence. Ni l'Asie, ni le Canada, ni l'Australie, pour ne citer que les plus grands, ne comptent ouvrir leurs bras aussi facilement que les partisans du Brexit ne le promettaient.

Voici donc exposé mon sentiment personnel sur le destin d'un Charles III qui risque de rejoindre le club des rois maudits d'Angleterre et qui a gardé son humour britannique de vouloir associer son nom au leur.

C'est bien entendu hors de la réalité car les légendes et superstitions ne font pas partie de la vérité historique. Mais c'était une occasion de revisiter l'histoire, de faire des liens et, surtout, éduquer les jeunes lecteurs à cette histoire.

*Enseignant