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L'inversion des rôles et l'Etat

par Abdou BENABBOU

La mise sous mandat de dépôt à Oran des deux agents d'Air Algérie est un événement trop important pour que l'on s'arrête au sens anecdotique qu'il pourrait suggérer.

On peut croire que leur emprisonnement est une décision exagérée, si l'on ne considère pas que leur désinvolture soit un acte et une pratique n'ayant rien de circonstanciel, mais une culture nationale plus corrosive que ce que l'on a l'habitude d'identifier comme manœuvres corruptives.

Abandonner des voyageurs sur le carreau et ordonner à un avion de décoller à moitié vide relève de la même inconséquence que celle de refuser de remettre un simple document administratif à un citoyen armé d'une légalité à toute épreuve. Les deux faits sont identiques par l'esprit qui les anime et constituent bel et bien des délits car ils inversent les rôles et la société devient au service de l'Etat et non le contraire. Le responsable ou l'agent administratif et le personnel de l'organisme public, en s'accaparant avec désinvolture ou avec de malhonnêtes arrière-pensées les habits de l'Etat, dénaturent une règle fondamentale et essentielle pour la stabilité de la société et l'harmonie entre elle et l'Etat.

Dans la confusion des rôles et des prérogatives, la représentation étatique n'est plus une responsabilité positive limitée et ordonnée selon la loi, mais outrepasse son bornage et devient l'Etat lui-même avec une pression démobilisatrice et dictatoriale sur les citoyens.

Au demeurant, il n'est pas suffisant de se limiter à se lamenter contre le phénomène de la bureaucratie classique. Que de simples préposés aux embarquements des passagers dans un aéroport s'arrogent le droit d'orienter les avions selon leurs humeurs pose un problème de fond.

Qu'un guichetier anonyme s'érige en ministre et parfois en suppléant du président de la République prouve que le réel pouvoir n'est pas aux cimes de la prise des décisions jusqu'à imprégner au cœur de la société de fausses interprétations politiques créant un fossé entre gouvernés et gouvernants.

L'Etat de droit s'en trouve perverti et une grande porte s'ouvre pour une profusion de tares sociales aux conséquences politiques et économiques désastreuses pour le pays.