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Le temps du pouvoir et le pouvoir du temps en Algérie

par Mohamed El Bachir Louhibi

33ème partie



Quelle erreur de croire que l'enthousiasme du vainqueur d'un moment a l'échelle de l'histoire l'autorise à tous les excès, telle la liberté de déprécier à sa guise la force de travail pour tirer sa richesse de la misère d'autrui. En quelque sorte c'est une forme d'esclavage arrangé par des négriers originaires de la «bonne société» européenne produit de la civilisation judéo-chrétienne.

Ils est révélateur d'une continuité linéaire de tous ces malheureux esclaves de l'antiquité galériens, mineurs dans les houillères, indigènes colonisés, algériens ou autres, qu'importe les sous hommes seront toujours d'actualité.

«Votre bonne société Mr l'abbé a toujours eu besoin de domestiques à bon marché et de personnes a maltraiter »disait Aissa.

L'abbé l'interrompit en lui disant qu'il exagérait, car la civilisation judéo-chrétienne n'est pas que cela. Aissa répliqua en lui disant que «hélas elle était surtout cela, donc une non-civilisation, si non quoi» ?

L'abbé fit état des quelques minables emplois subalternes octroyés dans l'administration tel celui d'appariteur réservé aux anciens combattants indigènes de la guerre 1914-1918.

Aissa partit d'un grand rire et invita l'abbé à méditer une scène qui lui fut rapportée, intervenue un jour de marché entre un algérien modeste employé administratif et le petit fonctionnaire qu'il consultait.

«Les caisses de l'administration française sont vides, voilà 6 mois que je ne suis pas payé.Vont?ils me régler la fin du mois prochain ? Est-ce que je ne vais pas perdre mon emploi ?Ma famille aura t'elle de quoi se nourrir» ?

Mon cher Aissa la misère a toujours existé répliqua l'abbé.

«Et oui Mr l'abbé c'est que la misère et l'injustice ont souvent fait bon ménage».

Le partage des richesses a toujours abouti à l'appauvrissement des plus pauvres car c'est la une manière d'accentuer la différence et la domination, l'écart scandaleux des revenus n'est pas une vue de l'esprit, c'est la récompense des exploiteurs fréquemment oisifs.

C'est ainsi qu'on dresse le lit des divergences sociales et des révoltes.

Le colonialisme tente vainement d'imposer un ordre homogène sans ménagement, sans scrupules, flagrant pour broyer, diluer et absorber tout ce qui peut constituer une identité, comporter une personnalité dans une communauté susceptible de reprendre la lutte déjà engagée dés les premiers moments de sa venue.

Il doit tout piétiner et aplatir jusqu'à l'ensevelissement tous ceux qui se sont écartés du modèle commun, après l'exploitation, la faim et la misère. C'est aussi la torture, la prison, la déportation et la mort.

L'abbé interrompit Aissa :«Franchement vous exagérez, il y a quand même un ordre constitué qui s'efforce de faire de son mieux mon cher ami».

«Oui celui la même qui a produit le code de l'indigénat avec sa justice d'exception, un authentique monument des normes les plus oppressives »répliqua Aissa.

«Nous sommes bien loin du siècle des lumières. Elles s'éteignent toutes dés qu'il s'agit de nous».

«Le colonialisme s'évertue à nous plonger dans les ténèbres. Notre lumière a nous c'est la flamme de l'espoir qui demeure éternellement chez tous les peuples opprimés.

A quoi ont servi toutes vos fameuses institutions, précisément toutes vos républiques, tous vos députés, vos sénateurs, dits élus du peuple et d'abord avons nous jamais été considérés comme des sujets de droit ?Comme des citoyens à part entière ?

Dans toutes les hautes juridictions, la cour de cassation, le conseil d'état même celles des degrés supérieurs combien y a-t-il d'algériens ?

Même a-t-on jamais entendu la ou ailleurs chez vous hommes de l'Eglise une voix forte dénoncer les abus, les injustices, les spoliations, les discriminations ? certes non. Bien au contraire on les a encouragés directement ou par abstention».

Par exemple le centenaire célébré en 1930 avec beaucoup de faste alors que l'Algérie croulait et croule encore sous la misère et l'injustice.

Les hommes politiques français ont magnifié la célébration d'une tendance, précisément celles des colons en ignorant et en bafouant tout le peuple Algérien a travers cette célébration.

L'Algérie vinicole et triomphale proclamait sa foi en l'avenir alors que celui-ci bien au contraire était plus incertain que jamais. Encore une erreur grave de plus.

L'Algérie des colons occultait délibérément toutes les révoltes, toutes les demandes, toutes les attentes, tous les espoirs.

Bien avant déjà Messali Hadj et Ferhat Abbas avaient formulé des revendications on ne peut plus claires.

En 1930 l'année du centenaire que de mouvements pourtant tellement significatifs.

La richesse viticole gouvernait l'Algérie d'une main de fer sans réaction, sans inquiétude aucune de la part de ce qui était la métropole, l'Etat, la République française qui aussi se complaisaient dans l'auto -satisfaction.

Il est vrai que le fleuve de vin donc de la richesse qui coulait à flots avait submergé l'économie, la politique à Alger comme à Paris.

L'Oued de la misère par contre se gonflait sans cesse de plus en plus de la pauvreté, la non satisfaction des besoins les plus élémentaires, du dénuement, de l'indigence, de toutes les peines et calamités qu'il charriait. A chacun son cours d'eau.

Mais seulement les auteurs et les bénéficiaires de la célébration du centenaire avaient oublié que la définition littérale du mot Oued exprime le «mot arabe signifiant cours d'eau. Dans la région aride, cours d'eau temporaire qui peut connaître des crues violentes».

Telle est la nature qui peut basculer du calme à la crue violente. De la patience à la révolte.

L'euphorie de la célébration de 1930 était si forte qu'il n y avait place même pas pour la moindre parcelle de lucidité, malgré des indices forts qui signifiaient audacieusement a la cité coloniale qu'elle était mortelle. La sécurité induite par le centenaire était fausse, trompeuse, produit d'une colonisation triomphante sûr d'elle, dédaigneuse et plus qu'arrogante. Quel optimisme sur les supériorités du système colonial.

En quelque sorte une foi inébranlable profonde et solide comme un roc contre lequel viendrait se fracasser la raison en mille morceaux.

A suivre