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Le temps du pouvoir et le pouvoir du temps en Algérie

par Mohamed El Bachir Louhibi

28ème partie



L'abbé évoqua la situation désastreuse de la France avec une inquiétude et des angoisses qu'il avait du mal à cacher et il entrevoyait des lendemains bien sombres tout en s'accommodant à son niveau de Pétain et de sa politique.

Ainsi son opportunisme n'était pas solitaire. L'homme «de Dieu»faisait montre d'un pessimisme affligeant. L'horizon lui apparaissait complètement bouché et l'avenir irrémédiablement compromis. Certes les choses n'étaient pas faciles mais lorsqu'on figure parmi les leaders, furent ils locaux, avec la casquette du spirituel et celle du temporel on est tenu d'être exemplaire, courageux, tenace, persévérant, de nourrir l'espoir et surtout de le propager.

Aissa voyait en lui finalement non pas un ministre de Dieu se limitant a des fonctions honorables et méritoires dans toute la mesure ou propager la bonne parole était toujours bien vu ici comme ailleurs pour autant que l'on ne fasse usage de cette qualité à d'autres fins comme le cambrioleur qui utilise de fausses clefs , mais un être a la limite sans convictions profondes, sans constance, sans idéal voire même sans foi.

L'abbé cherchait par tous les moyens à lire, à retrouver ses croyances politiques, reflet de ses calculs opportunistes chez les autres.

Finalement l'image qu'il donnait de l'Église n'était pas reluisante, loin s'en faut !

Une discrétion et une humilité allant de paire avec sa fonction auraient évité aux laïques voire même aux anticléricaux dont certains parmi les réfugiés espagnols qui avaient fui la répression en Espagne après l'avènement de Franco, de s'exprimer dans des termes peu amènes a son propos.

Le rôle négatif de l'Eglise demeurait en quelque sorte constant. Pie XII à Rome n'a pas eu les réactions que son pouvoir et son rôle exigeaient.

La nouvelle forme d'inquisition née lors de la deuxième guerre mondiale l'a laissé quasi indifférent totalement éloigné de sa mission.

Les intellectuels algériens progressistes pleinement conscients du mutisme de l'Église face aux conditions atroces de la conquête et de la colonisation de l'Algérie ont eu des positions généreuses car ils refusèrent de confondre la religion du Christ et certains gens sans honneur et sans conscience qui prétendaient la représenter.

En effet comment ne pas voir que l'Abbé Lambert à Oran et l'Abbé Perrin à Ras El Ma qui présidaient aux destinées des deux communes n'étaient pas aussi porteurs de multiples casquettes.

Leurs comportements à la limite étaient encore plus condamnables que ceux d'hommes politiques réactionnaires avérés car ils se servaient de la religion et faisaient feu de tous bois.

Par contre, le premier fatalisme et la philosophie du musulman, s'exprimaient en cette circonstance qui ne manqua pas de rappeler l'arrogance de Napoléon à l'occasion de son sacre par le malheureux Pape qui faisait office de figurant pour les raisons de la stratégie politique Napoléonienne.

Alors que l'empereur posait sa couronne sur sa tête, il dit « l'avenir m'appartient»

Le souverain Pontife lui répliqua calmement «Sire, l'avenir appartient à Dieu»

Napoléon qui avait usé et abusé de son génie de la guerre lequel lui permit de modifier la carte de l'Europe plusieurs fois avait achevé sa carrière et sa vie dans des conditions peu glorieuses, laissant une France plus petite qu'il ne l'avait trouvée.

Aissa rappela cet épisode à l'abbé pour ne pas oublier que rien n'est eternel et que l'arrogance de la force a des limites. L'homme sage en politique c'est celui qui sait tirer les leçons et les enseignements de l'histoire qui souvent se répètent.

L'arrogance de tous les despotes se nourrit à la même source : un appétit vorace.

Les propos d'Aissa exprimaient un espoir et une conviction qu'il partageait avec bon nombre d'algériens :voir l'Algérie retrouver son indépendance, sa liberté.

La deuxième guerre mondiale par ses innombrables répercussions ne faisait que confirmer la certitude de la fin de l'ère coloniale.

Pour eux, leur condition économique et sociale était grave mais leur préoccupation principale voulait que la nation algérienne qui n'avait jamais perdu son âme et toutes les raisons d'espérer retrouve sa liberté. Ils savaient déjà que le prix en serait fort et le tribut a payer bien lourd.

Ils étaient persuadés que l'histoire de l'Algerie comme celle d'autres pays s'inscrivait dans un mouvement profond fait d'avances et de reculs. Le progrès, l'émancipation et l'évolution que le colonialisme refusait viendraient inéluctablement. Leur foi leur espérance, leur détermination, leur volonté inébranlables voulaient qu'il en soit ainsi.

C'était tout simplement une question de temps et de prix à payer et quel prix !

Les paradoxes de la politique française ont fait que les rayons du siècle des lumières soient obscurcis par l'ombre de l'hydre coloniale.

Ils étaient significatifs d'une forme d'entêtement aveugle mais aussi perçus par certains des nôtres comme des accélérateurs de la décomposition d'ou renaîtrait obligatoirement le renouveau.

La fin de tous les empires et de toutes les civilisations n' a pas généré que la régression.

L'homme n'est pas né pour rester affalé au sol mais pour réagir,s'adapter, se battre à nouveau, encore et toujours.

Les algériens assistaient aux paradoxes de la politique française qui s'ajoutaient à ceux des pays dits évolués qui ensemble finirent par être sanguinaires, meurtriers.

Les héros de la civilisation Judéo ?chrétienne avaient fini par la faire accoucher de la plus grande des monstruosités :la guerre des masses qui nécessita une industrie de guerre du même nom.

A l'évidence les carences étaient multiformes. politique d'abord lorsque l'on voit l'absence d'un groupe d'hommes susceptible de réagir face aux grands bouleversements

mais tous étaient la pour trôner, survivre et durer dans leurs fonctions, philosophique et culturelle.

Tous les enseignements passés et l'état d'esprit régnant n'avaient pas généré des réactions nationales ou internationales suffisamment fortes pour empêcher l'apocalypse d'abord puis la naissance de l'égoïsme et de l'individualisme au plus haut degré.

Le siècle des lumières n'avait semblé t'il pas été suffisamment lumineux pour empêcher la naissance et la progression de tant de barbarie.

Les morts n'allaient plus se compter en milliers mais par millions. 50 millions dont 26 pour l'URSS qui eut 40 fois plus de morts que la Grande Bretagne.

«Les progrès»de l'Occident ne reculaient pas depuis les génocides des conquistadores jusqu'à la 2ème guerre mondiale et bien au-delà.

La propagation de la mort d'une échelle artisanale, si l'on peut dire, est très vite passée a une dimension industrielle.

A suivre