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Le temps du pouvoir et le pouvoir du temps en Algérie

par Mohamed El Bachir Louhibi

15ème partie



L'inquiétude vit le jour chez les membres du Front Populaire en Algérie et bien sûr chez les communistes algériens.

Eux tout comme les élus musulmans et les autres membres du Congrès Musulmans constatèrent qu'ils furent débordés par le monde rural.

A travers ses réactions il montra aux incrédules et aux hésitants quel potentiel il comportait dans le sens d'une situation carrément engagée et révolutionnaire.

Toutes les tendances prêchèrent le calme, la modération et l'action traditionnelle, ce qui n'empêcha pas les tribunaux de prononcer des peines très sévères et les colons armés de recourir à des actions répressives et impunies contre les grévistes.

Mater par la force les grèves agricoles et autres ne réglait pas les problèmes de fond.

Cela ne faisait qu'augmenter l'injustice, la frustration, la rancœur, alimentant ainsi la révolte qui allait mûrir de plus bel encore.

Les membres du Congrès en plus de ne pas se laisser dépasser par les événements à leur corps défendant, prêchèrent la modération tant auprès des autorités que des grévistes de la terre, en les invitant a faire confiance au Front Populaire.

Le Docteur Bendjeloul, Président du Congrès lança l'appel suivant :

«Rappelez vous que la violence est l'arme des faibles, rappelez vous que la violence engendre la violence.Votre cause est trop juste pour qu'elle ne soit pas entendue et qu'il soit nécessaire de recourir aux brutalités.Écartez de vos rangs et n'écoutez pas les provocateurs étrangers, intéressés parfois à placer votre action sur un terrain qui n'est pas le vôtre, évitez les manifestations violentes et dangereuses pour tous les travailleurs de la terre. Vos légitimes revendications sont inscrites dans notre programme. En attendant leurs solutions prochaines n'abandonnez point vos travaux. Ne vous livrez à aucune violence, à aucune menace, à aucune déprédation.

Il y va de la paix et de la vie de ce pays que nous aimons tous. Respectez autrui dans sa personne et dans ses biens. Notre religion nous le recommande».

Quelle lecture devait s'en suivre ? Une ou plusieurs ? Quel sens donner à tous ces événements d'une portée considérable ?

La nature des liens et leur complexité était telle qu'il était impossible que des événements survenant en France ne soient pas suivis de conséquences en Algérie.

La victoire du Front Populaire en France n'était pas un aboutissement c'était une étape, un événement décisif aux yeux des classes exploitées.

L'espoir de voir les choses changer était immense en Algérie plus encore qu'ailleurs car la différence entre les uns et les autres était de très loin bien plus importante et a la limite les situations des couches démunies étaient incomparables.

Il suffit de citer à ce propos la comparaison des salaires fixés théoriquement, en Algérie de 10 à 12 francs alors qu'en France ils l'étaient de 40 à 100 francs pour les mêmes emplois soit de 4 à 10 fois plus .

Les grévistes algériens cette fois, citadins et ruraux confondus avaient formulé, exprimé en termes clairs des demandes sociales précises, des revendications politiques fortes.

Celles-ci ne s'exprimaient plus seulement en termes pacifiques tels ceux formulés par la délégation du Congrès reçue le 23 juillet 1936 par Léon Blum lui-même à Paris pour demander un rattachement à la France, l'abolition du code de l'indigénat et des lois scélérates, injustes, exploiteuses, humiliantes, honteuses, mères et sources de l'apartheid et de la ségrégation raciale, économique et politique.

En cette circonstance fut remise la charte revendicative des populations musulmanes. Léon Blum avait manifesté sa joie en se disant heureux que des français reçoivent d'autres français , des démocrates reçoivent d'autres démocrates. Il promit de se charger personnellement du dossier des revendications. L'espoir de certains délégués algériens fut très vite déçu.

Léon Blum n'a pas tenu sa parole. Ce qui justifia le pessimisme de certaines élites.

Par ailleurs, la duplicité du Front Populaire une fois arrivé au pouvoir n'allait pas manquer d'apparaître très vite.En effet il y avait un schéma et des réalités politiques en France que le Mouvement National Algérien dans ses composantes les plus diverses n'ignorait pas et dont il tenait compte.

Mais le gouvernement de Léon Blum a fait fi des réalités et des demandes algériennes empreintes pourtant d'une modération incontestable, même chez les dirigeants de l'Étoile Nord Africaine, Messali en tête.

Celle-ci bien sûr fidèle a elle-même revendiquait l'émancipation de l'Algérie donc son indépendance mais dans le respect des intérêts mutuels, réciproques, l'abolition de la ségrégation, de l'exploitation mais n'a jamais souhaité la confrontation même si ses positions étaient considérées comme ultra progressistes pour l'époque et par certains seulement.

En raison de ses positions l'Etoile Nord Africaine ne fut pas admise au Congrès qui fut l'œuvre des élus musulmans et des oulémas.

Il y avait des revendications communes aux membres du Congrès et a ceux de l'Étoile Nord Africaine, mais l'émancipation de l'Algérie n'était pas exprimée en termes aussi radicaux par les premiers.

Avant l'entrevue avec Léon Blum du 23 juillet 1936 la délégation du Congrès rencontra MESSALI à Paris.

Certains de ses membres en nombre plus limité cette fois l'informèrent des promesses de Léon Blum qui s'était engagé a s'occuper personnellement des revendications algériennes.

En fait les oulémas s'étaient fait violence en souscrivant a une démarche politique de cette envergure demandant le rattachement, sous certaines conditions malgré tout, de l'Algerie à la France.

Les communistes et les socialistes des 2 cotés de la mer voyaient d'un bon œil l'initiative du Congrès Musulman car leurs tergiversations, leurs calculs et toute une série de déclarations lors de leurs Congrès ou a travers les actes politiques les plus divers les mettaient mal a l'aise dés qu'il s'agissait de poser et plus encore de résoudre les problèmes posés par le Mouvement National Algérien.

Ils furent «progressistes, libéraux», voire même anti coloniaux lorsqu'il s'agissait de prendre position pour telle ou telle cause comme par exemple l'envahissement de l' Éthiopie par l' Italie, mais, dés qu'il s'agissait de l'Algérie ils manifestèrent une toute autre attitude, timorée, réservée en tout cas inadéquate pour finir par être partiale en certaines circonstances.

A suivre