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Le temps du pouvoir et le pouvoir du temps en Algérie

par Mohamed El Bachir Louhibi

13ème partie



Paroles, rires, rigolades comme tout le reste évoluaient au rythme du nombre de verres consommés.

Au début l'atmosphère se réchauffait lentement et dans l'heure qui suivait les choses s'accéléraient.

Des fraternités et des amitiés se faisaient et se défaisaient en fonction de l'état d'alcoolémie et de celui des caractères selon que les uns et les autres avaient le vin affectueux ou agressif.

Parfois les choses tournaient mal et lorsque les journées étaient plus longues même les enfants assistaient de loin a des bagarres mémorables entre civils et légionnaires ou entre d'autres ivrognes.

Les civils algériens, français ou espagnols de condition modeste se réjouissaient de voir un légionnaire recevoir une bonne raclée.

C'était au moins un point sur lequel ils étaient d'accord car étant unanimes à détester le caractère arrogant et prétendument martial de ceux qu'ils considéraient comme des fainéants improductifs alors que certains d'entre eux trimaient durement au travail pour gagner leur vie.

La police militaire intervenait fréquemment pour sauver les siens qui franchement en général se défendaient très mal dans un combat a armes égales.

Le seul moment ou la légion était appréciée par les habitants européens, c'était à l'occasion du défilé du 14 juillet chaque année à cause de la musique militaire.

Mais les algériens n'étaient pas dupes. Le pouvoir colonial voulait montrer sa force ce qui n'avait pas le don de les impressionner outre mesure, d'autant que leurs aînés étaient des familiers des champs de batailles européens a leurs corps défendants puisqu'ils participèrent aux conflits franco- allemands de 1870 et 1914, 1918 comme pouvaient aussi en témoigner le monument ou des noms d'algériens figuraient comme étant morts pour la France.

Il y a eu 25000 algériens morts sur les champs de bataille en 1914-1918 sur les 173000 combattants algériens.Parmi ceux qui étaient revenus, il y avait beaucoup de blessés.

Leurs traumatismes étaient graves. Ils raconteraient à leurs frères les conditions atroces et les péripéties indescriptibles de ce conflit sanglant.

En ce qu'il les concernait directement, d'abord ils furent toujours envoyés en première ligne par calcul de leurs supérieurs sans jamais faire preuve de cette lâcheté qui se retrouvait chez certains militaires français officiers et simples soldats.

Ils firent preuve de courage, de dignité exemplaires et même de philosophie en leur qualité de musulmans.

Ils n'eurent pas recours au suicide comme il y en eut beaucoup chez les autres qui en firent une forme de délivrance comme le fait de se blesser.

Ils ne participèrent pas non plus aux multiples mutineries et actes de désobéissance qui devinrent assez courants au point de faire réagir les responsables de l'armée qui firent fusiller plusieurs français récalcitrants pour l'exemple.

Qu'importe ! la bataille de Verdun a elle seule avait coûté 500.000 morts. Le prix de la bêtise humaine est incalculable.

Ceux de leurs frères qui avaient grandement conscience de la vanité, de l'inutilité de tous ces «grands sacrifices», dés lors que l'algérien restait une chair à canon, taillable et corvéable à merci, étaient loin de s'imaginer quelle affreuse boucherie combien plus sanguinaire et meurtrière les attendait lors de la deuxième guerre mondiale dont l'abcès avait mûri lentement mais sûrement depuis le fameux traité de Versailles de 1918 imposé à l'Allemagne.

Les discriminations s'affichaient encore avec plus d'arrogance après chaque grande épreuve a laquelle l'Algérie payait un lourd tribut.

Léon Blum qui venait de constituer son gouvernement le 4 juin 1936, année du Front Populaire avait crée un sous secrétariat d'Etat pour l'organisation des loisirs et des sports.

Confié à Leo Lagrange et nommées pour la première fois en France 3 femmes ministres dont Mme SUZANE LACORE ministre de la protection de l'enfance.

Les échos des fameux accords MATIGNON intervenus le 7 juin 1936 en France arrivèrent jusqu'ici dés lors qu'ils prévoyaient une augmentation de salaire de 7 à 15%, des contrats collectifs de travail, la reconnaissance de l'exercice du droit syndical et la création de délégués du personnel.

Le 11 juin, Léon BLUM, devant la menace significative de 2 millions de grévistes en France faisait voter en toute hâte la semaine des 40 heures pour 48 heures de salaires.

Malgré cela des grèves importantes continuèrent. La mise en place du gouvernement du Front Populaire n y avait pas mis un terme.

Les travailleurs algériens en France, sous l'égide de l'Étoile Nord Africaine participèrent au mouvement de grève général malgré les tentatives du patronat pour en faire des «jaunes» perturbateurs.

Ils s'étaient joints aux grévistes français pour occuper les usines a leurs côtés.

Le 24 juin 1936, les 10.000 algériens présents, commémorèrent la Commune de Paris devant le mur des fédérés en même temps que le souvenir de l'insurrection de 1871 en Algerie.

Le défilé du 14 juillet 1936 fut l'occasion pour 5000 algériens d'y participer pour dénoncer le code de l'indigénat.

Malgré les hésitations, les atermoiements du Front Populaire, la solidarité initiale des travailleurs émigrés algériens resta entière. Ils prirent des engagements et ils les ont tenus en homme de parole et d'honneur.

L'agitation sociale était à son comble en France. Une partie sans doute de l'explication vient de la philosophe française Simone Weil témoin et contemporaine de ces événements décisifs, passionnée sa vie durant par une ardente recherche de la justice sociale et qui l'exprima ainsi : «Si le gouvernement avait pu obtenir pleine et entière satisfaction par de simples pourparlers, on aurait été bien moins contents. Il s'agit, après avoir toujours plié, tout subi, tout encaissé en silence, pendant des mois et des années, d'oser enfin se redresser. Se tenir debout. Prendre la parole à son tour. Se sentir des hommes pendant quelques jours. Indépendamment des revendications, cette grève est en elle-même une joie. Une joie pure, une joie sans mélange. Joie d'entendre, au lieu du fracas impitoyable des machines, symbole si frappant de la dure nécessité sous laquelle on pliait,de la musique, des chants et des rires.

On se promène parmi ces machines auxquelles on a donné pendant tant et tant d'heures le meilleur de sa substance vitale et elles se taisent, elles ne coupent plus de doigts ,elles ne font plus mal. Joie de passer devant les chefs, la tête haute... On est comme les soldats en permission pendant la guerre.» A suivre