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Pouvoir, «hirak» et Covid-19

par Ghania Oukazi

L'an II du mandat du président de la République devra connaître un nouveau cycle de contraintes politiques, économiques et sociales conséquemment à la propagation du Covid-19 et aussi à sa longue absence du pays.

La première année de la mandature de Abdelmadjid Tebboune a été sérieusement secouée par l'apparition et les effets de la crise sanitaire sur l'ensemble des secteurs d'activité. De plus, elle a été pratiquement suspendue à cause de son transfert en Allemagne pour être soigné du Covid-19 qu'il a curieusement contracté alors qu'il ne s'approchait de personne excepté les membres de sa famille et que tous ceux qui devaient assister à ses activités devaient impérativement se faire faire la veille un test de dépistage par PCR.

Hier encore, la rumeur de son retour de l'étranger continuait d'être propagée dans le microcosme algérois. «On dit qu'il va atterrir à 15h», nous a dit un haut responsable qui n'avait pas l'air d'être renseigné à ce sujet. En attendant que la présidence de la République daigne bien donner des précisions sur cette question, il est rappelé ici et là que l'agenda politique de Tebboune pourrait connaître des perturbations importantes en raison, entre autres, des grandes hésitations qui animent une classe politique que le Covid-19 a fait éclipser de la scène nationale.

Les partis politiques avaient toute latitude de réagir à la décision du président de faire élaborer la loi électorale par la Commission Laraba «dans les plus brefs délais, dans les 10 ou 15 jours à venir» comme il l'a fait savoir par son tweet diffusé à partir de l'étranger le 13 décembre dernier. Ce qui signifie que la loi en question doit être en principe prête et bien ficelée. Mis à part une déclaration ici et là d'un ou deux de leurs premiers responsables, les partis politiques semblent s'enfoncer dans leur insipidité depuis que Tebboune a pris les commandes du pays. Une nouvelle loi électorale pour des élections législatives et locales anticipées suppose en évidence une forte mobilisation de la classe politique pour arracher des sièges au niveau de la chambre basse du Parlement et au niveau des APC et des APW.

Une APN contestée pour construire «la nouvelle Algérie»

A moins que cette classe préfère se complaire des usages d'un pouvoir qui l'a toujours assujettie à une humiliante politique de quotas. Une politique à laquelle tous les partis d'opposition y compris les plus zélés se sont pliés sans rechigner. Leur dénonciation de la fraude électorale ne les a jamais empêchés de siéger dans des assemblées élues par un tel subterfuge. D'ailleurs aucun parti politique n'a été dérangé par l'adoption de textes de loi importants comme la Constitution et la loi de finances par une APN accusée d'avoir vendu ses sièges à coups de milliards, selon les aveux de Tliba député du FLN, le parti majoritaire.

Tout autant que ces magistrats civils et militaires désignés pour effacer tout le travail de leurs confrères et reprendre à zéro de lourds dossiers, le nouveau pouvoir n'en démord pas et continue d'apposer la griffe d'une APN contestée sur des textes donnés pourtant pour servir de socle à «la Nouvelle Algérie» du président de la République.

Depuis son intronisation en tant que tel, Tebboune a toujours affirmé répondre aux revendications d'un «hirak» qu'il a béni dans ses discours et sacralisé dans le préambule de sa constitution. Un «hirak» qui aurait tenté de battre encore le pavé même affaibli, n'était-ce la propagation du Covid-19 qui l'a obligé à se confiner comme le reste du pays. Près de deux ans après son occupation des rues d'Alger et d'autres wilayas, le mouvement populaire de contestation n'a pas réussi à construire des alternatives précises et structurées de sortie de crise et dont la faisabilité aurait défié les décisions du pouvoir. Paradoxe des temps, c'était le pouvoir incarné par Bouteflika qui avait proposé au «hirak» de participer à une conférence nationale pour mettre au point une feuille de route «consensuelle» comportant les étapes à franchir pour revenir à la légalité constitutionnelle. C'était Nouredine Bedoui alors 1er ministre qui en avait esquissé les contours dans sa première et dernière conférence de presse qu'il avait animée le 14 mars 2019 au CIC. A une question sur le comment de la représentativité du «hirak» dans cette conférence, Bedoui avait répondu que «ce n'est pas au gouvernement de lui dicter comment se faire représenter, ils doivent s'entendre entre eux(...)». Un mois après, le 2 avril 2019, le chef d'état-major de l'ANP, le général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah appliquait l'article102 de la Constitution obligeant le président Bouteflika à démissionner.

Quand le pouvoir change de feuille de route

Réfutant l'approche consensuelle et la tenue de la conférence nationale, Gaïd Salah s'est porté garant «d'un ordre constitutionnel et de son respect» jusqu'à l'élection d'un président de la République. Des sources proches des cercles du pouvoir nous révèlent pourtant que le chef d'état-major avait eu entre les mains un canevas de représentativité du «hirak» en vue de le faire participer à toutes les décisions politiques qui devaient être prises d'une manière «consensuelle» pour régler les problèmes du pays. L'on nous fait savoir que des politiques de renom avaient proposé à Gaïd Salah d'appeler le «hirak» à se faire en premier représenter dans chaque commune. «Les hirakistes devaient être appelés à choisir un mode de désignation d'un représentant par commune, l'idée d'une conférence nationale devait alors se transformer en une rencontre réunissant leurs 1542 représentants et à laquelle le gouvernement Bedoui devait se contenter de lui assurer uniquement la logistique», soutiennent nos sources. L'étape suivante, ajoutent nos interlocuteurs, était d' «esquisser les contours d'un programme politique de sortie de crise qui devait être discuté au niveau de chaque wilaya en présence des délégués du hirak des communes élargis à d'autres délégués au niveau des daïras, tous devaient se réunir dans leur chef-lieu de wilaya pour désigner leurs représentants et venir participer à une autre rencontre, celle-là pour mettre au point les actions à entreprendre pour faire adhérer tout le monde à un processus politique innovateur». L'idée était «de se rapprocher un peu de celle insistante de certaines figures du hirak d'une assemblée constituante», ajoute-t-on encore.

Une assemblée qui, faut-il le dire, n'emballe pas tout le monde parce que disent nos sources «elle mettra en péril les fondements de la République algérienne inspirés du message de novembre». Ce canevas «d'organisation de la contestation populaire pour la faire participer dans le choix d'options politiques reflétant ses revendications a été refusé par les proches conseillers de Gaïd Salah et par lui-même», nous apprennent nos sources. «Le pouvoir a changé de fusil d'épaule, il n'était plus question pour lui de rechercher un consensus national mais il avait décidé de lancer un processus de «restauration» d'un système politique en sacrifiant ses éléments de service les plus en vue et sur lesquels il avait toujours compté pour renforcer son règne», affirment nos interlocuteurs. A l'époque, l'allié de Gaïd Salah dans cette entreprise a été l'actuel ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, auquel il avait ordonné à cet effet : «il faut aller jusqu'au bout».