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Crise sanitaire et formation paramédicale: Des lacunes à combler

par Ghania Oukazi

«La formation des personnels paramédicaux n'a jamais obéi à une feuille de route par laquelle les autorités publiques lui fixent un ratio pour répondre à des besoins précis de services de santé ou d'unités de soins», affirme le professeur Mustapha Khiati.

Pour avoir été directeur de la formation médicale et paramédicale de 1984 à 1989, le professeur Mustapha Khiati peut expliquer aujourd'hui ce qui a projeté l'Algérie dans un besoin accru de paramédicaux en ces temps de pandémie de Covid-19. «Durant les 5 années où j'étais directeur de la formation médicale et paramédicale, les programmes ont connu d'importants changements pour pouvoir répondre aux besoins du pays en personnel paramédical à travers l'enseignement de 32 filières, ensuite j'ai décidé de suspendre des filières pour essayer de former uniquement des infirmiers», nous a-t-il fait savoir. Le professeur de pédiatrie qui assure ses consultations au niveau de l'hôpital d'El Harrach, a souligné qu'«on a introduit le bac en 88 dans cette formation». La semaine dernière, le ministre de la Santé en personne a avoué que «nous avons un manque flagrant de personnel paramédical dans les hôpitaux(?), il y a des hôpitaux qu'on a inaugurés mais ne fonctionnent pas encore parce qu'ils n'ont pas d'assistants en anesthésie et de spécialistes en radiologie». Avant lui, c'est le directeur général du CHU Mustapha Pacha qui a lancé un appel pressant aux autorités publiques pour renforcer les équipes paramédicales. Abdesselam Benana l'a fait dans les colonnes de l'édition du 15 novembre dernier. «Le directeur général du Centre hospitalo-universitaire Mustapha Pacha lance un appel pressant aux pouvoirs publics pour renforcer les personnels des paramédicaux afin de faire face aux urgences provoquées par l'aggravation de la situation sanitaire», écrivions-nous. «Rien ne nous interdit de remobiliser les retraités paramédicaux et auxiliaires pour renforcer les équipes au niveau de la consultation et de la réanimation», a-t-il suggéré.

Fermeture des écoles paramédicales en 2011

«Il faut un système de rémunération spécifique à cette catégorie de personnels qu'on doit impérativement et immédiatement injecter dans les établissements hospitaliers du pays», a affirmé Benana. Le professeur Kamel Haiel, chef de service de l'unité consultation Covid-19 du CHU, l'avait conforté dans ses propos en relevant qu' «on ne s'est pas arrêté depuis le 21 mars dernier, jour de l'apparition du 1er cas en Algérie, le corps paramédical c'est le maillon fort dans la gestion de cette pandémie au niveau des hôpitaux parce qu'il est aux premières lignes, c'est pour cela que les paramédicaux sont les plus contaminés». Le professeur Rachid Belhadj, chef de service Médecine légale et directeur des Activités médicales et paramédicales, a soutenu nos deux interlocuteurs en indiquant que «les moyens matériels sont là mais les moyens humains sont insuffisants, ils sont épuisés et beaucoup ont été contaminés, il est temps de renforcer notamment les personnels paramédicaux des hôpitaux». A ces demandes expresses, le ministre de la Santé avait répondu par la négative en affirmant qu' «on n'a pas besoin de renforts au niveau des hôpitaux».

Le professeur Khiati pense que «c'est parce qu'il y a eu d'importants départs à la retraite ces dernières années mais la relève n'a pas été assurée». Pour lui, «la formation a connu des hauts et des bas, elle a évolué en dents de scie». Selon lui, «les écoles paramédicales et leurs succursales ont arrêté d'assurer les formations en 2005, à part quelques-unes partielles dans certaines régions du pays». La fermeture totale de ces écoles a eu lieu en 2011 pour ne rouvrir leurs portes qu'en 2017. «Mais elles n'ont jamais répondu à des besoins bien définis pour des services de santé ou des unités de soins parce que depuis 2003, aucune statistique n'est sortie du ministère de la Santé», affirme Prof Khiati. Il souligne que «l'Algérie n'a jamais adopté de normes ni en médecins ni en paramédicaux». Il rappelle que «nous avons réalisé des projets d'hôpitaux de 240 lits pour lesquels on a ramené des équipements mais on n'a pas pensé à la ressource humaine qui les fait fonctionner». Selon lui, «on n'a jamais eu de statistiques pour savoir combien de consultations se font au niveau des CHU, de malades qui sont hospitalisés, de pathologies qui sont soignées, de décès enregistrés et quelles en sont les causes, par région? Aucune projection ne peut être faite sans ces statistiques».

«L'urgence de la formation d'équipes qui se relaient»

Pour lui, «nous n'avons pas de gestionnaires qui connaissent bien les problèmes de santé publique pour pouvoir faire des projections pour leur prise en charge». Il déplore le fait que «le secteur de la santé n'a jamais eu de dispositif de veille qui permet d'anticiper sur les besoins du fonctionnement de ses établissements». Il déplore notamment l'obsolescence de la formation des paramédicaux qui repose, dit-il, «sur le principe du ministère de la Santé de l'infirmier qui ne peut être formé que par l'infirmier qui très souvent n'a pas de diplôme quand il est issu des anciens corps, il est donc sous-formé».

Il note qu' «on a demandé à ce que la formation (théorie) soit confiée à l'université pour qu'elle permette d'ouvrir des perspectives et créer des passerelles pour ceux qui en bénéficient, et la pratique doit se faire au niveau des hôpitaux». Mais, dit-il, «le ministère s'obstine à garder la théorie et la pratique».

Autre constat amer pour Khiati, «il fallait sortir le Covid-19 des CHU pour ne pas en obstruer les plateformes spécialisées et priver les malades chroniques de soins qui leur sont vitaux». Il propose encore une fois «l'utilisation des 630 lits des résidences universitaires que comptent le pays mais restées longtemps fermées à cause de la pandémie». Il recommande de «faire appel aux volontaires comme l'a fait l'Allemagne et a eu 10.000 étudiants en médecine qui sont venus en renfort». Il pense qu' «on peut faire la même chose, rien qu'Alger compte 30.000 étudiants en médecine (résidents compris), ils peuvent être appelés par vague pour 6 mois chacune moyennant une petite formation». L'urgence pour lui est de «former des équipes qui se relaient». D'autant, conclut-il, qu' «on ne sait pas comment va évoluer le virus même avec le vaccin».