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Quand la société néglige son autre moitié

par Kamal Guerroua

Il y a quelques mois une jeune fille doctorante a publié sur les réseaux sociaux un petit post où elle s'indignait avec force de l'exhérédation de la femme algérienne. En remontant dans l'histoire, l'enseignante évoque, à titre d'exemple, la réunion des confédérations tribales au milieu du XIXe siècle, en Grande Kabylie, et leur décision improvisée et quasi paternaliste de mettre la femme au ban de la société. Fille unique très instruite dont les parents sont décédés, elle a sollicité ses amis virtuels à l'assister juridiquement pour faire valoir ses droits d'héritage de la totalité des biens de son père, qui lui reviennent (selon elle), de droit. Profitant de cette petite annonce, elle décrit avec un luxe de détails l'absurdité du code de la famille, lequel renforce le système patriarcal qui régit encore les mentalités chez nous, au point de laisser la femme subir un statut d'infra-humanité légal. Pourquoi on parle toujours au nom de la femme au sein de Tadjemâat, en la considérant «immature», «irrationnelle» et «illogique»? Pourquoi fait-on fi du droit de la femme à la parole et à l'existence comme égale de l'homme ? s'insurge-t-elle, avant de répondre «c'est parce que la femme est prise pour quantité négligeable par la société des hommes, une simple «khodra fouk âacha» (un mets de nourriture servant de dessert). Désabusée, la fille se met alors à raconter quelques anecdotes de son parcours académique où les remarques machistes et les comportements misogynes étaient légion. Et pourtant, cette jeune femme a fait ses preuves dans la recherche scientifique, l'enseignement, le militantisme et compte publier des ouvrages. Bref, un exemple réussi que beaucoup d'hommes, pourtant dotés de moyens et de capacités, n'ont pas atteint !

Cela me rappelle, une autre anecdote, celle d'une psychologue algérienne que j'ai connue en France. Brave, belle et intelligente, la jeune fille, encore étudiante au moment des faits, n'a jamais supporté qu'on la traite de moitié d'homme ou de «naqisat aql» (elle manque de raison), pour emprunter un terme de la théologie islamique. Comment en serait-il autrement, alors qu'elle a pu, grâce à ses seuls efforts financer ses études dans l'autre rive de la Méditerranée, sans bourse ni sans aide d'aucune partie que ce soit ? Au bout de sept ans, elle s'est perfectionnée en langue française qu'elle arrive maintenant à maîtriser alors qu'elle n'était au départ qu'une arabisante plus ou moins formée. Et comme la lutte ça paye toujours, elle a décroché un diplôme de doctorat en psychologie à la Sorbonne et a pu même publier dans une des grandes maisons d'édition françaises un livre scientifique. Pour elle, la phraséologie misogyne, typique de l'islamisme, s'est généralisée pour atteindre de larges strates de la société qu'on croit pourtant cultivées.

C'est en partie lié à une calcification des mentalités due au fait religieux, que la modernité n'a pas pu domestiquer. Ce qui fait du corps de la femme le théâtre de tous les conflits charnels, culturels, psychologiques, religieux, philosophiques. «Ça y est, conclut-elle ? en souriant avec ironie, mon corps, mon cerveau et mon esprit m'appartiennent pour de bon, le reste du charabia religieux c'est à vous les hommes de le ramasser !» Ces deux exemples de deux femmes instruites, issus du fond algérien, montrent que l'espoir est encore permis pour la conquête d'une société égalitaire.