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LA LANGUE AU CHAT

par Abdou BENABBOU

A entendre des jeunes et des moins jeunes, des acteurs de la vie économique, des travailleurs et des sans-travail, des logés et des mal-logés, des aigris et des fatalistes, et tous les discoureurs volontaristes et ceux plus avisés, on peut comprendre un peu mieux pourquoi la grande majorité de la population est allergique à toutes les formes de la votation. Peut-être que ce récent référendum n'est pas venu en son temps. Peut-être fallait-il aussi le dégarnir des institutions pesantes et décriées qui l'ont sûrement entaché par leurs visages ternis depuis l'éternité.

Contrairement à ce qui est dit et affirmé, il n'y a pas eu un petit pas entre le Hirak et les dernières élections. Ils se rejoignent dans la forme et dans les préliminaires des énoncés, mais le fond d'une complicité certaine est sérieusement étriqué.

Une frange conséquente de ce conglomérat existant est solidaire du préconçu des manifestations coléreuses des masses, mais se dit soupçonneuse quant à l'hétérogénéité de sa genèse et qu'en la matière la prudence est recommandée. A les écouter encore, on saisit mieux la cause d'un désintérêt flagrant face à la finalité d'une nouvelle Constitution que très peu ont lue parce que perçue comme une intrusion, amplement vague et prompte à s'assimiler à un dessert pour estomacs repus. Non pas qu'elle ne mesure pas la portée d'un tel texte, mais les esprits étant préoccupés par les tiraillements nombreux du quotidien renvoient inlassablement à la primaire recherche de commodités terre à terre plutôt que de s'investir dans un débat politique dont les bénéfices semblent lointains. La pandémie d'abord, avec sa chape de plomb stressante, puis l'hospitalisation du président de la République ensuite se sont mises de la partie pour figer de multiples interrogations sur un présent compliqué et sur un futur incertain. L'une et l'autre malgré les assurances officielles répétées ont amplifié le débit d'une douche froide pour que le cœur et la pensée soient versés à un débat devenu sérieusement atrophié.

En attendant, tout le monde donne sa langue au chat pour ne pas savoir de quoi demain sera fait.