Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

De pays de demain et de l'Algérie post-novembriste

par El-Houari Dilmi

Dimanche 1er novembre. Pour une fois, ce n'est pas un jeudi que les Algériens se rendront aux urnes. Et parce que la politique est le seul métier qui se passe d'apprentissage, sans doute parce que les fautes en sont supportées par d'autres que par ceux qui les commettent, une question se « pose d'elle-même », comme dirait l'autre : la main à l'ouvrage, à quoi peut rêvasser un ouvrier raboteur d'urnes ? A la qualité du bois « donné à manger » à son métier, passé de toutes les modes et si loin de tous les temps ? A comment utiliser une échelle quand on a toujours adoré l'ivresse de l'escabeau ? A l'Algérie « post-novembriste» qui surgira de derrière les isoloirs en caftan doré ? Au prix de la baguette de pain et du sachet de lait d'ici à l'arrivée annoncée du même et unique aréopage gouvernemental ? Au destin flou de ses congénères d'infortune, les ouvriers déclassés sociaux et de tous les travailleurs maintenus au ras de toutes les échelles ? Réputé pour être le contribuable le plus honnête du pays, le travailleur-salarié à la suée sous-payée et aux sous-vêtements délavés attend toujours de se voir, enfin, « rétribué » pour son rôle de citoyen mi-mort, mi-vivant, au service d'un pays resté trop longtemps inutile aux yeux de ses propres « occupants »... Par l'effet spécial d'un psychédélisme d'un autre âge, le salarié au cœur fripé est préféré au privé vampirisé, aux castrateurs d'ambitions, aux vendeurs de rêves périmés, aux « blouseurs » aux crocs érodés, aux abuseurs de la pire espèce et même aux « embobineurs » de tous poils. Feu le lumpenprolétariat aura vécu qu'il est aujourd'hui enfin porté au pinacle par ceux-là mêmes qui ont scié la « branche grasse » sur laquelle il roupillait sans jamais cauchemarder des lendemains cruellement « déchantants ». Moyennant une urne à la fente obstruée, il paraît que le travailleur salarié rêve debout d'un salaire net « allongé » de quelques dépoussières, en attendant que le prochain cascadeur-alpiniste atteigne sans piège à loup, ni chausse-trape, le sommet de la république. Dehors, le peuple des votants à la tête à parler de la Issaba « coffrée », et de ces hommes anthropophages qui ont dévoré le pays.

Un peu plus haut, dans les alcôves secrètes des cimes ennuagées, chez les hommes souffrant de « politite », l'on parle avec effroi de ce scientifique-trapéziste qui a osé le saut dans le grand vide en se jetant tête la première dans le marigot des caïmans avec une chance sur mille de gagner un kopeck au marché aux dupes. Plus rien ne sera comme avant ; seuls les meilleurs d'entre les meilleurs survivront à l'Algérie post-referendum par la grâce d'une « sélection naturelle » imposée par la « main » toujours invisible de « l'Autre ». En pataouète dans le texte, cela veut dire que seuls les plus costauds aux épaules aussi larges que le Mur de Berlin, les discoureurs de métier, les débrouillards par vocation, les vicieux de formation, les fourbus de naissance et, avec eux, toute l'engeance des «esprits malins» auront droit à leur portion d'Algérie. Le reste, c'est-à-dire les autres, tous les autres, les pressés, les compressés, les laissés-sur-le-carreau, les sans-grade, les sans-niveau, les sans-destin, les sans-avenir, les sans-le-sou, les sans-logis, les sans-boulot et les sans-veines seront momifiés vivants et enfouis dans des sarcophages faits à partir de boyaux de chacal.

L'Algérie post-novembriste sera ou ne le sera pas : elle le sera pour tout le peuple des votants sans distinction de couleur de peau, de tour de taille, de volume de ventre, de grosseur de cou, d'épaisseur de poches ni même de goût de gibier mal chassé ou d'odeur de bergerie. L'Algérie ne le sera pas pour tous les autres : les algéro-sceptiques en réserve de la République, les bourreurs et les boudeurs d'urnes, ceux qui pensent que les élections encouragent le charlatanisme, les déserteurs des grands rendez-vous, les abonnés-absents à tous les appels. Et toute cette faune qui se cache derrière un silence de mort quand tout le pays, en surface et par grand fond, a une envie folle de faire un boucan d'enfer...! Chez nous l'Histoire se refait. Assurément !