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Quotas imposés à l'importation des kits CKD/SKD: Mise à mort de l'industrie automobile ?

par Z. Mehdaoui

La décision du ministère de l'Industrie concernant les quotas d'importation des kits CKD/SKD imposés aux usines de montage de véhicules en Algérie suscite inquiétudes et interrogations sur le devenir du secteur.

Mercredi 22 mai 2019, les opérateurs exerçant une activité de montage automobile ont été destinataires d'une lettre du ministère de l'Industrie et des Mines, plafonnant, de façon unilatérale et rétroactive, leurs importations de collections SKD destinées à la production et au montage de véhicules de tourisme pour l'année 2019.

Cette décision fait donc suite aux déclarations du ministre du Commerce, Saïd Djellab, qui avait annoncé plus tôt ce mois que « la première mesure à prendre c'est d'aller coûte que coûte vers une diminution sensible des importations de kits SKD/CKD dans l'attente d'autres mesures ».

Un plafond dérisoire d'à peine deux milliards de dollars a été fixé par le gouvernement pour les importations de kits CKD et SKD destinés à l'industrie locale de montage automobile. Pour les acteurs du secteur, cette décision est tout simplement insignifiante et risquent de mettre carrément à mort leurs unités d'assemblage et, par conséquent, l'ensemble de la filière, à peine naissante, de l'industrie locale de montage automobile. Des centaines de postes d'emploi sont également menacés de disparaître.

A-t-on réfléchi aux conséquences d'une telle décision ? Non, répond la majorité des experts du domaine qui affirment que cette décision a été prise à la hâte sans qu'il y ait une vraie stratégie discutée ou réfléchie dans ce sens. Selon des analystes, prendre une telle décision confirme une réelle absence de stratégie qui risque d'avoir des conséquences négatives sur l'économie mais également sur la crédibilité du pays par rapport aux investisseurs intéressés.

Pourtant, il y a à peine cinq ans, l'industrie automobile a commencé à tracer son chemin en Algérie en ouvrant la porte à plusieurs investisseurs étrangers dans le domaine du montage des véhicules. Les grandes marques comme Renault et Volkswagen ont vite répondu présent. On parlait même d'exporter des véhicules montés localement dès la fin de cette année. A travers cette décision, et celle de relancer l'importation des véhicules de moins de trois ans, le gouvernement tente en fait de calmer la contestation populaire, espérant faire baisser les prix des véhicules. Mais, selon les experts, l'importation des véhicules de moins de trois ans, avec les conditions arrêtées par le ministère du Commerce, coûterait encore plus cher au gouvernement.

Pourtant, avec les milliards de dollars investis dans le secteur, le gouvernement prévoyait d'atteindre 250.000 véhicules en 2019 et 500.000 à l'horizon 2022, au moment où l'objectif escompté n'a pas été atteint, notamment en termes de rapport qualité/prix/équipements, d'une part, mais surtout de valeur ajoutée de cette industrie qui revêt, pour le moment, un caractère budgétivore.

Une décision prise par un SG par intérim a-t-elle une valeur légale ?

Ce qui suscite par ailleurs moult interrogations c'est si cette lettre, signée par l'ancien secrétaire général du ministère de l'Industrie, Belkacem Ziani (remplacé quelques jours plus tard), a une quelconque valeur légale, sans qu'elle ne repose sur aucun ancrage juridique existant.

En effet, l'activité de production automobile est règlementée depuis le 28 novembre 2017 par un cahier des charges annexé au décret exécutif n° 17-344. De plus, tous les projets en activité ont obtenu l'accord préalable du Conseil National de l'Investissement, que leur garantit un plan de production correspondant à des volumes clairement définis dans leurs business plans. Un simple courrier émanant de l'Industrie saurait-il remettre en cause ces acquis ?

Enfin, le ministère de l'Industrie a-t-il pour prérogative de définir unilatéralement le montant du plafonnement et sur quelle base le fait-il ? Encore une fois, il aurait fallu une base juridique pour que les « quotas » soient définis de façon transparente.

A l'heure où des responsables politiques passent devant la justice pour justifier des avantages octroyés aux différents opérateurs lors des vingt dernières années, le gouvernement Bedoui peut-il se permettre de distribuer des quotas sans base légale et dans l'opacité la plus totale ?

En second lieu, il est légitime de se demander pourquoi le gouvernement Bedoui s'attaque à la production automobile, au moment où celle-ci négocie le tournant de la sous-traitance et de l'exportation.

En effet, le cahier des charges de 2017 donne la part belle à l'exportation de composants automobiles produits localement dans la formule de calcul du taux d'intégration locale. Dès 2020, tous les opérateurs devront obligatoirement commencer à exporter de la pièce vers les constructeurs pour espérer atteindre le taux d'intégration requis. Plus un opérateur importera de kits SKD, plus il devra exporter de pièces et composants. Plafonner l'importation de kits SKD revient donc à limiter l'exportation.

La décision du gouvernement Bedoui met en danger l'ensemble de la filière, qui a besoin de ces volumes pour se développer, soutiennent des observateurs du secteur.

Quel investisseur étranger acceptera en effet de produire sa pièce en Algérie dans un tel climat d'instabilité juridique changeant chaque année? Pour rappel, en juin dernier le gouvernement évoquait déjà de revenir sur les exonérations de TVA dont bénéficient les opérateurs. Bien que le gouvernement ait finalement fait marche arrière, c'est la crédibilité de l'Algérie qui en a pris un coup.

En dépit de l'aspect économique, cette décision a des conséquences directes sur le consommateur en premier lieu et sur l'emploi en deuxième lieu.

Les véhicules de moins de trois ans, de la poudre aux yeux ?

L'autre annonce qui relève plus de la gageure c'est la décision, du moins en théorie, d'autoriser l'importation des véhicules de moins de trois ans.

Comme indiqué dans l'analyse, l'argus les véhicules d'occasion de moins de 3 ans seront chers et ne seront pas concurrentiels aux véhicules produits en Algérie. Ce qui nous fait déduire que le consommateur qui devrait acheter sa devise au Square Port Saïd (marché noir), les mettre dans la banque, prendre un billet d'avion et un hébergement à l'étranger, ne sera pas au final content, puisque le véhicule sera toujours cher.

Aussi, les prix vont enregistrer une flambée chez les constructeurs car l'offre étant limitée et la rentabilité des usines est remise en cause.

Selon des concessionnaires automobiles, la décision de plafonner les quotas d'importation des kits aura dès les premiers mois des conséquences désastreuses sur l'ensemble des constructeurs automobiles en Algérie et cela dès les premiers mois de son entrée en vigueur.

Cela va de la mise en chômage technique de milliers de travailleurs des différentes usines dès la consommation des quotas mais aussi jusqu'à la perte du savoir-faire acquis durant ces deux dernières années. Pertes des centaines d'heures de formations comptabilisées dans le cadre du transfert de savoir-faire.

C'est en effet une opacité totale quant à l'avenir de ces usines dans le cas où de nouveaux quotas ne seront fixés qu'en 2020 : à quelle date ils seront fixés ? Les employés seront-ils maintenus d'ici-là? Les concessionnaires pourront-ils résister ?

Ce sont là quelques questions auxquelles ne répond pas pour le moment le gouvernement.

Par ailleurs, les concessionnaires sont obligés, comme l'indique le cahier des charges, de faire 30% d'intégration de pièce à partir de 2020. Cependant cette instabilité juridique remet en cause tous les projets mis en place car l'investissement dans la pièce de rechange ne peut pas se faire si la production est limitée et si les objectifs de production n'évoluent pas en quantité.

Les concessionnaires qui ont des projets d'exportation de la pièce de première monte vers le constructeur, comme c'est le cas de Sovac Algérie, risquent de ne plus voir ces projets se concrétiser.

Le constructeur allemand ne pourra plus faire confiance à l'Algérie et il ne peut pas risquer d'acheter de la pièce de première monte pour alimenter ses usines, si la stabilité juridique n'existe pas.