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Le FLN: «Parti-alibi, fonds de commerce, faire-valoir, marchepied?» (1ère partie)

par Kamel Khelifa

L'ouverture de la réunion extraordinaire du Comité central du FLN commença par des escarmouches, entre membres de ce parti dont nombreux sont ceux qui ne veulent plus se laisser conter, quant à la désignation, les yeux fermés, du Secrétaire général, comme à l'accoutumée.

Se sentant libérés par le Hirak, comme les autres institutions (Armée, Magistrature, Syndicats, etc.), certains cadres du FLN exigent l'application stricte du règlement intérieur pour la désignation du nouveau bureau? Voilà que l'indépendance des institutions gagne du terrain en ampleur, intensité et transparence et nous assisterons probablement, à l'issue de cette réunion inédite, à l'émergence de nouvelles têtes? Mais quelle légitimité reste-t-il encore au parti historique ? Nous tentons dans cet exposé d'en donner la réponse.

De l'avertissement du Peuple au FLN en 88

Depuis l'indépendance, on n'a pas cessé de faire jouer des mauvais rôles au parti du Front de Libération Nationale, par l'emprunt de son sigle (FLN) et le fonds de commerce de la lutte de libération par lui ? symbolisée. Cette situation du fait accompli, obligera depuis le début les autres chefs historiques et pères fondateurs de ce parti ( Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem, Mohamed Khider, Hocine Ait Ahmed) de créer individuellement, leur propre parti.

Les instruments politiques et les ressorts historico-révolutionnaires du FLN, empruntés par le duo Benbella-Boumediene, devaient leur servir de socle immuable à leur auto-proclamation, à l'aube de l'Indépendance. Par ailleurs, ils s'érigeront comme tuteurs bien pensants d'un peuple qui a sacrifié environ 18% de sa composante humaine pour être libre et indépendant.

L'objet de cette réflexion est donc de se pencher sur le cas d'un des rares partis politiques du monde, où le peuple en était légitimement le seul et unique dépositaire? Cette réalité nous renvoie à la dépossession de la souveraineté de ce peuple et au discours de servitude volontaire énoncé par le philosophe français Etienne de la Boëtie. Voir mes précédents articles « In Le Quotidien d'Oran », où ces sujets furent développés. Pourtant, à la première occasion venue, où les Algériens eurent la liberté, offerte par Chadli Bendjedid de voter démocratiquement, ils sanctionnèrent par les urnes le FLN. Ce vote sanction traduit le niveau de ressentiment d'un peuple qui exprima sa colère déjà, en octobre 1988, où des centaines de jeunes Algériens indignés s'attaquèrent aux symboles et édifices de ce parti, l'accusant de dédaigner le peuple et d'être au service de clans, de castes et d'oligarchies au pouvoir...

De plus, fut dénoncé le monopole sur la vie politique du pays, réservée aux seuls « militants du FLN, ayant participé à la lutte de Libération nationale ». Telle fut la sentence édictée par la Charte d'Alger de 64, confirmée par les statuts élaborés lors du congrès de 79. De facto et de jure, furent ainsi exclus toutes les autres forces politiques existantes ou en devenir, fussent-elles de génie, patriotiques, nationalistes. Le monopole du FLN sur la « Révolution » développementaliste était total et il l'est encore, aujourd'hui, en tant que façade politique...

De l'Article 120 des statuts du FLN et ses conséquences

C'est l'article 120 des statuts du FLN qui exclura d'office l'élite algérienne des postes de grands commis et autres cadres supérieurs du pays, réservés uniquement aux militants du FLN, avec pour conséquences : non seulement le pays sera vidé de sa matière grise mais également l'État et le Parti furent privés de tant de ressorts intellectuels et politiques, susceptibles d'élever le niveau général du pays. Voilà une occasion manquée par l'élite de l'époque de s'insurger, de se révolter la plume à la main ou le verbe à la bouche, contre cette stratégie d'exclusion des Algériens de la gestion de leur pays, réservée aux seuls militants du FLN : « serviteurs des intérêts du peuple », à en croire le contenu de la Charte d'Alger de 1964.

Le mode sectaire de fonctionnement du FLN, propre à réunir des ?béni-oui-oui', objet de la colère de la rue, n'était pas de nature à favoriser l'émergence de militants et de leaders véritablement mus par des idéaux permettant au parti d'accompagner la gouvernance du pays. Pourtant, des consensus furent trouvés, dans les Partis communistes cubain, chinois, vietnamien, etc., où une forme de collégialité est fondée sur un dialogue pérenne...

A partir de 67, Houari Boumediene, entendant régner en autocrate absolu, avait sécularisé les liens de contestations sourdes, mais difficiles à percevoir, à l'époque, entre le FLN et son régime. Du coup, il banalisa son rôle en plaçant ce parti sous éteignoir, à travers une vague dénomination d'« appareil du Parti». Le FLN et ses nouveaux « cadres » affichèrent profil bas, en ce temps-là, puisque ses anciennes figures de proue étaient, soit jetées en prison ( Benbella, Ait Ahmed ) ou poussées à l'exil ( Krim Belkacem, Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf ). Et ceux qui restaient encore au pays étaient trop exposés pour inquiéter un homme comme Boumediene, patron de l'Armée, et qui disposait de surcroît d'une économie réelle entre ses mains, avec laquelle il pouvait acheter autant les bonnes grâces que les mauvaises consciences des gens?

Du FLN et des «révolutions» développementalistes

Ensuite, les rédacteurs de la Charte d'Alger s'en prirent également à « la propriété privée exploiteuse », sans tenir compte de la réalité de la paysannerie algérienne. Dès lors, on créa, de toutes pièces, un clivage (inédit depuis des siècles) entre des propriétaires fonciers et leurs métayers, ou de simples ouvriers payés à la journée? De quel apport furent les «décrets de mars 63, portant réformes de la terre» de Benbella ou la «révolution agraire» de Boumediene, pour cette pauvre Algérie et aux anciens métayers algériens rendus attributaires de parcelles de terre?

Parmi ceux-ci, nombreux sont ceux qui devinrent, à leur tour, des rentiers et des spéculateurs de terre appartenant à la collectivité nationale. Leur comportement répréhensible étaient, certainement, plus condamnable que la richesse légitime acquise par les propriétaires fonciers d'antan: beaucoup d'attributaires de terre ont «sous-loué» les titres de propriété, sous acte notarié ou carrément «vendu» au prix fort «le pas de porte», quand ils voulaient se désister du titre de la concession; d'autres ont procédé à des mutations des parcelles de terres à eux concédés par la « révolution », quand ils ne les avaient pas laissées en jachère perpétuelle?

N'était-il pas plus indiqué de restituer ces terres à leur propriétaire, qui en connaissaient la valeur et l'intérêt à en tirer, au besoin en revoyant, à travers la loi du travail agricole, les rapports sociaux entre le capital et les salariés ? Il serait temps d'établir dans un «livre vert» le bilan de toutes les errances politiques connues par les systèmes agricoles désastreux, mis en place par les régimes algériens successifs ?

Les «Réformes» de 1963 et la «Révolution agraire de 1971 ont dépouillé de leurs terres séculaires des Algériens de grandes tentes parce que les tenants de la «ligne révolutionnaire» craignaient que les modèles de réussite que ceux-ci ne détournent les paysans de l'aventure révolutionnaire. Dans ce contexte, lors des nationalisations en 1963 d'un gros propriétaire foncier de la région de Saida, Benbella haranguait la foule, en ces termes: «?à partir de maintenant Si Ben sera aussi pauvre que vous.» Un homme d'un certain âge sort de l'assistance et l'apostrophe: «Frère Président, en rendant Si Ben aussi pauvre que nous, la révolution ne craint-elle pas de mettre fin à nos rêves, de devenir riche à notre tour ? » Sans commentaires !

Lors d'une conférence donnée dans une université à Paris, rapportée par l'hebdomadaire ?Jeune Afrique', le célèbre économiste égyptien, Samir Amin, dira, à propos de l'expérience algérienne: une «révolution agraire qui se décrète d'en haut et qu'on offre à des paysans, n'ayant rien revendiqué, a peu de chance de réussir?»

Le FLN fonctionnait comme un rouage du Conseil de la Révolution

Dès le 19 juin 1965, le FLN, réduit à un rôle de figuration, ne tenait plus de congrès ; il ne désignait plus de bureau politique, ni de comité central. Tout au plus fonctionnait-il comme une sorte de rouage du Conseil de la Révolution, composé de 27 membres qui «légiféraient» sur le sort de l'Algérie; en parallèle, le FLN devenait une sorte chambre basse pour valider les «révolutions» utopiques (agraire, industrielle, culturelle) du maître de céans du moment et de «ronronner» sur les «valeurs de la Révolution du 1er novembre 54».

En contrepartie de la soumission de ses cadres militants du moment, des privilèges découlant de la rente, leur furent accordés, en compensation de leurs efforts de mobilisation des foules, à travers les «organisations de masses». Le FLN restera, dans le paysage politique, un parti unique, avec la bénédiction du président du Conseil de la Révolution, tout autant que Mohamed Boukharouba demeurera le maître absolu de l'Algérie, jusqu'à sa mort, en décembre 1978. C'est du donnant-donnant !

Avec la disparition de Houari Boumediene, et après une éclipse partisane d'une quinzaine d'années, durant le règne sans partage de celui-ci, un consensus des barons du système et de l'Armée s'était dégagé, en vue de la remise en selle du FLN aux «commandes», pour redonner un minimum de légitimité à tout ce beau monde... Au cours d'un congrès tenu en 1979, Chadli Bendjedid sera porté à la tête du FLN et de l'État, renouant ainsi avec le diptyque Parti-État, instauré par Benbella.

Ce bicéphalisme, consacré déjà par le Congrès d'Alger de 1964, fut formulé dans la plate-forme politique éponyme, avec un bémol, cependant, quant au partage du pouvoir. En 1979, c'est une troïka, composée de trois colonels, qui prendra en mains les destinées du pays : Chadli Bendjedid, Chef de l'Etat et Secrétaire général du Parti ; le Colonel Mohamed Salah Yahiaoui fut désigné comme Coordonateur du Parti FLN et le Colonel Ahmed Ben Ahmed Abdelghani, en tant que Chef de gouvernement?

A titre de rappel, au cours du congrès de 1964, l'État fut présenté comme étant « un instrument du Parti FLN », même si chacun devait garder ses cadres et une présence physique distincte; d'où l'appellation de Parti-Etat. Quant à la coordination des deux organes, elle sera assurée par le Secrétaire Général du Parti et Chef de l'État, afin de garantir, selon le discours d'investiture d'Ahmed Benbella, « le contrôle de l'un sur l'autre »? On se demande comment pouvait-il se contrôler lui-même (et surtout se dénoncer en cas de dérive )? Mais tel était le vœu du Prince, accepté sans broncher par les courtisans de l'époque ; acte de soumission politique réédité ,en fin 78, lors du couronnement du colonel Bendjedid, comme nouveau patron du pays...

N'était la course au pouvoir des personnages historiques, en pleine rivalités politiques et aversions personnelles, se contestant et se jalousant mutuellement, le FLN, en tant que parti, devait rejoindre le musée de l'histoire, au lendemain de l'indépendance; en tous cas tel était le vœu de nombreux chefs historiques de la Révolution armée, et périodiquement réitéré par de nombreuses catégories d'Algériens. Déjà dans les considérants du Programme de Tripoli, élaboré par le CNRA (Conseil National de Révolution Algérienne) en juin 1962, on pouvait lire, au chapitre des insuffisances du FLN, des réflexions du genre : «Parti qui avait secrété en son sein plusieurs toxines dangereuses pour le peuple, comme le paternalisme, le formalisme et l'esprit bourgeois?».

Que dire alors une cinquantaine d'années après? Pour la rue, ce Parti fut totalement dévoyé, non sans avoir endormi les Algériens avec «la légitimité historique».

A suivre