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Crise politique et décision de l'ANP: Le temps des intrigues et des complots

par Ghania Oukazi

Les propos tenus samedi dernier par le chef d'état-major, le général de corps d'armée, vice-ministre de la Défense nationale, sont une véritable déclaration de guerre contre des personnes qu'il présente comme étant un pouvoir occulte qui conspire

contre l'institution militaire.

La réunion que Ahmed Gaïd Salah a tenue dans l'après-midi du samedi 30 mars veut véhiculer l'image d'une armée unie, en premier, par une cohésion entre ses plus hauts gradés. Un tel message, le chef d'état-major a voulu l'envoyer à ceux qui pensent provoquer sa chute par une implosion de ses troupes. L'appel dans ce sens est lancé depuis jeudi dernier par divers milieux et notamment les porte-voix d'officines du renseignement. Le général de corps d'armée est donc apparu au siège de l'état-major de l'institution militaire sur les hauteurs des Tagarins, entouré des commandants de Forces, du commandant de la 1ère Région Militaire et du Secrétaire Général du ministère de la Défense Nationale. Il a noté en préambule que «notre réunion s'inscrit dans le cadre du bilan global de l'ANP, conformément au plan de charge, notamment pour l'étude des développements de la situation politique prévalant dans notre pays, suite à la proposition de mise en œuvre de l'article 102 de la Constitution». Il sait pertinemment que la levée de boucliers contre sa personne a été déclarée publiquement depuis qu'il a fait «cette proposition» par laquelle il a engagé l'armée à pénétrer officiellement le champ politique pour lui trouver une sortie de crise. Dans son communiqué sanctionnant sa réunion du samedi, il rappelle que pour déclarer la vacance du poste présidentiel, «cette proposition qui s'inscrit exclusivement dans le cadre constitutionnel, constitue l'unique garantie à même de préserver une situation politique stable, afin de prémunir notre pays de toute situation malencontreuse». «Comme vous le savez, a-t-il dit, j'ai souligné lors de mon allocution prononcée le 26 mars 2019 au niveau du Secteur Opérationnel Sud-Est Djanet en 4ème Région Militaire, que la mise en application de l'article 102 de la Constitution est la solution idoine pour sortir de la crise actuelle que traverse le pays». Solution qui, note-t-il encore, «s'inscrit dans le cadre des missions constitutionnelles de l'ANP, en sa qualité de garante de l'indépendance nationale, de la sauvegarde de la souveraineté nationale et de l'intégrité territoriale ainsi que la protection du peuple de tout danger, conformément à l'article 28 de la Constitution».

De la fermeté à la menace

Dans cette nouvelle sortie, il résume son «offre» et affirme que »la solution de crise ne peut être envisagée qu'à travers l'activation des articles 7, 8 et 102 de la Constitution». Il estime à cet effet, que «la position de l'ANP demeure immuable dans la mesure où elle s'inscrit constamment dans la légalité constitutionnelle et place les intérêts du peuple algérien au-dessus de toute autre considération». Mais en indiquant que «la majorité du peuple algérien à travers les marches pacifiques a accueilli favorablement la proposition de l'ANP», le général de corps d'armée fait savoir que «certaines parties malintentionnées s'affairent à préparer un plan visant à porter atteinte à la crédibilité de l'ANP et à contourner les revendications légitimes du peuple». Il détaille en indiquant qu' «en date du 30 mars 2019, une réunion a été tenue par des individus connus, dont l'identité sera dévoilée en temps opportun, en vue de mener une campagne médiatique virulente à travers les différents médias et sur les réseaux sociaux contre l'ANP et faire accroire à l'opinion publique que le peuple algérien rejette l'application de l'article 102 de la Constitution». Il avertit alors que «toutes les propositions découlant de ces réunions suspectes, qui vont à l'encontre de la légalité constitutionnelle ou portent atteinte à l'ANP, qui demeure une ligne rouge, sont totalement inacceptables et auxquelles l'ANP fera face, par tous les moyens légaux».

De la fermeté du ton, le chef d'état-major en a grandement usé dans son communiqué. Il tranche la question relative à la solution de la crise politique du pays en affirmant que «sa proposition constitue l'unique garantie (?)». Il est permis d'en déduire qu'à ses yeux, aucune autre proposition de solution, émanant de toute autre partie n'est désormais recevable. Il ferme le jeu en rejetant toute solution en dehors du cadre constitutionnel qu'il a mis en avant depuis qu'il a décidé de venir au secours des nombreux opposants qui l'ont sollicité pour faire partir les tenants du pouvoir en place. Coincés depuis près de deux mois dans une impasse, les opposants à Bouteflika n'ont pu à ce jour faire une offre d'une alternative valable pour sauver le pays, ses institutions et son peuple de toute dérive éventuelle. Dans le dernier paragraphe de son communiqué, le chef d'état-major passe de la fermeté à la menace contre ce qu'il dit être des «individus connus qui se sont réunis mercredi dernier».

Le temps des intrigues et des complots

C'est ainsi que par cette sortie médiatique tout au moins attendue au regard des menaces de destitution qui ont été proférées contre lui, Gaïd Salah fait savoir que non seulement il tient à l'application de l'article 102 qu'il encadre avec les articles 7 et 8 de la Constitution, mais que «toutes les propositions découlant de ces réunions suspectes(..), sont totalement inacceptables». Il déclare même la guerre à ces «individus» en lançant que «l'ANP leur fera face par tous les moyens légaux». Si Gaïd refuse d'identifier «les comploteurs» contre l'armée, des médias se disant bien informés, ont eux, franchi le pas en annonçant en boucle depuis samedi soir, qu'«une réunion s'est tenue mercredi dernier entre Saïd Bouteflika, l'ex-patron du DRS Toufik, l'ancien président de la République, Liamine Zeroual ainsi que des représentants des services français». L'ordre du jour selon ces médias tournait autour «des concessions à faire à la France, et la création d'un pouvoir parallèle à celui en place par l'intronisation de Zeroual en temps que chef d'Etat, Toufik son conseiller en sécurité, un nouveau gouvernement et la dissolution du parlement». Des faits intrigants qui laissent libre cours à de grandes interrogations et surtout à de fortes inquiétudes. Des informations aussi graves ont été cependant «agrémentées» par «une prise de conscience subite de Zeroual» qui, toujours selon ces médias, «s'était rendu compte qu'il y avait un sinistre plan qui était en gestation, qu'il s'était retiré de la réunion et est reparti à Batna». L'ancien président est, comme sorti indemne d'un guêpier qui devait, selon le communiqué de Gaïd Salah, être préparé pour attenter à l'intégrité de l'ANP.

Jusqu'à l'heure où nous mettons sous presse, aucun démenti n'est venu d'aucune partie citée par ces médias réfutant la tenue d'un conclave aussi invraisemblable. Des sources avaient le week-end dernier fait savoir que Zeroual était effectivement à Alger mais pour rencontrer Gaïd Salah.

Ces dernières 24 heures ont été émaillées par un déferlement d'événements étonnants qui ont plongé la capitale voire le pays dans un état insomniaque. Très tôt hier, l'information de l'arrestation de l'homme d'affaires Ali Haddad aux frontières avec la Tunisie, a fait le tour du pays. L'on ne saura au nom de quelle juridiction a-t-il été arrêté, ni si un mandat d'arrêt avait été lancé contre lui. En plus de l'interdiction de décoller faite hier aux jets privés, l'on avance depuis quelques temps, qu'une liste d'une centaine de personnes interdites de sortie du territoire national, a été établie et rendue publique par les médias. «L'arrestation des frères du président de la République» fait aussi le tour de la toile depuis hier après-midi. L'on se demande qui a établi une telle liste et pour quels griefs, et qui fait justice pour qui et à la place de qui. C'est véritablement le temps des intrigues et des complots. Il est à craindre que le peu d'Etat de droit qui existe ne s'effrite et ne fissure dangereusement la cohésion sociale. La justice a pourtant toute latitude de s'autosaisir en cas d'abus de quelque nature qui soit, et doit être la seule garante de la légalité. Toute décision dans ce sens devrait être portée à la connaissance de l'opinion publique la plus large possible. Entrepris en dehors de ce cadre, tout le reste aurait forcément des relents de règlement de comptes et des effets de vendetta.