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La prolongation

par El Yazid Dib

Les grands matchs se gagnent le plus souvent dans le temps des prolongations. Ils se perdent aussi dans le même temps additionnel.

Le problème tient à se faire poser autrement. A défaut de pouvoir reconduire le mandat en cours, l'on vient de recourir à une prolongation d'une année par le bais d'un début d'un autre mandat. Ce qui rend la volonté des tenants à aller vaille que vaille vers les élections du 18 avril plus que certaine. L'on décèle à travers les « promesses » contenues dans la lettre de dépôt de candidature, presque un programme de campagne avant son temps ; une autre conviction de réussite pré-assurée et d'enjambement de ce cri généralisé. Dans sa lettre de candidat, le président « salue » les marches et dit « avoir entendu » les voix qui s'élèvent dans les rues du pays. Qu'il comprend le désarroi, les doléances et les aspirations de cette jeunesse pour plus de liberté et d'épanouissement. N'était-il pas au courant du sentiment rageur qui couvait dans les cavités de son peuple ? De cette phobie qu'il développe face à ce personnel politique stérile, trompeur et trop manœuvrier ? Face à ce système qu'il a lui-même fustigé ?

Ce que le président aurait omis de dire, ce sont ce rejet total et complet d'un système arrivé à satiété, ces faussetés, ces gueules patibulaires, ces inégalités dont les responsables se sont rendu auteurs invétérés. Le peuple a certes crié son refus d'un autre mandat, car il sait que ceux qui en sont derrière ne sont en fait que ces gens là qui n'ont cessé de causer énormément de dégâts au pays. Mais aussi la disparition intégrale de ce régime entretenu sournoisement par ces gens qui ont vendu toute conscience nationaliste pour n'en faire qu'un usage démagogique et populiste. Le peuple n'en veut plus de ces noms et prénoms qui ont emmaillé la gestion des affaires publiques, la finance locale ou la société dite civile. Ils sont synonymes de rapine, d'imposture et de forfaiture. Ils sont hyper connus et je m'abstiens par correction civique de les citer, car ils provoquent de la nausée fécale.

Qu'attendons-nous encore de ces noms honnis et maudits à l'unanimité ? Ces félons vomis par le peuple. D'un ministre qui se montre quand le ciel est dégagé menaçant les éventuels preneurs de rues et se terre quand la rue est prise se complaisant d'en faire fi, d'un oligarque qui se permet d'actionner le destin national, d'un indétrônable patron des travailleurs ou de complaisants leaders de partis politiques façadiers ?

Le renouveau promis peut toutefois arriver, ces jours-ci. L'ébauche pour une « nouvelle république » peut s'entamer maintenant. Raser tout le monde, charger un nouveau gouvernement technocrate d'assurer le fardeau d'ici le 18 avril, au moins pour les départements clés de voutes dans l'équation électorale. Eh oui ; il y a péril en la demeure. Ce sera un gage de bonne foi, cela pourrait apaiser la rue en évitant le pire. Quant à la conférence, la constitution, les élections présidentielles anticipées, les reformes et tutti quanti c'est au temps, aux circonstances imprévues et à la fatalité qu'ils reviendront. Personne ne peut prédire ce que la prochaine année aura à nous récolter. Par contre il est aisé d'imaginer ce que la rue aura à nous offrir d'ici peu. Et puis croit-on bien faire en recomposant le jeu avec les mêmes acteurs ?

Quand le peuple d'une seule voix scande qu'il n'y a pas de 5 eme mandat, c'est qu'il adhère d'emblée au principe de l'organisation électorale qu'il estime ainsi respecter. Il ne boycotte pas, il ne demande pas son annulation, sauf si cette candidature indésirable venait à s'officialiser. La lettre du président, on l'entraperçoit était mal charpentée. Elle aurait été écrite dans des chapelles habituées à ce genre de rédaction. Parler de « millions » de souscripteurs en sa faveur et seulement des « milliers » de jeunes manifestants c'est un détournement malicieux expresse dans la lecture des événements et un flagrant mépris officiel. L'on ne peut faire abstraction des revendications vociférées à tue-tête, le long des boulevards, dans les prétoires, les enceintes universitaires, ni affirmer dans une lettre destinée en principe à tempérer les ardeurs, attendrir les cœurs et apaiser les esprits. Que vont rapporter les marches de ces jours ? L'Algérie a déjà lourdement payé son passage vers la démocratie. Nous ne sommes pas contentés de marches ou de manifestations. Nous lui avions offert des milliers de morts. La route a été longue, meurtrière et l'est toujours. Voilà qu'une autre jeunesse, outre la considération, le travail et le renouveau, réclame plus de démocratie, plus de liberté, plus d'écoute et autant de visages neufs et propres.

L'on évitera de souligner une évidence naturelle disant que si l'on n'avait pas pu faire quelque chose en vingt ans, l'on ne pourrait pas la faire en une année. Les événements de colère pacifique vécus depuis le 22 février ne peuvent à vrai dire qu'enthousiasmer à coté d'un rêve difficile toute une jeunesse désemparée. Cette jeunesse à l'égard de laquelle le pouvoir n'a pu hélas se mettre au diapason de ses réclamations, se voit en net décalage avec ce même pouvoir. La gérontologie, la longévité du personnel gestionnaire, les mêmes figures ya Rab tiennent en attache la gérance de cette masse juvénile. Le temps des révolutions classiques et légendaires est une inconnue pour cette frange sociale. Leur révolution est une débrouillardise pour le comment arriver à vivre et réaliser leur rêve que l'intrus patron du FLN veut leur interdire. La leur est virtuelle certes, mais avec des résultats instantanés et probants. Diplômé ou chômeur, le jeune reste totalement incompris par ceux qui, sans lui demander, décident de gérer son avenir. Le monde actuel national a été fait et continue de l'être sans eux. Ces jeunes n'arrivent point à s'atteler à de vagues engagements tant répétés par des visages super vus et connus, devenus cauchemardesques. Victimes apparentes et dans leur grande majorité des inégalités sociales qui de jour en jour déchirent l'équilibre des classes, ils requièrent une justice applicable uniformément à tous.

C'est à eux et eux seuls qu'échoira le rôle de tracer la destinée, voire la leur, du pays vers des horizons plus cléments et pleins d'espoir et de bonheur. Laissons-les faire leur avenir.

Je dirai enfin que pour un président, général, ministre ou autre chef , partir courant ou avant terme n'est pas un acte de fuyard. Il ne peut être qu'une réflexion sage et paisible. Car il provient d'une analyse qui anticipe les évènements. Surtout si ceux-ci sont impérieux et tenaces. Une bonne entrée donc dans l'histoire, avec un siège éternellement confortable est sujette à la nature de sortie du pouvoir. C'est cette dernière qui validera l'immortalité ou l'insanité. Car partir dans un choix réfléchi et voulu n'est pas mourir. C'est une raison ou personnelle ou d'Etat. La postérité saura reconnaitre les siens. Les autres également.

Si la décantation immédiate est simplement le refus de cet énième mandat, le changement de régime, la rupture de la continuité et le remodelage radical du pouvoir politique est à exécuter aussitôt. Rapidement. Il est grandement salutaire pour la nation que le président arrive paisiblement à l'échéance de son mandat, candidat ou pas. Il ne peut sans ça, donner l'occasion à ces « milliers » de jeunes de lui réserver un sort funeste, lui qui a marqué aléatoirement les annales de la postérité nationale. L'histoire saura consigner, durant ce qui lui reste comme temps, s'il allait ou non sauver son peuple de ce marasme généralisé, de cette traitresse immobilisation gouvernementale.

Pour ce faire, l'urgence après les promesses, est celle de passer aux décisions. Non pas, celles de créant des emplois, suspendant l'appel au service national ou effaçant les dettes et les agios des prêts bancaires, mais celles qui ont un rapport direct avec la vie politique du pays et en droite ligne du cri de ces jeunes algériens. Raser tout le monde avant le 18 avril. Comme il les a crées, il les annihile. Ces décisions salvatrices à avancer comme caution validant les réformes annoncées ne manqueront pas wallah d'avoir un grand impact sur une population longtemps trompée.

Tout permet légalement et politiquement de gommer le gouvernement, de décréter la dissolution de l'assemblée nationale et à charge de la « conférence nationale » de fixer la date concomitamment ou différemment des élections présidentielles et/ou législatives. Ouf ! Un travail titanesque, on le sait d'avance impossible, car il aurait du être fait bien avant le 22 février. Ainsi les grands matchs se gagnent ou se perdent le plus souvent dans le temps des prolongations. Toutefois ils peuvent bien s'arranger et arranger les galeries dans le temps réglementaire, sans envahissement de terrain, ni casse, ni violence. Game over !