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L'autre chantier de Tebboune

par Mahdi Boukhalfa

Abdelmadjid Tebboune a-t-il l'intention de revenir sur les grandes décisions prises par l'ex-gouvernement de Sellal ? A voir la cadence avec laquelle le Premier ministre et ses collaborateurs sont en train de démonter le dispositif législatif ayant permis à certains milieux de faire main basse sur des projets juteux, dont la mise en valeur agricole, il est évident que le retour de manivelle a commencé pour certains milieux spécialisés dans «l'affairisme». Sur fond de guerres de position entre le chef du gouvernement et le patronat, notamment le FCE dirigé par Ali Haddad, le ministre de la Justice Tayeb Louh confirme ce retour de manivelle pour certains milieux industriels. Et confirme la décision de gel prise par M. Tebboune en ce qui concerne les concessions agricoles.

Le Premier ministre, flairant des détournements de terres agricoles à travers le dispositif du partenariat «public-privé» et des opérations à la limite de la fraude et de la prédation, a donc suspendu non seulement cette opération, mais a donné son feu vert pour la restitution de terres octroyées à certains bénéficiaires. Et, dans le cas d'un refus, c'est le garde des Sceaux, qui faisait cependant partie du gouvernement sortant, qui monte au front pour rappeler que «le principe de la préservation des terres agricoles comme moyen assurant la sécurité alimentaire et la stabilité sociale figure dans la dernière Constitution». Plus concrètement, le gouvernement compte récupérer ces terres agricoles et, le cas échéant, a appelé les tribunaux à «s'autosaisir» devant les cas d'atteinte aux terres agricoles, «quelle que soit l'origine de ces atteintes».

Et c'est autant un message clair que l'actuel gouvernement veut vraiment donner un coup de pied dans la fourmilière laissée par le gouvernement Sellal. Cela a commencé avec un rappel à l'ordre de certains groupes de BTPH, dont les projets octroyés dans le cadre de gros marchés de plusieurs centaines de millions de dollars, puis par un message sans équivoque au président du FCE qu'il doit s'occuper de ses projets non réalisés mais décaissés et, surtout, cette autre décision non moins explicative de la démarche du nouveau gouvernement. Il est difficile de ne pas y voir une sorte de «guerre contre la prédation», allant jusqu'à des mesures fermes d'interdiction d'importation de certaines positions tarifaires largement produites en Algérie, même si la mesure pourrait vite devenir impopulaire et démagogique, comme l'interdiction d'importation de fruits secs et matières premières. Tebboune veut assainir des pans entiers de l'économie nationale, comme cette supercherie du montage de véhicules localement, soutenue et appuyée par l'ex-Premier ministre et son ministre de l'Industrie. La gestion Tebboune des affaires de l'Etat se focalise pour le moment sur les «tares» du gouvernement sortant, ses dérives et ses écarts, que de ce qu'il a réalisé de positif.

Le partenariat pour un pacte de croissance économique avec le bras de fer Tebboune-Ali Haddad a déjà volé en éclats et sera bel et bien enterré, du moins sous la forme proposée par le gouvernement sortant. De grands changements dans la prise en charge de certains secteurs économiques sont annoncés avec ce retour, du moins dans l'intention, de la rigueur dans le management des affaires de l'Etat et du «bien public et de la communauté», dont les terres agricoles. Dans cette perspective, et pour mettre «une pierre dans le soulier» de Sidi Saïd, il ne serait pas étonnant que le gouvernement Tebboune aille dans le sens de la reconnaissance des syndicats autonomes, beaucoup plus actifs et présents dans la vie syndicale et qui se sont montrés plus efficaces que l'UGTA dans la gestion et la résolution de certains conflits sociaux. Bref, Tebboune veut combler les «nids-de-poule» laissés par Sellal, un chantier qu'il n'a pas dévoilé dans son plan d'action.