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Les vieux démons du Rif

par Mahdi Boukhalfa

La visite du président français Emmanuel Macron au Maroc externalise la crise dans le Rif et la place forcément dans son agenda lors de ses entretiens à Rabat. Interpellé par des ONG françaises et maghrébines à la veille de sa visite à Rabat sur la répression et les arrestations au sein du Hirak, le mouvement populaire de protestation, le chef de l'Etat français devra en parler au monarque marocain. D'autant que la contestation contre la répression, la corruption et la marginalisation du Rif et l'emprisonnement de ses militants ont provoqué à l'étranger un immense élan de sympathie et dans le royaume une vague de soutien et de solidarité des ONG, des associations, de partis et, surtout, d'Al Adl Wal Ihsane, l'association islamique de feu Cheikh Yassine, que le Palais redoute, même du temps de Hasssan II, au point qu'il l'a interdit. En fait, la venue de Macron intervient au mauvais moment pour la monarchie marocaine, qui éprouve les pires difficultés à gérer une énième crise sociale et politique, et à ne répondre que par la répression et la démonstration de force, quand les Marocains attendent des décisions courageuses pour améliorer leurs conditions de vie, en particulier dans les zones rurales, et pas seulement dans le nord, souvent manquant du minimum de confort social. La contestation dans le Rif, les manifestations qui s'y déroulent depuis octobre dernier, ne sont que les signes grandeur nature d'un extrême déphasage entre le gouvernement, l'Etat marocain représenté par le roi, et le peuple.

Ce qui s'est passé en octobre dernier à Al Hoceima, la mort d'un poissonnier dont la marchandise avait été injustement saisie et détruite, aurait pu avoir rapidement des solutions moins dramatiques, et déjà oublié ailleurs. Mais, la particularité du Makhzen comme beaucoup de régimes monarchistes arabes, et que la marche nationale de dimanche à Rabat avait férocement dénoncée, est qu'il ne vit que par la force, la répression et l'injustice sociale et la castration politique. Or, la montée progressive de la contestation populaire, qui s'est emparée de tout le nord du Maroc, et gagne d'autres régions du pays, semble avoir tétanisé les autorités marocaines, qui n'éprouvent au demeurant aucune envie, ni courage, de tout simplement développer un discours moins démagogique, et d'instaurer un dialogue pour sortir le pays de cette crise qui risque d'agrandir les fractures sociales, et d'isoler davantage le Palais du peuple.

Un signe qui ne trompe pas: incapable de trouver des solutions démocratiques à la crise, dans le Rif, le roi a repris les mauvais réflexes de la monarchie.

Faire intervenir les islamistes du PJD pour calmer la situation.

Ce que les islamistes marocains ont refusé, comme ils ont refusé de jouer les médiateurs dans une crise qui concerne aujourd'hui tous les Marocains. S'y engouffrer pour sauver la face au roi est politiquement suicidaire dans la conjoncture actuelle. Le parti de Benkirane ne veut pas intervenir dans une crise sociale qui pourrait le discréditer, même s'il n'a donné aucune consigne de soutien au mouvement Hirak.

Par contre, la justesse des revendications des populations du Rif et des militants du Hirak, dont une centaine sont en prison, a fait lever les Marocains, qui ont adressé un sérieux avertissement au gouvernement et au roi, qu'ils sont tous concernés par ce qui se passe dans le nord du pays. Face à la montée de la contestation dans le Rif, la solidarité des Marocains avec les populations rifaines, le soutien des ONG et de la société civile aux militants du Hirak, des partis de gauche et des syndicats, le Makhzen n'aura que deux choix : soit brider encore plus la contestation, soit faire machine arrière. Dans les deux cas, la gestion catastrophique des crises larvées dans l'une des régions les plus marginalisées du royaume, aura mis à nu l'incapacité du Makhzen à trouver des solutions à ses vieux démons dans le Rif.