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POUR NE PAS OUBLIER !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

Livres

Si Nasser (Mohammedi Said). Essai de Chérif Abtroun, Casbah Editions, Alger 2016, 181 pages, 950 dinars.



Il ne s'est jamais arrêté d'avoir des activités politiques. Né en décembre 1912 à Aït Frah (Laârba Nath Irathen), et décédé en 1994, Mohammedi Said, devenu le Colonel Si Nasser (wilaya III historique) durant la Guerre de libération nationale était, il faut le reconnaître, un homme de (fortes) convictions. Déjà, alors devenu, durant son service militaire, sergent instructeur en France, à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, il ne tarde pas à «déserter» pour rejoindre l'Allemagne (avec pour principe de vie: «l'ennemi de mon ennemi est mon ami»). En Algérie, il avait vécu avec le peuple, l'exclusion, la hogra des pieds-noirs, le racisme vis-à-vis des «indigènes»... En juin 40, il «rentre à Paris, ville ouverte, en conquérant, non comme indigène colonisé» mais en tant qu'officier... sans adhérer au nazisme, et pas dans les SS, précise-t-il. La suite est un parcours incroyable: sa capture après un parachutage (avec deux instructeurs allemands et deux compatriotes) «raté» du côté de Tébessa (au lieu de Tazaghart, en Kabylie), sa condamnation à mort, huit années de prison à Lambèse, sa libération (un «coup de chance» car par «tirage au sort»), le retour au village natal, l'animation d'une école coranique et le contact avec ceux qui, déjà, préparaient la lutte armée: Krim, Ouamrane, Si Said Vrirouche, Amar Aït Chikh... Enfin, le départ au maquis et une carrière de combattant, avec ses hauts et ses bas et ses choix heureux ou malheureux, jusqu'à l'indépendance. Il nous les raconte: Abane Ramdane/le Congrès de la Soummam: sa préparation, les débats, les décisions/la bleuite/la réunion du CNRA du 20 août 1957 et la rupture de l'intérieur avec l'extérieur/l'assassinat de Abane Ramdane/la réunion des dix et à la tête du Com (-est)/la crise état-major avec le GPRA/les négociations et les Accords d'Evian/Le Congrès de Tripoli/le congrès d'avril 1964/le 19 juin 1965/l'affaire Zbiri/l'attentat du 27 avril 1968 (contre Boumediène)/la crise de 1974/le Printemps amazigh1980 et Octobre 1988 (son passage au FIS y est évoqué). Quelques révélations: au maquis, il avait réussi à faire récupérer à Tébessa sa mitraillette et le casque allemand qu'il avait cachés lors de son parachutage.../«Tu sais que moi je suis berbère, je m'appelle en réalité Ouvella...» (Ben Bella à Si Nasser, p 114).../«Son père (de Said Abid, jeune colonel de la 1re Région, décédé par «suicide») ne voulait pas l'enterrer dans la caisse en bois, mais selon le rite de notre religion, et lorsqu'il l'a fait sortir du cercueil, il a constaté qu'il avait trois balles dans le dos (p 65).../«La réunion des ?18', fin octobre 88, se tient en son domicile» (p 174).

Un parcours incroyable, mais vrai !

L'auteur: né à Azazga en juillet 1938, membre de l'OCFLN, licencié en droit (université d'Alger), il a occupé plusieurs postes de haut fonctionnaire, dont celui de chargé de mission auprès du ministre des Moudjahidine au tout début de l'indépendance ainsi qu'à la présidence du Conseil.

Extraits: «Les 3B pensaient qu'en éliminant les politiques, ils seraient en mesure de régler les problèmes qui s'étaient amoncelés et réactiver la Révolution qui, pour l'heure, piétinait» (Si Nasser, p 95), «De Gaulle ne nous a pas octroyé l'indépendance. Elle est le résultat du sacrifice du peuple algérien... En outre, les manifestations populaires grandioses du 11 décembre 1960 et des jours suivants dans tout le pays ont contraint le président français à ouvrir des négociations sérieuses» (p 107), «Les Cinq d'Aulnoy arrivent à Tunis et Ben Bella lance à trois reprises son slogan ?Nous sommes Arabes', ce qui est évidemment une façon d'enfoncer une porte ouverte, à moins qu'il n'ait visé une autre communauté du pays pour déjà diviser le pays» (p 113).

Avis : Un livre simple écrit par un très, très proche qui nous apprend beaucoup sur les événements (guerre et après-guerre) et, surtout, de corriger certaines (fausses ?) idées et des contrevérités sur la personnalité de Mohammedi Said, un héros de guerre trop longtemps caricaturé.

Citations: «Abane était très intelligent, cultivé et surtout un visionnaire. A ce titre, il était très gênant pour ses collègues avec lesquels il ne partageait pas la même vision de la Révolution. Il les dépassait de loin sur tous les plans, c'était une personnalité hors du commun» (Si Nasser, p 83), «Le Congrès de Tripoli a été en vérité un échec cuisant pour notre Révolution, puisqu'il s'est agi d'un congrès de la divison et de la confrontation» (Si Nasser, p 115).



Pour l'indépendance de l'Algérie. Mission accomplie. Mémoires de Saad Dahlab. Editions Dahlab, Alger 2010 (4ème édition/ 1re édition en 1989), 347 pages,???? dinars.



Toujours bon et grand diplomate que notre auteur. Il se disait, en préface, conscient qu'il n'allait rien apporter de nouveau sur le FLN et la Guerre d'Algérie tant il y avait de livres déjà écrits sur le sujet... Mais, il lui semblait que beaucoup de choses n'ont pas été dites ou écrites sur le rôle du Gouvernemeent provisoire. Il avait même remarqué que bien des jeunes ne savaient même pas ce qu'a été le GPRA. Il ne se trompait pas, hélas, puisqu'aujourd'hui encore, malgré les centaines d'autres écrits (livres et presse), c'est un pan encore quasi totalement ignoré, tout comme, d'ailleurs, l'Exécutif provisoire... la large opinion ayant été déformée (par les discours et à l'école) par l'«Histoire-propagande» qui a fait des siennes quand ce ne sont pas des ravages, et cultivant, parallèlement à l'histoire apologétique habituelle, l'évitement, l'oubli ou la déformation.

L'auteur s'attache donc à présenter le GPRA (dont il fit partie en tant que haut fonctionnaire avec M'hamed Yazid lors du «1er GPRA», puis avec Krim Belkacem lors du «2e GPRA», mais aussi en tant que ministre des AE lors du «3e GPRA» depuis sa naissance... jusqu'au 3 juillet 1962 (date réelle de la proclamation de l'indépendance et de l'«abandon du terrain» à... Ben Bella et Boumediène... qui avaient d'autres «armes»). Il assure qu'il ne risque pas de «commettre trop d'erreurs».

Trois grandes parties: l'organisation de la lutte popur l'indépendance (Congrès de la Soummam, premier CCE, deuxième CCE)/La formation du Gouvernement provisoire de la République algérienne/La crise du FLN et les responsabilités (juillet 1962)... et, en plus, des textes de référence... et des photos. Quelques révélations: «Nous apprendrons seulement après le cessez-le-feu que le MNA en question (celui proposé par les négociateurs français en mars 1961 à Evian) n'était autre que le Front de l'action pour l'Algérie démocratique, le FAAD, c'est-à-dire l'organisation créée par le SDECE, et qui se déclarait d'obédience messaliste» (p 139)/Lors de la réunion du CNRA en date du 22 février 1962, «ne s'étaient opposés aux Accords d'Evian (cessez-le-feu) que Boumediène, Kaïd Ahmed et Mendjli, membres de l'état-major et un certain commandant Nacer de la wilaya V qui s'était joint à eux et qui ne cessait de sourire sans raison, en s'excusant presque de prendre position» (pp 168 - 169)/Mohamed Laghzaoui, alors directeur genéral de la Sûreté marocaine, était nommé «ambassadeur de Sa Majesté auprès de Ben Bella (emprisonné à Aunoy)». Le roi Hassan II ne s'en cachait pas. Il reconnaissait toujours le GPRA et ne lui faisait aucune difficulté mais le GPRA ne savait rien de ce qui se passait entre Ben Bella et Mohamed Laghzaoui. (pp190-191)

L'auteur: né en avril 1918, décédé en décembre 2000. Militant de l'Etoile Nord-Africaine... études secondaires à Blida... emprisonné à Bossuet et à Barberousse après les manifestations d'avril 1945 à Ksar Chellala, membre du CC du PPA/MTLD, puis du FLN dès novembre 54. Membre du CNRA et du CCE, plusieurs fonctions au sein du GPRA (dont ministre des AE). Participe aux négociations d'Evian...

Extraits: «Notre seul ennemi était le colonialisme français, nous ne l'attaquâmes que chez nous, là où il n'avait aucun droit d'y être» (p35), «Abane était plus coléreux que nous tous. Krim plus sensible aux bienséances. Ben M'hidi parfois très chatouilleux sur son amour-propre. Ben Khedda et moi décidés à faire oublier que nous avons été grands responsables du MTLD. Tous, nous avions, je crois, le sens de l'intérêt supérieur de la Révolution et de l'Algérie» (p 57).

Avis : Ouvrage de base pour qui veut (tout) savoir sur le GPRA et surtout comprendre les relations humaines entre dirigeants de la Guerre de libération nationale. Très (trop ?) consensuel ? Après tout, Saad Dahlab a été un grand diplomate.

Citations: «Il est évident que si nous n'avions pas bougé, si nous n'avions pas pris les armes, si nous n'avions pas consenti d'immenses sacrifices, l'Algérie serait encore aujourd'hui française» (p 29), «Seul le démon du pouvoir personnel en retint à l'écart celui qui aurait dû être le premier, Messali Hadj. Le même démon allait ronger, pendant six ans, Ben Bella...» (p 46), «Les hommes ont la mémoire courte. Les mythes sont difficiles à détruire et les légendes indéracinables. Ceux de Ben Bella seront encore plus durs à supprimer parce que nous avons été les premiers à les nourrir autant par notre propagande pendant la Guerre de libération pour les besoins de la cause, que par notre silence et notre indiférence durant la crise du FLN, en 1962» (p 180), «Les pouvoirs publics ont beau multiplier les promesses, garantir l'avenir, les gens manquent de foi. Ils ne croient plus en rien. Ils semblent toujours être à la veille d'un changement» (p 219), «Les causes de notre situation actuelle doivent être cherchées au départ même de notre indépendance. L'indépendance acquise, nous avons continué sur notre lancée, ou plutôt nous n'avons rien imaginé de neuf» (p 221).



Mohamed Idir Aït Amrane. Intinéraire d'un homme de culture. Biographie par Si El Hachemi Assad. ANEP Editions, Alger 2016, 205 pages, 650 dinars.



Il est né en mars 1924 au village de Takidount (commnue des Aït Ouacifs) où, orphelin de mère à l'âge de six ans, il écoula sa première enfance... avec la fréquentation assidue de l'école primaire et de l'école coranique (cette dernière était structurée sous la bannière de la confrérie Rahmania). Puis, à la recherche d'une vie meilleure, la famille s'«exile» à Sougueur puis à Tiaret, avec un père tantôt vendeur, tantôt artisan.

CEP, lycée de Mascara, brevet d'enseignemt primaire supérieur... et entrée au lycée Bugeaud d'Alger. Guerre mondiale. Transfert au lycée de Ben Aknoun puis à Miliana.

Le passage dans les divers lycées, tout particulièrement celui de Ben Aknoun, lui permet de rencontrer et de nouer des amitiés solides: Hocine Aït Ahmed, Omar Oussedik, Sadek Hadjerès, Ali Yahia Rachid, Said Chibane, Mebrouk Belhocine, Yahia Henine, Said Oubouzar et bien d'autres... A Miliana, c'est l'adhésion au mouvement des Scouts Musulmans d'Algérie, les SMA. C'est au lycée de Ben Aknoun, fin janvier 1945, qu'il écrira le plus fameux de ses poèmes «Lève-toi fils du Berbère», celui qui exprime le plus clairement l'identité culturelle, historique et politique de ce qui était alors le fameux et légendaire «groupe PPA de Ben Aknoun». La suite est un long parcours fait d'épreuves et de satisfactions: membre du PPA, et juste après le déclenchement de la guerre, la prison coloniale... jusqu'à juillet 62, wali de Chlef, député, retrait de toutes les activités politiques en 65, inspecteur d'académie... directeur de l'Education à Tiaret puis à Chlef, membre de la direction du RCD, avec toujours le combat pour l'amazighité... et, en 1995, sa désignation par le président Zeroual à la tête du HCA... jusqu'au 31 octobre 2004, date de sa mort. Ecriture poétique, promotion de la linguistique et de l'histoire amazighe, traduction d'ouvrages de réference et de vulgarisation... une production riche d'une grande qualité...

Important ! Il avait son idée (et sa méthode) d'écriture en tamazight. Il l'avait dénommée «Tawasift» sur une base gréco-latine... suggérant aux politiques et chercheurs de ne pas être otages du sentiment d'appartenance à la civilisation musulmane et qui consiste à valoriser l'argumentaire que la graphie arabe est celle de la révélation du texte sacré (le Coran) donc la mieux indiquée. Pour lui, l'alphabet n'est qu'un outil utilisé pour transcrire une langue parmi toutes les langues que Dieu a créées et différenciées. En annexe, quinze (15) chants patriotiques, tous produits entre 1945 et 1954, œuvres de Mohamed Idir Aït Amrane (avec traduction en français). Des photos aussi.

L'auteur : diplômé en master cinéma et licencié en sociologie culturelle, ayant exercé dans les secteurs de la Jeunesse et de la Culture. Directeur de la Promotion culturelle en 1999, puis SG du Haut Commissariat à l?amazighité. Fondateur du Festival du cinéma amazigh itinérant.

Avis : Mohamed Idir Aït Amrane: un homme d'une immense culture algérienne plurielle de qualité... qui reste, encore (hélas), à découvrir.

Extraits: «Le message dans l'oeuvre poétique de «Dda Yidir» est très clair: la révolte et la contestation» (préface de Malha Benbrahim-Benhamadouche, p 9), «Homme de consensus, Mohamed Idir Aït Amrane a déclamé en tamazight et en arabe. C'est dire qu'il est ce symbole même de l'Algérie généreuse, ouverte et combattante» (p 35), «Ses qualités de cœur n'avaient effectivement d'égales que son ouverture d'esprit, son abnégation patriotique et ses compétences linguistiques». (Sadek Hadjerès, p 53)

Citation: «Kker a mmi-s umazin - Itij-nnen yuli-d - Atas ayagi ur t-zrin- Tawala-nnen a gma tezzi-d/Lève-toi fils du Berbère ? Notre soleil a la lumière vive - Depuis longtemps je l'espère - Mon frère, notre tour arrive» (extrait du poème «Lève-toi fils du Berbère/Kker a mmi-s umazin», 23 janvier 1945. (p 91)

PS: Enfin une bonne nouvelle... la re-parution des deux (fameuses) revues culturelles «Amel» et «Majalat Al Taqafa», en langue arabe. Il était temps. Elles avaient été créées, il y a si longtemps, par le ministère de (l'Information et de la Culture et elles avaient publié des auteurs qui, par la suite, pour certains d'entre-eux, sont devenus de grandes plumes de la presse, de la prose et de la poésie... et de la culture en général. Auparavant, être publié par ces revues était le «must» de l'écriture. Le vide qui a suivi - dû beaucoup plus à une mauvaise gestion (car trop administrative donc bureaucratique et, en fin de parcours, stérilisante) qu'à une décision politique ou quelque chose de ce genre - a laissé «orphelin» un pan important de la vie culturelle, obligée de se rabattre sur les publications arabes étrangères qui surent en profiter... et, après 90, sur la presse nationale qui n'avait pas vocation de jouer un rôle aussi grave; l'information et la vulgarisation étant les premières missions... Il ne s'agit pas de créer une nouvelle entreprise, il ne s'agit pas pour le ministère de «gérer» ces revues (mais seulement de les coacher» intelligement), il faudrait, peut-être, les confier à des associations (pas à l'Union des écrivains)... une ou deux, sur la base d'un cahier des charges ou d'un contrat de performance.