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Accueil mitigé à Oran: «Une affaire franco-française»

par Sofiane Maïzi

En pleine tournée de promotion de son troisième livre sur le passé colonial français et sa seconde œuvre consacrée à la guerre d'Algérie : «Le dernier tabou, les ?harkis' restés en Algérie après l'indépendance», Pierre Daum, était jeudi à Oran où il a animé une conférence-débat, à la librairie Livres Art et Culture. L'auteur de «Ni valise ni cercueil. Les Pieds-noirs restés en Algérie, après l'indépendance», a eu cette fois-ci un accueil mitigé. Il a trouvé tout le mal du monde à convaincre un public qui ne semblait, majoritairement, ni acquis ni conquis à sa cause. Dès l'ouverture du débat, l'auteur a essuyé un flot de critiques véhémentes de la part de plusieurs intervenants qui lui ont reproché, implicitement, d'être en «campagne de réhabilitation de traîtres». Le journaliste français a été mis au ban des accusés. Les reproches fusaient de partout : «Quel est l'intérêt scientifique de votre livre ?», «Pourquoi vous venez, aujourd'hui, remuer le couteau dans la plaie ?», «les harkis c'est une affaire franco-française», «le dernier tabou de la guerre Algérie, ce sont les massacres de la France coloniale et non les harkis», «pourquoi avez-vous de la compassion pour ces traîtres qui ont torturé leurs concitoyens ?»? Le ton montait, dans la petite salle, les remontrances pleuvaient, de toutes parts, bientôt les accusations. Le sujet à polémique de l'histoire des ?harkis' fait nourrir, chez certains, les suspicions les plus délirantes sur les motivations profondes de l'auteur. Pierre Daum a dû tremper sa chemise pour défendre son livre. Il n'a pas été avare de détails sur ses cinq séjours, en Algérie, et son périple dans sa voiture de location, dans les douars et les dechras de l'Algérie «habitée». Il se prête même à la confidence en avouant avoir menti à cinq reprises pour obtenir le visa.

Après plus de trois heures de débat houleux, sous les feux des critiques, la chemise de Pierre Daum a succombé et s'est retrouvé trempée de sueur, mais l'auteur de «Ni valise ni cercueil» a tenu bon. Il a même gagné la sympathie de quelques jeunes gens, venus pour la vente-dédicace. Pierre Daum a tenté de se justifier des critiques dont il est l'objet en assurant qu?il n'a aucune complaisance pour les ?harkis' mais qu'il a essayé de raconter «sans haine» la «véritable» histoire de la guerre de Libération algérienne. «Ce qui m'intéresse c'est l'histoire. J'ai rapporté des éléments objectifs et j'ai recueilli des témoignages? j'ai visité une soixantaine de villages de Tlemcen à Annaba et j'ai trouvé des ?harkis' dans toute l'Algérie. Et contrairement aux collabos français sous l'occupation nazie, qui étaient poussés par des motivations idéologiques (fascisme), la majorité des harkis ont rejoint le mauvais côté pour des raisons familiales et économiques», a lancé l'auteur tout en estimant que son enquête est une «ébauche» pour écrire la vraie histoire de la guerre de Libération. «Quand on prononce le mot ?harki', en Algérie, il y a une connotation extrêmement négative. J'ai rendu visite à ces vieilles personnes et j'ai constaté leur souffrance. Ils sont victimes de relégation et de mépris social. Pour moi ces ?harkis' sont, eux aussi, des victimes du système colonial», soutient l'auteur. Le discours rationnel de l'auteur ne semble aucunement, séduire bon nombre de personnes, dans la salle. Un homme d'un certain âge se lève et prend la parole : «l'histoire des ?harkis' ce n'est nullement un tabou pour les Algériens, mais c'est une blessure inouïe. Je suis le tintamarre qui se passe en France, sur cette question. Les ?harkis' c'est une affaire franco-française. Vous venez, aujourd'hui, remuer une blessure qui a mis du temps à se cicatriser. Vos ?harkis' ont fait leur choix d'être du mauvais côté».

Un débat intense s'ensuivit, au cours duquel chacun raconte son «histoire». Des positions sont, rapidement, prises et les sentences ne tardent pas à être prononcées.

Le débat (re)lancé par Pierre Daum divise l'assistance en deux groupes : il y a les vieux, d'un coté, et les jeunes de l'autre. Les échanges houleux sur la question des ?harkis' ont engendré une polémique stérile. Les discussions débordent sur d'autres sujets d'actualité, en Algérie. Après avoir ravivé la polémique parmi l'assistance, Pierre Daum se dérobe de la salle, laissant des Algériens régler, entre eux, sans «ingérence étrangère», leurs comptes.