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Inquiétudes sur l'avenir de l'Union européenne

par Pierre Morville

Réfugiés, terrorisme, croissance faible, sortie de la Grande-Bretagne : l'UE ne va pas bien et les solutions difficiles.

Le président de la Commission de Bruxelles, Jean-Claude Juncker évoque une situation de « polycrise non maîtrisée », Grèce, Ukraine, réfugiés, terrorisme.., qui fait apparaître de nombreuses fragilités dans la grande mécanique européenne, mettant en évidence des divergences entre les Etats membres, des ruptures ou des fractures régionales. L'afflux massif de réfugiés provenant du Moyen-Orient est en train de faire vaciller « l'espace Schengen ». La convention de Schengen organisait l'ouverture des frontières entre les pays européens. Plus de douaniers, plus de postes frontières. Ils reviennent au galop : « Schengen, second pilier de la construction avec la monnaie unique, vacille ; plusieurs pays tels que la Grèce, l'Italie ou encore la Scandinavie s'estiment livrés à eux-mêmes face à l'afflux de réfugiés ; l'Europe centrale entre en rébellion... », note Pascal Boniface, le patron de l'IRIS.

Le terrorisme issu des crises moyen-orientales, notamment avec les attentats de Paris en novembre dernier, renforce encore les sentiments xénophobes ou anti-immigrés et pousse surtout les pays européens à fermer au plus vite leurs frontières.

L'autre grand dossier qui nourrit les inquiétudes européennes, c'est la mauvaise situation économique de l'Union européenne. En 2007 / 2008, les économies du petit continent ont été, comme le reste de la planète durement secouées par la crise dite des subprimes, en réalité l'organisation même d'une finance internationale très spéculative.         Aujourd'hui, la plupart des continents ont réussi, tant bien que mal, à renouer avec la croissance. Ce n'est pas le cas de l'Europe qui flirte, selon les pays, entre une croissance très faible et une croissance nulle. Comme l'inflation est très faible, le risque d'une déflation, baisse durable des prix, la catastrophe tant redoutée par les économistes, est une menace permanente.

Les Etats européens se sont enfin beaucoup endettés ces trente dernières années. En 2010 surgit une autre crise financière, celle-ci européenne, la crise des dettes souveraines : elle affecte, dans le sillage de la crise des subprimes, les économies des 17 pays de l'UE qui ont comme monnaie de référence l'euro. Manifestation la plus spectaculaire, la crise grecque, gérée pour le moins de façon très autoritaire par l'Union européenne, avec à la clé un programme d'une rare austérité pour le peuple grec. On ne parle plus de solidarité européenne.

UE : complexe construction

L'Europe reste la zone la plus riche de la planète et, alors qu'elle avait été le lieu principal des deux dernières guerres mondiales, les Etats membres de la Commission économique européenne (CEE) puis de l'Union européenne, semblaient déterminés à constituer une très solide alliance de type fédéral entre les différents peuples européens. Aujourd'hui, tout le monde doute. Qu'est-ce qui n'a pas marché dans la mécanique de la construction européenne ?

L'élargissement trop rapide à 28 pays en est certainement l'une des explications. A la sortie de la guerre de 1939-45, six pays dont la France et l'Allemagne, avec l'Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg, créent en 1951 une 1ère alliance économique, c'est la Communauté européenne du charbon et de l'acier, qui deviendra la Communauté économique européenne en 1957. Ces pays de l'Europe de l'Ouest réunis sont frontaliers et présentent des niveaux d'industrialisation et de richesse relativement comparables.

Les relations au sein de la CEE étaient pragmatiques : « L'Europe se construisait par strates successives à partir de politiques sectorielles, juxtaposées d'une certaine façon les unes aux autres : l'agriculture, les transports, le commerce des biens, figurent parmi ces politiques relativement intégrées?et réussies. Avec des à-coups et des coups de mous. Mais bon an, mal an, cela avançait », pointe Nicolas Gros-Verhede du site Bruxelles 2.

La construction de l'Europe se faisait alors progressivement, par cercles concentriques, sur la base d'accords pragmatiques entre les Etats.

L'affaire marche bien et l'Europe gagne de nombreux adhérents : la fin des dictatures au Portugal en Espagne et en Grèce permettent, dans les années 70, à ces pays d'intégrer la CEE. Les économies florissantes de l'Europe du Nord (Danemark, Suède) sont également intéressées, le tout facilité par une croissance tonique de l'ensemble de la zone européenne.

Euphoriques, les Européens veulent aller plus vite et plus loin. En 1992, le traité de Maastricht institue une union politique qui prend le nom d'Union européenne et qui prévoit la création d'une union économique et monétaire, dotée d'une monnaie unique : l'euro. Instituée en 1999 à onze, la zone euro compte dix-neuf États en 2016.

Problèmes multiples. Tout d'abord en s'élargissant, l'Union européenne a, après la chute du mur de Berlin, intégré de nombreux pays de l'Europe de l'Est qui voulait quitter définitivement le joug de l'URSS, devenue Russie. La Pologne, la Hongrie, la Tchéquie et la Slovaquie, les 3 pays Baltes, puis progressivement, un nombre croissant de nations des Balkans intègrent l'Union européenne. Des pays pauvres qui redécouvrent tardivement les mécanismes démocratiques.

Or, la dynamique de l'Union européenne repose sur une harmonisation rapide des revenus sur l'ensemble du petit continent. La création d'une monnaie commune, l'euro, devait favoriser cette mise à niveau qui permettait justement d'homogénéiser les revenus et surtout d'éviter des phénomènes de concurrence interne, générant du chômage dans les pays où les salariés sont les mieux payés : les entreprises de l'Europe de l'Ouest sont en effet très tentées de délocaliser leur production dans les pays de l'Europe de l'Est où le coût du travail est bien moins cher ! Mieux, le secteur agricole allemand importe une main-d'œuvre en provenance de la proche Pologne, bien moins coûteuse que les salariés locaux.

Autre difficulté majeure, l'euro

La monnaie n'est historiquement, jusqu'à ce jour, qu'un instrument aux mains d'un Etat. Car un Etat, grâce à sa monnaie, peut valoriser ses réserves en augmentant le cours de sa monnaie ou, au contraire, se débarrasser de ses dettes, en dévaluant.

C'est la prérogative souveraine des Etats qui disposent justement du contrôle de la monnaie.

L'euro a connu une formidable réussite et s'est imposé rapidement comme monnaie internationale mais, à la différence du yen, du dollar, du yuan ou du rouble, quel Etat contrôle cette monnaie ? Certes, il existe officiellement la Banque centrale européenne. La BCE, instance aucunement élue, gère bien l'euro. Elle influence l'économie des Etats membres mais ceux-ci conservent le droit souverain de gérer chacun leur politique économique et sociale. Compliqué. Dans la réalité, l'Europe est dirigée par les Etats qui ont les économies les plus puissantes du petit continent, notamment l'Allemagne. Les sanctions infligées à la Grèce, de façon scandaleuse, dans un rapport fouetteur de maître à élève, ont largement été dictées par Berlin. Or aujourd'hui, l'orientation générale (réduction drastique de la dépense publique, austérité salariale, libéralisme accru des marchés) largement défendue par la Commission européenne, commence à trouver des résistances dans les autres grandes économies européennes, l'Italie, l'Espagne, en partie la France et même la Pologne.

La contestation de l'autorité européenne prend en Europe de l'Est une forme particulière : la prise du pouvoir par des partis xénophobes, autoritaires, voire d'extrême droite.

C'est la cas de la Pologne avec le parti populiste Droit et Justice qui impose une « démocratie » de fer, avec seulement 37% des voix, de la Hongrie avec le très autoritaire Viktor Orban, ou la Slovaquie qui refuse sur son territoire toute entrée de réfugiés.

La question des réfugiés surdétermine tous les débats politiques européens. Vers le pire. Angela Merkel qui avait eu une politique d'une rare et généreuse ouverture aux réfugiés syriens a dû faire largement marche arrière après les incidents de Cologne.

Paradoxalement, la France, par son passé colonial, terre traditionnelle d'immigration, n'a pas été priorisée par les réfugiés syriens qui lui ont préféré l'Allemagne. De même à Calais où il y a eu de nombreux incidents, un vaste camp de réfugiés abrite des malheureux qui ne souhaitent qu'une chose : gagner l'Angleterre.

En revanche, une prise de pouvoir des djihadistes dans la zone du Sahel enclencherait une fuite des populations qui se dirigeraient naturellement vers la France : « si le Sahel est déstabilisé par des djihadistes, nous serons aux premières loges pour accueillir par centaines de milliers des populations désespérées, peu éduquées, dont la culture nous est très étrangère et qui seront naturellement attirées par leurs diasporas respectives présentes en France. La population des quatre pays qui sont au cœur du Sahel francophone (Niger, Tchad, Mali et Burkina) représente 67 millions de personnes. Dans vingt ans, elle sera de l'ordre de 130 millions. Nous sommes loin des 23 millions que représente la population syrienne... », fait remarquer Serge Michailof, de l'Iris dans le Figaro.

Plus ou moins de fédéralisme ?

Nouvelle contradiction, l'Union européenne si unie dans les textes n'a aucune politique commune en matière diplomatique et sur les questions de défense. Aucune motion unanime du Conseil et du Parlement européen sur les conflits du Proche-Orient. Les positions prises par certains de ses membres dans les conflits de la Libye ou de l'Ukraine, positions pour le moins très alignées sur les positions américaines, n'on été débattues dans aucune instance européenne. De même, les sanctions européennes prises à l'occasion de ce conflit et leur maintien contre la Russie ont-elles fait l'objet d'un quelconque débat ? Non. La France est pour une intervention justifiée au Mali contre le djihadisme. Elle est totalement isolée dans le grand concert européen.

Enfin, dernière pierre dans la chaussure européenne : le Brexit, c'est-à-dire la possibilité que la Grande-Bretagne quitte le navire de l'UE. Le 1er ministre britannique a menacé d'un départ de son pays de l'UE si cette instance n'acceptait pas les exigences britanniques dont un moratoire de quatre ans au versement de certaines aides sociales aux immigrants issus de l'UE venant travailler au Royaume-Uni pour décourager l'immigration économique intra-européenne ! On est loin des réfugiés de Calais, il s'agit bien des « immigrés » européens se rendant en Angleterre. Angela Merkel et François Hollande, assistés de Martin Schulz, président du Parlement européen se sont réunis dimanche dernier pour préparer le prochain Sommet européen du 18 et 19 février qui va tenter de maintenir la Grande-Bretagne dans l'UE. Mais cette décision restera à la main des électeurs britanniques qui décideront lors d'un référendum qui devrait se dérouler d'ici l'été. Selon un sondage réalisé en novembre, 52% des Britanniques voudraient quitter l'UE.

Pour sortir de toutes ces impasses, les pro-européens réclament un Etat fédéral européen fort, supérieur à l'autorité des Etats nationaux. « Seule une réforme des traités européens permettrait de sortir de cet enlisement rapide du projet européen. Mais elle ne peut se faire qu'à l'unanimité », se plaint l'un d'entre eux, Jean Quatremer. Car l'unanimité pour une réforme semble impossible. Déjà, la Charte du droit fondamental signée à Rome en 2005 qui inaugurait un projet de « Constitution européenne » a été invalidée ensuite par deux référendums, en France et aux Pays-Bas.

Il n'est guère imaginable dans le climat actuel que le projet d'un Etat fédéral européen fasse l'unanimité des 28 Etats-membres. Autre solution possible, explorée tant par les fédéralistes que par les souverainistes : une « Europe à la carte ». En clair, un noyau central regroupant principalement les pays de l'Europe de l'Ouest et un second ou un troisième cercle rassemblant sur des accords plus ponctuels ou limités l'ensemble des pays européens, dont la Grande-Bretagne !