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Y-a-t-il une issue à la crise du capitalisme?

par Kamal Guerroua

Il va de soi qu'au regard du contexte mondial en cours, les risques de désordres majeurs sont multiples. D'abord, en raison du problème de terrorisme transnational incarné auparavant par Al- Qaïda, puis ensuite par Daesh.

Quoique circonscrit ces dernières décennies à l'espace arabomusulman (il faut savoir que l'activisme terroriste concernait également l'Europe, l'Amérique Latine et l'Asie au milieu des années 1980 : «Action Directe» en France, «Bande à Baader» en Allemagne, «ETA» en Espagne, «Sendero luminoso» au Pérou, «F.A.R.C» en Colombie, ou même les «Khmers Rouges» au Cambodge, etc.), ce terrorisme-là frappe fort et installe aujourd'hui un peu partout dans le monde «un climat de psychose».

Il révèle en outre la fragilité des frontières traditionnelles, l'effritement des souverainetés nationales et les failles de la technologie moderne (les groupes terroristes ne se sont-ils pas appuyés sur cette technologie-là afin de faire la propagande à leurs actions, voire l'organisation, la logistique et la préparation des attentats?). Puis aussi, en raison d'un grave dérèglement économique dont les causes et les effets s'imbriquent mutuellement. Prenons l'exemple du pétrole et examinons-le de près à la lumière de cette crise sécuritaire secrété successivement par les attaques de World Trade Center de septembre 2001 et les guerres qui s'en suivirent (Irak et Afghanistan en particulier). En moins de 2 ans, c'est-à-dire, de juin 2014 à janvier 2016, les hydrocarbures sont passées de 140 dollars à moins de 30 dollars. Une chute libre qui n'est pas sans impact direct sur les marchés économiques.

D'ailleurs, la banque mondiale, le fonds monétaire international (F.M.I) et l'organisation de coopération et du développement économique (O.C.D.E) ont émis des signes de détresse à ce sujet. Pourquoi? L'intention des pays de l'organisation des pays producteurs du pétrole (OPEP) de maintenir leur production pétrolière à son rythme actuel coïncide avec la baisse de la demande de celle-ci (hiver moins sévère en Europe, concurrence du gaz du schiste, l'alternative des énergies renouvelables, apparition d'acteurs énergétiques régionaux «informels» comme Daesh, etc). Ainsi les grandes bourses mondiales ont-elles perdu près de 10% de leurs transactions financières depuis début 2015. Et qui parle, bien entendu, de la faiblesse des bourses, parle forcément de la disparition de la domination du grand capital sur la finance internationale. Se heurtant à une récession exceptionnelle, ce dernier (le capital financier s'entend) n'arrive pas à se recycler. Il semble que les mécanismes de gestion économique issus de la seconde guerre mondiale (1939-1945) cadrés par les accords de Bretton Woods de 1944 s'avèrent inopérants dans cette étape d'économie des services.

De ce fait, les organismes gouvernementaux ainsi que les opérateurs économiques privés sont dans la ligne de mire de cette crise qui s'est ébauchée, rappelons-le bien, en 2007-2008 (le choc des subprimes et la faillite de la banque de Lehman Brothers) d'autant qu'ils ressentent déjà les contrecoups du ralentissement de la production et des investissements au niveau intercontinental. Bref, le phénomène du «crash» est devenu tout aussi préoccupant qu'imminent. En témoignent la décision de la réserve fédérale américaine (F.E.D) d'augmenter les charges d'endettement (hausse des taux d'intérêt) et surtout les dernières perturbations boursières en Chine. Ce dragon de l'extrême orient qui affiche jusque-là un taux de croissance exemplaire recule, enregistrant en 2015 son plus bas niveau en la matière, jamais atteint depuis au moins 25 ans (6.9% contre 7.3% en 2014, en plus des retombées désastreuses d'une économie minée par l'endettement). Effet de dominos oblige, la crise est bien partie sur les rails dans la mesure où partout les réformes économiques (plans d'austérité) tendant à la valorisation des capitaux ont de la peine à se faire accepter par les peuples. C'est pourquoi, les oligarchies financières ont trouvé dans «l'économie d'armement» une solution à ce cercle vicieux. Or si les guerres au Moyen Orient représentent une chance pour les occidentaux afin de fluidifier la machine financière, il n'en demeure pas moins que cette tendance néocolonialiste soit un élément aggravant. Autant dire, un catalyseur «de plus» du dérèglement du marché pétrolier. Preuve en est que la rivalité entre l'Iran et l'Arabie Saoudite est portée à son paroxysme, en particulier au lendemain de l'accord de juillet 2015 sur le nucléaire qui consacre le retour de l'économie de la puissance persane sur le marché. Et également à cause du conflit syrien qui aura vu le triangle Iran-Syrie-Russie avec le Hezbollah se renforcer. Il est clair que ni les U.S.A ni l'Iran, encore moins la Russie ne feront freiner leur production pétrolière.

Or cette nouvelle donne risque de faire perdre des parts de marché de l'un au profit de l'autre au gré des retournements de la situation sur le terrain de guerre en Syrie. D'ailleurs, la destruction des Etats du Moyen-Orient n'a pour conséquence que la création de circuits parallèles de vente du pétrole (surfacturation maffieuse). En quelque sorte, les américains favorisent une situation de blocage, en réduisant l'O.P.E.P à l'état d'impuissance et en laissant des organismes non-étatiques contourner les embargos économiques imposés dans la région. A lui seul, Daesh gagne presque 1 milliard de dollars de recettes de l'or noir par un. Ce faisant, il casse les prix du pétrole, brade les richesses souterraines de ces pays-là (l'Irak notamment) et alimente cette situation de psychose sécuritaire dont le «feed-back» n'est qu'un retour de bénéfices pour l'oncle Sam! Le plus dramatique est que ce marché noir se délocalise maintenant et s'implante peu à peu en Libye.

Un pays rongé par les rivalités interconfessionnelles et échappant au contrôle total des autorités. Bref, un trafic du pétrole presque totalement libre aux portes de l'Algérie et de la Turquie. Si la première en est la victime, la seconde en bénéficie. En plus, comme la Russie est en concurrence directe avec les Etats Unis sur les marchés du gaz et des produits dérivés (gaz et huiles issues de schiste), les compagnies américaines «les majors» peuvent bien en tirer des dividendes, surtout avec la levée de l'interdiction des exportations du pétrole datant de 1973. Tacticiens, les Américains savent bien que le gaz de schiste est peu concurrentiel à court et à moyen terme sur le marché.

Et s'estimant en autarcie en matière d'énergie, ils commencent à inonder le marché, créant un effet de boule de neige! Ce bouleversement s'explique par exemple dans l'attitude de l'une des compagnies américaines qui venait d'investir 20 milliards de dollars dans son principal terminal avec cinq grands projets de liquéfaction du gaz de schiste dont le prix est indexé sur celui du pétrole.

Or même avec 70 dollars le baril, les hydrocarbures influent négativement sur les pays producteurs amenés à réduire les importations et les investissements. Faisant table rase des saoudiens qui, même s'ils s'attendent à des horizons gris, ils en possèdent d'autres recettes touristiques, l'Algérie et le Venezuela seront les grands «losers» de ce chamboulement. Notre pays dont 98% des exportations sont en hydrocarbures (50% du P.I.B et plus de 60% de recettes fiscales) et le Venezuela qui exporte 95% du pétrole (65% des ressources de l'Etat) subiront des ondes de chocs sociales importantes, lesquelles s'ajouteront à des pressions occidentales de plus en plus fortes (notamment de la part du capital financier). Ces effets récessifs se répercutent également sur les grandes puissances.

Aux U.S.A, les économistes craignent fort le développement d'aspects boursiers et financiers négatifs à cause des désordres actuels. En France, beaucoup de secteurs liés au domaine du pétrole seront paralysés (le parapétrolier, les équipements, les services, etc). En Chine, l'entrée de l'économie de ce pays dans une zone de turbulences (endettement) l'a affaibli dans son rôle de moteur de locomotive mondiale qu'elle aurait hérité des Etats Unis au sortir des années 1990-2000. Le régime communiste devenu pilote d'une économie capitaliste mondialisée se voit face à une équation à deux variables. D'une part, une forte croissance boostée par les exportations (une main d'œuvre à très bas coût). D'autre part, une croissance modérée, voire faible tirée par la consommation intérieure. Chantier du monde à l'instar de la Grande Bretagne à la deuxième moitié du XIX siècle, puis des Etats Unis à l'issue de la seconde guerre mondiale, ou plus récemment le Japon avant sa phase de stagnation, la Chine aurait conquis beaucoup d'espaces commerciaux.

Toutefois, le syndrome de la corruption qui aurait accompagné ce modèle pro-occidental tourné vers la consommation excessive a inhibé son système. En revanche, le ralentissement de l'empire du milieu peut profiter pleinement à l'Occident puisqu'il induit une moindre demande internationale en hydrocarbures et en matières premières. Autrement dit, cela créera un gain de pouvoir d'achat pour cette Europe importatrice et consommatrice du pétrole. En parallèle à cela, les exportations européennes et occidentales vers la Chine vont subir un sévère coup d'amortisseur. En cause, les classes chinoises favorisées cesseront par exemple d'acquérir les automobiles allemandes, le luxe français et la technologie de pointe américaine. Par conséquent, d'une part, l'instabilité des changes relancera une possible guerre entre les monnaies (Euro, dollars, Yen, etc.).

D'autre part, elle peut mener droit vers une exacerbation des dérives protectionnistes, nationalistes, xénophobes, etc., qui contredisent l'esprit même du capitalisme. Tous ces facteurs regroupés, c'est-à-dire, la baisse de la monnaie chinoise, les milliards de dollars déversés par les banques centrales (surtout en Europe) pour des plans de réformes, de sauvetage financier et de rééchelonnement de dettes afin de «sauver» le capitalisme de la noyade jumelés au danger spéculatif de voir ces monnaies s'affaiblir signeront la fin des espoirs placés dans les pays émergents (le fameux BRICS). La récession mondiale accélérée ne sera alors qu'une affaire du temps. Bien entendu, la masse monétaire qui circule actuellement sera absorbée par ces économies des grandes puissances, devenues déficitaires. A en croire une étude menée par l'institut de la finance internationale sur les flux des capitaux publiée le 20 janvier dernier, l'année 2015 aura vu environ 735 milliards de dollars net sortis des pays émergents, soit 6.6 fois de plus qu'en 2014! Ne serait-il pas alors grand temps de tourner la page du capitalisme sauvetage?