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Affaire des moines de Tibéhirine : Un rapport qui ne dit rien de nouveau

par Moncef Wafi

Ce qui tient lieu de nouvelles révélations dans l'affaire des moines de Tibéhirine n'est ni plus ni moins que l'officialisation d'une version défendue, en octobre dernier, par l'avocat des familles des moines, Patrick Baudouin, après la fin de mission des deux magistrats français, Marc Trevidic et Nathalie Poux, en Algérie.

L'expertise française «de visu», se basant sur des photos «d'assez médiocre qualité» prises le 30 mai 1996, quand ont été découvertes les têtes des sept moines trappistes, ainsi que sur les prélèvements issus des exhumations des têtes qui n'ont pas quitté l'Algérie, révèle que leur mort serait antérieure à la date avancée, dans un communiqué de revendication du GIA, rendu public le 23 mai 1996 et daté du 21. «L'hypothèse d'un décès entre le 25 et le 27 avril 1996, tel qu'il est évoqué dans une pièce de procédure, apparaît vraisemblable», selon les conclusions de cette expertise, datée de lundi et présentée, jeudi, aux proches des sept moines assassinés par le juge d'instruction au pôle antiterroriste du Tribunal de Grande Instance de Paris, Marc Trévidic. L'autre élément qualifié de «troublant» est le résultat des examens des têtes des moines accréditant «une décapitation post mortem». Les têtes, retrouvées au bord d'une route le 30 mai 1996, ont, sans doute, été exhumées pour être de nouveau enterrées : «Les éléments botaniques et la présence de terre différente de celle du cimetière de Tibhirine, observés dans et sur les crânes sont en faveur d'une première inhumation», estiment les experts. Ils soulignent, également qu'«il est retrouvé des lésions évocatrices d'égorgement chez trois d'entre eux, égorgement suffisant pour être à l'origine directe de la mort», précisant qu'il n'y a pas d'impact de balles sur les crânes. Deux faits qui sont assez significatifs, dans l'esprit de la défense des familles des moines relayée par la presse française pour décréter que les conclusions partielles des experts français ont relancé les doutes sur la version officielle d'Alger sur l'affaire du monastère de Tibéhirine malgré les mises en garde de ces mêmes experts. Ils notent, ainsi, qu'«en l'absence des corps», la cause des décès «ne peut pas être affirmée». De son côté, Marc Trevidic a estimé les conclusions des experts «à 80 %, sur les causes de la mort et la date de la mort», regrettant de ne pas pouvoir disposer des prélèvements faits en Algérie. Il ira même jusqu'à demander à Paris d'exercer des pressions sur Alger pour débloquer la situation. Une question déjà soulevée par Me Baudouin qui n'avait pas hésité à accuser les autorités algériennes de confisquer des preuves. Tayeb Louh, ministre de la Justice et garde des Sceaux, avait affirmé, dans une déclaration à l'APS, que la justice algérienne «accomplit son travail normalement» à propos de cette affaire, en respectant les «procédures judiciaires (?) conformément à la loi au niveau du juge d'instruction chargé de l'affaire».

En refusant au juge d'instruction français de rentrer en France avec les prélèvements, réalisés sur les dépouilles des religieux, Alger s'est retrouvée la cible d'accusations aussi gratuites qu'infondées puisque Marc Trévidic, avant son déplacement en Algérie avait déclaré que «les spécialistes des deux pays travailleront ensemble, le juge algérien chapeautera et je serai présent».

ENQUETE ET CONTRE-ENQUETE

De son côté, le ministre algérien de la Justice avait précisé que «la procédure d'expertise et d'autopsie sera assurée par des experts algériens», en présence du juge français, sans qu'il n'ait jamais été question qu'un quelconque transfert de preuves en France. Me Baudoin, même s'il avait pris, en octobre dernier, la précaution d'annoncer que les «experts n'ont pas de conviction définitive» évoque la piste de la manipulation des services de sécurité algériens, dans la mort des moines, en s'appuyant sur la simple impression des experts français qui pencherait «plutôt que la décapitation serait intervenue post-mortem».

L'enlèvement, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, des sept moines trappistes français de Tibéhirine et leur assassinat continue, toujours, à susciter les interrogations et soulever les polémiques. Le dernier éclairage apporté par un documentaire, signé par Malik Aït Aoudia, correspondant de l'hebdomadaire français ?Marianne' en Algérie, et Séverine Labat, diffusé le 23 mai 2014 sur la chaîne française ?France 3' va à l'encontre de la thèse des « qui tue qui ? » en vogue, alors, au plus fort de la décennie noire qu'à vécue l'Algérie. Plusieurs thèses sont avancées pour expliquer la mort des moines mettant, directement, en cause les services secrets algériens ou évoquant, encore, une bavure de l'armée algérienne. Certains n'ont pas hésité à affirmer que les moines ont été tués par des tirs d'hélicoptère lors d'une opération militaire et que pour garder secret cet échec, les moines auraient été décapités pour qu'on ne retrouve pas leurs corps criblés de balles. Une version qui s'appuie sur le témoignage, le 25 juin 2009, du général François Buchwalter, attaché militaire de France, en Algérie, à l'époque des événements, au juge Marc Trévidic, en charge de l'affaire. Ce documentaire se veut, également, une réponse à ceux qui ont émis des doutes sur l'implication des hommes de Djamel Zitouni, dans les meurtres puisque ?Marianne' avait publié des extraits de Hassan Hattab, ancien membre du GIA et fondateur du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) qui affirme que Zitouni, l'émir du GIA, l'a appelé pour l'informer de la mort des moines. Parmi les autres témoignages publiés par l'hebdomadaire, celui d'Abou Imen, présumé dernier geôlier des moines assassinés, qui a assisté à leur décapitation et qui avoue n'avoir pas tiré une seule balle, « ils ont tous été égorgés au couteau », dira-t-il, sans avoir, auparavant nié toute implication dans leur exécution. Abou Mohamed, émir du GIA, explique, lui, les raisons de la décapitation par l'impossibilité de prendre leur corps. « Zitouni a pris la décision de se débarrasser des moines. Il n'était pas facile de prendre leur corps en entier, alors, ils les ont décapités ». Il révélera que les corps ont été enterrés dans les montagnes de Bouguara et que c'est lui-même qui a mis les têtes dans une voiture pour les jeter sur la route. C'était sous un arbre, à l'entrée de Médéa, que les têtes seront découvertes par un automobiliste.