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France : à droite toute !

par Pierre Morville

Le social-libéral Hollande mécontente 8 Français sur dix, la droite divisée doit faire face à la concurrence du Front national

La scène politique française bascule très curieusement sur sa droite. Le Parti socialiste qui a vu l'un des siens gagner l'Elysée et qui dispose seul d'une majorité à l'Assemblée nationale fait, à peu de choses près, l'inverse de son programme électoral ; le gouvernement installé depuis trois ans multiplie les mesures, très libérales pour les entreprises, très austères pour les salariés. Du coup, il est le grand perdant de toutes les élections intermédiaires, municipales, départementales, européennes, régionales l'an prochain. L'électorat de gauche est déçu, amer, inquiet et souvent très en colère.

La droite ne s'est toujours pas remise de la défaite de Nicolas Sarkozy. Celui-ci, après quelques fausses hésitations (« je crois bien que je vais arrêter la politique »?) a repris en main l'UDF, principal parti d'opposition, contrant ainsi ses deux principaux rivaux, son ancien Premier ministre, François Fillon et l'ex- bras droit de Jacques Chirac, Alain Juppé. Mais la ligne politique que promeut aujourd'hui Nicolas Sarkozy est sensiblement plus musclée, autoritaire, plus à droite en un mot que celle qu'il appliquait lorsqu'il était aux commandes de l'Etat français. Mardi, le bureau politique de l'UMP a décidé de donner un nouveau nom à cette formation politique : l'UMP devient « Les Républicains ». L'allusion au Parti républicain américain est plus que transparente. L'ex-président français n'a jamais caché sa fascination pour la vie politique américaine et plus particulièrement à sa frange très conservatrice.

Quand à l'extrême droite, incarnée par le Front national, elle multiplie les victoires électorales, preuve d'un ancrage aujourd'hui important dans toute la population française, tant au niveau géographique (pas une région n'y échappe) que sociologique : ouvriers, paysans, employés artisans, cadres, petits et grands patrons, beaucoup d'électeurs ont franchi le pas.

Mais, patatras ! voila que le père, Jean-Marie Le Pen, président d'honneur du Front national, et la fille, Marine le Pen, président de la même formation, s'insultent depuis quelques jours dans les médias, en arrivant presque aux mains. L'objet de la dispute aussi violente que familiale ? Le contrôle du parti. Le Pen senior (86 ans) a perdu la première manche en se faisant exclure temporairement de son poste de président d'honneur. Du coup, il appelle publiquement à la défaite de sa fille et de son parti (dont il est le fondateur et le dirigeant historique depuis quarante ans) aux prochaines élections, menaçant même de créer sa propre formation ! Derrière les conflits de personnes qui frisent le grotesque, il existe aussi des divergences de lignes politiques. La fille qui rêve d'accéder notablement au pouvoir est désormais gênée par les dérapages provocateurs et répétés, notamment antisémites, du père. Le père reproche à sa fille un programme social trop « social ». Bref, le Front national se divise aujourd'hui entre une extrême droite dure et une extrême droite quasi fasciste. Comme cette formation arrive à convaincre jusqu'à un quart de l'électorat dans les élections locales, on est un peu inquiet pour l'avenir du pays. Surtout quand le père et la fille désignent unanimement l'immigration comme la source de tous les maux de la société française. Car Jean-Marie et Marine Le Pen n'ont pas la moindre divergence dans le registre des insultes et menaces anti-musulmanes, anti-arabes ou anti-africaines.

MECONTENTEMENT GENERAL CONTRE HOLLANDE

« Mais comment en n'est-on arrivé là ? », comme on disait sur le Titanic. Bonne question ! Mais si les raisons sont nombreuses, les issues positives semblent rares.

Il y a tout d'abord, le mystère Hollande. Le chef de l'Etat célébrait hier, le troisième anniversaire de son élection. Elu président de la République le 6 mai 2012, François Hollande n'avait pas grand-chose à célébrer. 81% des Français jugent aujourd'hui son bilan négatif.

« C'est particulièrement le cas sur le plan des résultats économiques. Trois ans après son arrivée aux affaires, la dette, la croissance, le chômage sont toujours ses boulets. Honni par la droite, mal aimé par la gauche et contesté dans les rangs de sa propre majorité, son avenir électoral commence à sentir le roussi. En cas de second tour (pour les élections présidentielles de 2017), à en croire les sondages, « même Marine Le Pen le battrait », note l'Express.

La 1ère erreur commis par François Hollande a été certainement à son arrivée à l'Elysée de sous-estimer l'ampleur de la crise économique qui a particulièrement secoué l'économie occidentale, et notamment l'économie française, en 2008 / 2010.

De même, pro-européen de conviction, François Hollande n'a pas contesté le cadrage particulièrement brutal imposé par la Commission européenne aux pays adhérents de l'UE. Second faux pas. Pour les eurocrates, la sortie de la crise ne pouvait passer que par des réductions budgétaires sévères, une crise d'amaigrissement brutale imposée notamment par les Allemands, pour contrer tout dérapage inflationniste, la vieille angoisse teutonne. On connaît les résultats de cette politique aussi dogmatique qu'inefficace : la croissance est devenue nulle, interdisant toute réduction de la dette, le chômage est massif, l'inflation tant redoutée est nulle, voire négative, introduisant l'Europe dans une phase dangereuse de déflation. Perspective de croissance française en 2015 ? +1% en 2015 et peut-être 1,5% en 2016. Pourtant en 2015, la conjoncture internationale est plutôt favorable : une certaine reprise américaine (les économistes libéraux mais pragmatiques des États-Unis ont, contrairement à l'Europe dogmatique, joué la carte de la reprise par les déficits budgétaires et la planche à billet du dollar), des crédits bon marché sur les emprunts internationaux, un euro affaibli ouvrant un afflux de liquidités dans la zone européenne. Et le pétrole est même redevenu bon marché ! Mais la crise économique internationale se poursuit, la petite reprise américaine s'essouffle et les économies montantes (Chine, Inde, Brésil?) rencontrent des difficultés. Et même le cours de l'or noir remonte !

La 3ème erreur de François Hollande est plus surprenante. De tradition social-démocrate, le président français reste marqué par les erreurs des deux premières années du premier mandat de François Mitterrand, quand il était jeune conseiller à l'Elysée : les nationalisations, la relance par la consommation, trop de mesures sociales coûteuses? S'il est social-démocrate, François Hollande l'est mais plutôt à la manière anglo-saxonne ou allemande, pratiquant plus que de mesure parfois le libéralisme économique afin de redonner confiance aux entrepreneurs. Candidat à la présidentielle, François Hollande avait déclaré que « son plus grand ennemi était la finance ». A peine élu, voila qu'il multiplie les cadeaux fiscaux aux entreprises, alignant 40 milliards de crédits divers à celles-ci, alors que la lutte contre les déficits budgétaires augmente sensiblement la fiscalité des ménages. Assisté de son nouveau Premier ministre, Manuel Valls et d'un nouveau jeune ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, tout aussi social-libéraux que lui, voilà qu'il détricote le code du travail, les retraites, la semaine de 35 h.., « trop de protections des salariés bloquent l'initiative patronale », au grand plaisir des entrepreneurs et à la grande rage des syndicalistes. On ne s'étonne donc pas que l'électorat de gauche qui recrute massivement chez les salariés et les fonctionnaires fait au mieux la moue, voire s'étrangle de colère et se réfugie dans l'abstention.

François Hollande peut-il aujourd'hui changer de politique ? Il n'en a guère le temps ni les conditions : la fin de mandat (deux années), sera marquée par les élections régionales où l'on prédit une nouvelle défaite à la gauche et la majorité actuelle commence à se frictionner sur les causes de l'échec. Mais, surtout, François Hollande semble sincèrement convaincu qu'il n'y a aucune autre ligne possible que la sienne. Mystère?

SARKOZY, LE RETOUR ?

A droite, la situation n'est guère meilleure. Si Nicolas Sarkozy a réussi à remettre la main sur sa formation politique, « l'UDF ? Les Républicains », il n'a pas encore convaincu les Français de l'intérêt de son retour aux affaires aux élections présidentielles de 2017 et n'en a même pas persuadé les dirigeants de son parti : Alain Juppé, son principal rival, est plus populaire et nombre de jeunes seconds couteaux s'agitent dans l'ombre ou publiquement, pensant d'abord à leur propre avenir politique. La gauche menant actuellement, peu ou prou, une politique économique et sociale de droite, l'opposition actuelle a quelque mal à inventer des solutions alternatives nouvelles et, bien sûr, encore plus libérales mais surtout, hélas, dépourvues de toute garantie d'efficacité.

De même, en cas d'alternance, les contraintes européennes joueront toujours négativement, tout au moins tant que la Commission européenne ne décide d'assouplir ses impératifs budgétaires et monétaires et accepte de sortir de son cadre dogmatique.

Une situation d'autant plus étrange que l'exécutif européen, la Commission européenne, est au-dessus de tout cadre démocratique : les instances européennes, à part le Parlement européen, sans aucun pouvoir, ne sont pas des instances élues et les citoyens européens ne pèsent nullement sur les décisions prises à Bruxelles ou Francfort, siège de la Banque centrale européenne.

Cette situation nourrit en France et ailleurs un sentiment croissant d'euroscepticisme. L'Union européenne qui avait un temps été vécue comme un dépassement de l'histoire et l'occasion d'une nouvelle croissance est aujourd'hui ressentie majoritairement comme un « machin » bureaucratique et autoritaire sans légitimité et loin des aspirations des gens. La sévère déculottée infligée de façon humiliante à la Grèce montre de surcroît que le « machin » est encore plus caricaturalement sévère et intransigeant pour les faibles et les petits, surtout quand ils sont pauvres?

REFORMER L'EUROPE ?

Tout cela explique un peu l'état d'esprit de nombre de mes concitoyens. Ils ne croient plus beaucoup dans l'Europe, ils ont été déçus par la droite, déçus par la gauche, toutes les familles ont vu leurs impôts sérieusement augmenter, elles connaissent toutes des problèmes de chômage, particulièrement chez leurs jeunes (25%, c'est le taux de chômage moyen chez les moins de 25 ans en Europe et en France).

Cela explique en partie, sans l'excuser, la montée du Front national, sur l'air du « on n'a tout essayé, ça n'a pas marché, alors pourquoi pas tenter ceux-là ? ». Mais si une partie de l'électorat français est tentée par le vote FN pour exprimer une opinion protestataire, une autre partie semble aujourd'hui convaincue du discours raciste et autoritaire de cette formation politique extrémiste. Ce qui est bien inquiétant pour le « cher et vieux pays ».

Du coup, on se prend à espérer que la grotesque querelle de famille entre les Le Pen père et fille, découragent les électeurs tentés et freinent un peu les plus enthousiastes.

Pour le reste, la prudence s'impose. Le retour à la croissance n'en pourra être, au mieux, que très progressif.

L'Europe fonctionne peu ou mal et la promesse de l'actuel Premier ministre, David Cameron, en pleine élections législatives anglaises, d'organiser en 2017 un référendum sur la sortie de Grande-Bretagne de l'Union européenne montre à l'évidence que le système communautaire se délite quelque peu.

Il faudrait réformer l'Europe ! Vaste programme? Pourtant, des aménagements doivent être trouvés rapidement si l'on veut maintenir un cadre unitaire entre l'Europe du Sud et de l'Est, qui subissent durement la crise et une Europe du Nord, politiquement puissante et qui ne s'en tire jusque-là pas trop mal : on aura le plus grand mal à maintenir un cadre unitaire autoritaire si les peuples ne sont pas traités de manière égale. Une réforme des mécanismes européens devrait également viser à une harmonisation des politiques extérieures, notamment au moment où de vives tensions se manifestent dans des régions frontalières du Petit Continent, qu'il s'agisse du Proche-Orient ou de la frontière russe (Ukraine).