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Réflexions décousues et colériques sur l'Armée Islamique

par Kamel Daoud

Des milliers de chrétiens et de Yazidi sont chassés de chez eux et dépossédés en Irak. Le monde de l'Islam ne bouge pas. Des milliers de musulmans sont dépossédés et chassés de l'Occident ? C'est le soulèvement. C'est la preuve que l'islamise a gagné nos esprits et a imposé ses optiques aux sentiments de solidarité. Il immobilise l'homme en l'homme et ne laisse place qu'au croyant et à ses optiques ou soumissions. L'Armée islamique tue en Irak l'humain, l'Irakien, le différent et enfin l'islam lui-même pour ceux qui le défendent comme choix d'une partie de l'humanité.

Les dieux tracent leurs frontières encore une fois. Avec nos sangs. Moments sombres, à regarder l'Armée Islamique de l'Irak tracer ce pays, le vider, le remplir de sable, vendre les femmes et lapider le corps. D'où viennent-ils ces montres ? D'un agrégat : images d'autrefois, films d'Errissala, argent des Saoud, guerre de Bush. Jamais l'échec du monde dit « arabe » n'a été aussi sinistrement illustré : incapable de rejoindre l'histoire, on bascule vers la préhistoire. L'armée Daech est fascinante. On le sait car si elle a émergé en Irak, elle est une virtualité partout. Dans son quartier comme dans les yeux de son voisin. C'est un basculement généralisé, à échelles diverses dans ce monde « arabe » et ses annexes. Pourquoi ? Parce que. Il fallait trancher. Le nœud gordien du monde « arabe » est sa religion. S'il ne le tranche pas, il tranchera sa tête et celle des siens. C'est la religion qu'il faut regarder en face, réformer, penser, délimiter et affronter. Il n'y pas d'autres moyens de le dire. Tout le reste est métaphore ou petites complaisances lâches ou calculées. C'est le religieux qu'il faut affronter sans culpabilité, sans sentiment d'avoir « trahis », sans violence mais avec force, sans agression mais avec fermeté. On a trop reculé, mal dit et dit avec trop de prudence. Et pendant ce temps là, en un siècle, Daech se fabriquait. Lentement, puisant dans nos échecs et nos décolonisations ratées, dans les frasques de nos régimes mais aussi dans les vieux livres et les vieilles images fantasmées. L'histoire la plus drôle et la plus tragique de l'islamisme est dans le sort réservé au réalisateur de son film culte « Errissala » : tué par les petits-enfants de sa propre fiction, lors du mariage de sa fille. El Akkad avait fabriqué les « Images » qui aujourd'hui servent de fiction à l'imaginaire du Djihadiste. On en retrouve les traces dans les folklores de ce courant, ses mots, ses récits, vêtement, pseudos d'émirs. Le culte par le remake.

Daeche peut être donc ce que l'on suppose : une manip, une milice, un jeu de sang ou une dérive, il est surtout le monstre d'une religion. Celle-là même que l'on veut cacher sous ses aisselles et lui faire éviter la critique, la lumière et la raison. Celle-là même que l'on veut préserver comme un totem et l'interdire au regard du monde sous prétexte d'identité, de respect des croyances, de réaction à l'islamophobie et au nom de la spécificité. Sous prétexte de respect on a interdit la réflexion. Et par démission, on a opté pour l'indifférence. Aujourd'hui, un monstre est né. Images sinistres : celles de chrétiens irakiens, même une dizaine, accueillis en France. Pourquoi sinistre ? Parce que le monde se vide de lui-même. Une cartographie se dessine. On aura encore Byzance d'un opté, les juifs de l'autre et l'islam entre les deux. C'est ce que veulent les Djihadistes : tracer leur géographie et l'imposer et ils y réussissent.

Le but est le monde. Mettre un désert dans chaque angle. Le monde se divise en trois : en haut à gauche, Byzance. La Rome qui tue et aime les colonnes. A l'est, la Perse. Le vieil empire qui adore un feu. Au centre El Qods et les juifs. L'agent Deach regarde et se souvient et rejoue son épopée imaginaire. Le monde était à lui - avant parce que Dieu était à lui. S'il reprend Dieu, il reprend le monde. Ou l'inverse. Le Djihadiste sait ce qu'il veut : « ouvrir » le monde. Dans la mythologie, les invasions musulmanes sont dites « ouvertures » / Foutouhates. Comprendre « délivrance ». Il délivre les autres même quand les autres lui disent qu'ils sont libres chez eux, qu'ils ont leurs dieux ou leurs croyances. Le djihadiste de Daech par exemple, croit servir Dieu mais il s'en sert. Sa guerre est une triste mécanique de butins : il ne convainc pas, mais il finit par vendre les femmes, prendre les maisons, forcer les conversions et chasser les différents. Où s'arrêter ? Là où le cheval ne peut plus marcher sur l'eau de l'océan. La frontière de l'entreprise du Djihadiste est tracée par l'impossibilité topographique. On le tuera en Irak, il renaîtra ailleurs. C'est un monstre. Ce qu'il faut tuer, c'est sa matrice.