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La naissance du « rap-fatwa»: Lotfi, fils de Chemsou

par Kamel Daoud

Les néo-islamistes ont, en Algérie désormais, leur journaux en Algérie, leurs cheikhs, leurs TV, leur serial-killers, leur tueurs aux Sud, leurs fiefs, leurs mosquées, leurs libraires, leurs magasins de mode voilée, leurs habitudes et leurs parages et leurs porte-voix et leurs adhérents, leurs banques, grossistes, émissions préférées et leurs slogans et leurs voitures et leurs avocats et leurs produits « made in islamia ». Il ne leur manquaient qu'un rappeur, il s'appelle Lotfi double canon, alias double fatwa. Pourquoi en parler aujourd'hui ? Parce que ce jeune homme algérien à la voix chaude et au texte autrefois intéressant, vient d'inaugurer le rap fatwa. La cible ? Sellal, le Premier ministre. La raison ? Non pas sa gestion, ses erreurs, ses choix, mais ses attaques présumées contre l'Islam. Rien que cela et cela s'appelle une fatwa et c'est la mode. Ce jeune chanteur est désormais lui aussi produit de cette « islamiserie » fumante et hypocrite qui sert d'idéologie de masse au régime et au bon peuple assis et que certains travaillent comme produit de rente et commerces. On ne reprochera pas à Belkhadem, l'ancien Premier ministre son sport favoris qui consiste à distribuer les passeports de Hadj car c'est hallal, mais à Sellal de vouloir relancer le loisir comme urgence nationale, de libérer des commerces ou de se moquer de ces petits fils ridicules du FIS qui se la coulent douce au Qatar.

Ce jeune chanteur est désormais le fruit d'une lourde tendance. Il avait commencé par la triste saga d'offrir des haut-parleurs aux mosquées avant de se décaler fils spirituel de Chemssou, l'imam loufoque d'Ennahar. Avant de finir sur la rap-fatwa, dernière étape avant le maquis. L'opposition, autrefois exercice de dignité et de valeur, devient un prêche et le nom de l'Islam devient prénom de milices. Et cela terrifie de voir cette jeunesse doucement dériver vers la chouroukisation. L'Algérie est malade de son âme, se retrouve coincée dans les fantasmes coûteux de l'anti-juif, du complot, de la paranoïa religieuse, de la secte, du tchador et des barbes sales et laides.

Hier, un jeune internaute posera la question du mois au chroniqueur : Noël est-ce licite ? Le mot « licite » est ici tragique. Voici des jeunes nés dans un pays libre qui ne s'interrogent pas sur l'usage des sachets bleus, sur la pollution, leurs droits ou l'avenir de leurs pays à eux et pas aux vieux, mais culpabilisent sur une fête au nom de l'identité et s'interrogent s'ils ont le droit de rire. Parce que dans le jeu de misères et de figurines, le barbu Noël est plus criminel que le barbu Chemsou ou le barbu Belmokhtar. Noël une fête étrangère ? Oui, mais est-ce le plus terrible dans ce pays que de fêter la chute des neiges au pôle Nord ? Ou est plus tragique d'arriver à fermer les yeux sur le pire de son réel pour s'interroger sur les calendriers du monde. Puisqu'on fête les dates de l'Arabie, pourquoi pas ceux des autres ?

« Toute fête est licite. Toute tristesse est illicite ». C'est la fatwa du chroniqueur.