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Décès de Henri Alleg : Un militant des causes justes s'en va

par R. N.

Le journaliste français et militant communiste Henri Alleg, et ancien directeur d'Alger Républicain, n'est plus. L'auteur de «La question», un livre-témoignage accablant, écrit en 1958, pour dénoncer la pratique de la torture en Algérie durant la guerre de libération nationale, est décédé jeudi à Paris à l'âge de 91 ans.  

Né en juillet 1921 à Londres, de parents juifs polonais venus ensuite s'installer en France, Henri Salem, dit Alleg, est arrivé en avril 1940 en Algérie et adhéra un an plus tard au Parti communiste algérien (PCA) dont il était membre au comité central jusqu'à sa dissolution en 1955. Il dirigea ensuite le quotidien «Alger Républicain», organe du PCA de février 1951 à juillet 1955, date de son interdiction. Il a été arrêté le 12 juin 1957 par les parachutistes de la 10ème DP en plein «Bataille d'Alger», au domicile de son ami et compagnon Maurice Audin, arrêté la veille et mort sous la torture, et dont le corps ne sera jamais retrouvé.

Henri Alleg a été torturé par l'armée française puis condamné, en 1960, par les autorités coloniales, à 10 ans de travaux forcés en France pour atteinte à la sécurité de l'Etat et reconstitution de ligue dissoute. Il s'évade de prison un an plus tard et regagne Alger. Il refonde alors Alger Républicain qu'il dirige jusqu'à son interdiction en 1965. Le défunt Henri Alleg, adhérent du PCF auquel il restera fidèle jusqu'à la fin de sa vie, a été journaliste à l'humanité de 1966 à 1980.

En révélant la machine à torturer de l'armée française en Algérie, le livre-témoignage de Henri Alleg, saisi au lendemain de sa parution aux éditions de Minuit, a eu un impact considérable. Il y détaille des longs mois de «séances» de torture. Le livre, qui avait été écrit clandestinement à la prison de Barberousse, a été écoulé à 65.000 exemplaires qui s'arrachèrent avant sa saisie le 27 mars 1958, provoquant un électrochoc en France. Quarante ans plus tard, Henri Alleg confiait à l'hebdomadaire l'Express: «Je savais que si j'étais arrêté, je serais torturé, j'y étais préparé (...). Je n'ai gardé aucune rancœur à l'égard de quiconque ; je considérais ces gens comme les instruments méprisables d'une politique». Alleg, écrivit le philosophe Jean-Paul Sartre, «a payé le prix élevé pour le simple droit de rester un homme» et l'écrivain François Mauriac parla d'un «témoignage sobre» ayant «le ton neutre de l'Histoire».

En 2001, Alleg témoigne aux côtés de la veuve du général Jacques Pâris de Bollardière, seul officier supérieur à s'être élevé contre l'usage de la torture, sur sa pratique institutionnalisée dans l'armée française pendant la guerre en Algérie, lors d'un procès intenté contre un autre officier supérieur, le général Paul Aussaresses, poursuivi pour apologie de crimes de guerre.

Cinquante ans après l'indépendance de l'Algérie (1962), le président François Hollande avait, fin 2012, reconnu solennellement devant le Parlement algérien les «souffrances que la colonisation française» a infligées au peuple algérien. Le chef de l'Etat avait à l'époque prononcé à plusieurs reprises le mot «torture». François Hollande a rendu hommage jeudi au journaliste militant qui «alerta sur la réalité de la torture en Algérie» et qui «toute sa vie lutta pour que la vérité soit dite».

La Moudjahida Louisette Ighilahriz a déploré la disparition d'un homme toujours engagé en faveur «de causes justes». «Je ressens une grande tristesse car Henri Alleg est mon frère spirituel et mon frère de combat», a déclaré Mme Ighilahriz. «On a été liés par une question dramatique et tragique: la torture pendant la guerre d'Algérie. Je ferai tout pour qu'une rue ou une place soit baptisée à son nom en Algérie», a ajouté Mme Ighilahriz.

Henri Alleg est «un militant comme il n'en existe plus beaucoup de nos jours (qui) a continué à se battre contre son AVC, survenu le 9 juillet 2012, jusqu'à son dernier souffle», a indiqué le directeur d'Alger Républicain, Zoheir Bessa. M. Bessa a précisé avoir rencontré Henri Alleg pour la dernière fois «il y a une année en France pour commémorer le 50e anniversaire de l'indépendance» de l'Algérie «Il avait pris la parole pour exprimer sa foi et sa conviction absolue que le socialisme finira par vaincre», se souvient-il.

Outre «La question» et un ouvrage sur la guerre d'Algérie, Henri Alleg avait publié plusieurs livres : «Etoile rouge et croissant vert» (1983) sur les républiques soviétiques d'Asie centrale, «S.O.S. America» (1985), «L'URSS et les Juifs» (1989), «Requiem pour l'Oncle Sam» (1992), et enfin «Mémoire algérienne» (2005).