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Ramadhan : Un marché à 350 millions d'euros en France

par Moncef Wafi

L'Islam en France, en plus d'être une équation politique et sécuritaire, est une affaire de sous. De gros sous. Ainsi, et en appoint du marché du halal, évalué à près de 4 milliards d'euros, en progression de plus de 10% par an, d'après une étude du cabinet Xerfi publiée en mars 2011, le Ramadhan vient renflouer les caisses des grands distributeurs français.

Le cabinet Solis, spécialisé dans le marketing et les « sondages ethniques » qui estime à 5,5 milliards d'euros le chiffre d'affaires 2010 du secteur du halal, supérieur à celui du bio ou du casher, évalue à près de 350 millions d'euros les dépenses alimentaires des ménages musulmans, en France, durant le mois de jeûne qui a débuté ce vendredi.

Estimés actuellement à 7,5 % de la population française, quelque 4,7 millions de musulmans dans l'Hexagone, composés à près de 70% par les Maghrébins, devront mettre la main à la poche pour augmenter en moyenne les dépenses des familles musulmanes de 30% durant ce mois. Ces dépenses concerneront pour l'essentiel les achats de viande, produits d'épicerie, produits laitiers, produits frais et les boissons alors que la demande sera entretenue et portée par une stratégie de vente « agressive » élaborée par les distributeurs. Ainsi, sera mise en place une offre de produits plus abondante dans les points de vente avec, de plus en plus, un soutien promotionnel visible à travers des mises-en-avant et des prospectus spécifiques de la part des distributeurs ou encore des campagnes publicitaires ciblant les médias communautaires (radios, Internet?), voire utilisant les supports des grands médias (télévision nationale et publicité extérieure notamment). Et malgré cette cagnotte, en ces temps de crise, les grandes surfaces françaises n'osent toujours pas communiquer explicitement sur cette fête religieuse. Pourtant, si des offres promotionnelles sont mises en place par les enseignes durant cette période, la quasi-majorité des grandes surfaces passent, comme chaque année, sous silence la spécificité religieuse de ce mois dans leurs catalogues publicitaires.

Selon Solis, hormis les achats de viande qui pèsent fortement dans le budget des ménages, 15 produits de consommation connaissent des courbes ascendantes pendant le mois de jeûne. Les produits saisonniers, associés traditionnellement au Ramadhan, à l'image des feuilles de brick, des dattes, du lait fermenté et des soupes traditionnelles du Maghreb, l'harira et la chorba, présentant un pic de ventes. Le caddie d'une famille musulmane est également chargé de sodas, colas, boissons fruitées, jus de fruits et des fromages à pâtes fondues utilisés dans l'élaboration de plats orientaux. Cette structure de consommation, selon Solis, varie en fonction d'un certain nombre de paramètres, l'âge et l'activité professionnelle notamment, qui vont influer sur les modes de consommation. A titre d'exemple, les 18 - 34 ans, achètent davantage de soupes préparées de type chorba ou harira, que leurs aînés qui élaborent encore ces plats à domicile. De même, les céréales et les cornflakes, les jus de fruits frais ou les yaourts, séduisent les plus jeunes, notamment pour le s'hour en place de la traditionnelle seffa. Pourtant, la crise économique est là et influe grandement sur un mois où les relents du scandale du halal sont malgré tout présents. En août 2011, le marché du halal est au centre d'un scandale relevé après la diffusion d'un reportage de la chaîne cryptée française « Canal+ ». Réalisé par Feurat Alani et Florent Chevollau, ce reportage de 52 minutes sur le business du halal et sa face cachée avait provoqué la réaction de la communauté musulmane en France et huit élus locaux musulmans avaient alors demandé la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire sur le marché du halal pour faire toute la lumière sur certaines pratiques commerciales qui « peuvent s'apparenter à de l'escroquerie publique, faute d'une législation claire et précise ». Pourtant, ce dossier traité par « Canal+ » n'est pas nouveau puisqu'en juin 2011, Kamel Chibout, alors président de la fédération régionale Grand-Est de la Grande Mosquée de Paris, la GMP, avait publiquement évoqué des « scandales liés au halal », lors d'une réunion à Lille. Une dénonciation qui lui a valu, selon Abdallah Zekri, membre du Conseil français du culte musulman, le CFCM, le dépôt d'une plainte de la part du partenaire de la GMP. Un partenaire mis en cause dans le documentaire, en même temps que les autres organismes certificateurs. En février dernier, le même Kamel Chibout, natif de Jijel, avait appelé les trois grandes mosquées, celles de Paris, Évry et Lyon, à prendre en main cette question du halal en créant une commission nationale qui travaillerait sur sa certification du halal. C'est dire si le secret sur les dessous du marché halal n'en était déjà plus un. Des secrets ou plutôt des dessous dévoilés lors de ce reportage décortiqué par son réalisateur Feurat Alani lors d'une interview accordée à Al-Kanz, un site communautaire dédié aux consommateurs musulmans. Ainsi, les musulmans français découvriront avec stupéfaction et indignation un véritable scandale lié au marché halal qui, de l'avis du réalisateur, engage la responsabilité de certains organismes de certification et à la malveillance, volontaire ou accidentelle de certains industriels qui se sont lancés dans le halal. « A vrai dire, il y a une véritable impunité dans le milieu du halal », assènera-t-il.