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Ils n'ont pas osé parachever leur coup d'Etat constitutionnel

par Kharroubi Habib

A la veille du second tour de l'élection présidentielle en Egypte, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) a opéré un coup d'Etat constitutionnel en dissolvant le Parlement dominé par les islamistes et en s'octroyant le pouvoir législatif jusqu'à l'élection d'une nouvelle Assemblée nationale. Il n'a pas osé parachever son coup de force en faisant proclamer le général Ahmed Chafik vainqueur de l'élection présidentielle.

S'il a envisagé de le faire, il en a certainement été dissuadé par le formidable rassemblement populaire dont la place Tahrir a été le théâtre. Une marée humaine déterminée à s'opposer à la falsification du résultat du scrutin donné favorable au concurrent du général Chafik, l'islamiste Mohamed Morsi candidat de la confrérie des Frères musulmans. Ce qui ne veut pas dire qu'en « respectant » le suffrage universel et consenti à la proclamation de la victoire du candidat des islamistes, l'armée égyptienne va se dessaisir de la réalité du pouvoir. Elle remettra certes symboliquement celui-ci à la fin du mois de juin au président élu mais sa réalité restera aux mains du CSFA qui s'est octroyé des prérogatives qui font du nouveau raïs égyptien même pas le ¾ de président que Bouteflika a refusé d'être chez nous.

Momentanément, la proclamation en Egypte de la victoire de Mohamed Morsi a fait baisser la tension politique dans le pays. Il ne faut pas pour autant croire qu'elle clôt l'ère des turbulences qui secouent « Oum dounia » depuis janvier 2011. Car à moins de se discréditer aux yeux des Egyptiens qui ont refusé qu'il soit spolié de sa victoire, Mohamed Morsi va devoir engager le bras de fer avec les militaires pour tenter de récupérer la plénitude des pouvoirs liés à la fonction présidentielle en Egypte. Autant dire que cela promet des étincelles entre lui et les généraux du CSFA. Le président élu a pour lui la légitimité démocratique et l'aspiration de la majorité des Egyptiens à une vie politique nationale qui ne soit plus sous la tutelle des militaires.

Mais les généraux ne reculeront devant ses « prétentions » s'il s'avise de les défier en se coupant des forces politiques et sociales nationales autres que celles du courant islamiste dont il est l'émanation. Pour ne pas provoquer cette coupure, il devra gouverner avec elles ce qui lui imposera une fois investi de leur donner des gages qu'il n'est pas assujetti à l'application d'un programme ayant pour but la concrétisation d'un projet de société islamiste dont près de la moitié des Egyptiens n'en veulent pas. L'écart extrêmement réduit entre son score électoral et celui de son concurrent Ahmed Chafik ne l'autorise pas à envisager une autre tactique. Mohamed Morsi en semble conscient à s'en tenir à la promesse qu'il a faite de constituer un gouvernement d'unité nationale allant des révolutionnaires de la place Tahrir de la première heure aux représentants de la minorité chrétienne copte en passant par ceux de toutes les sensibilités laïques et libérales que compte la société égyptienne.

Toute la question est de savoir s'il est déterminé réellement à croiser le fer avec les militaires ou si fidèle à la tactique du compromis qui a toujours été à leur égard celle du mouvement des Frères musulmans, il n'optera pour une démarche plus conciliante quant à la place et au rôle de l'armée dans la deuxième république égyptienne dont son élection est censée avoir inauguré l'ère. C'est dire que la vigilance des véritables acteurs ayant été à l'origine du mouvement révolutionnaire de janvier 2011 ne doit pas baisser parce qu'un président civil arrive au pouvoir, car cela ne signifie nullement le parachèvement du processus démocratique qu'ils ont enclenché et surtout pas la concrétisation des idéaux de liberté, de tolérance et de justice pour lesquels ils se sont révoltés.