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Travail des enfants: La plage? mais pas pour des vacances !

par J. Boukraâ

Beignets, galette, mhadjeb, cigarettes, sandwichs, thé, eau minérale, en passant par les objets de décoration fabriqués à base de coquillages, tout est proposé aux estivants par des dizaines d'enfants qui passent leurs vacances à travailler pour aider leurs familles et gagner quelques sous pour affronter les dépenses de la rentrée scolaire.

 Amine a quitté l'école à l'âge de 10 ans car il y était obligé. Aujourd'hui, il a douze ans. Rencontré à la plage de Madagh, le visage brûlé par le soleil, il fait des allées et venues sur le rivage de cette plage, pour vendre ses mhadjeb préparés par sa mère. Sous un soleil de plomb, ce jeune garçon ne porte même pas une casquette sur la tête qui peut le protéger des effets du soleil, et tente d'attirer l'attention des estivants pour vendre le contenu de son couffin, allant carrément vers eux pour leur proposer ses mhadjeb encore chauds. Amine a du mal à parler de ses déboires. «Je suis obligé de travailler pour répondre aux besoins de ma famille composée de six membres dont deux filles, un garçon, ma mère et mon père handicapé», nous révèle Amine. Comme tous les enfants, l'été est la saison tant attendue pour lui. Mais certainement pas pour les mêmes raisons, car pour lui il ne s'agit pas de détente et de vacances. Mais plutôt de doubler ses gains. «La saison estivale est la période propice pour récolter une bonne somme d'argent, pour pouvoir acheter les affaires scolaires et les vêtements pour mes frères pour la prochaine rentrée scolaire», indique-t-il. Il continue: ?la concurrence est rude. Plusieurs enfants de mon village essaient d'écouler leur marchandise et c'est à celui qui arrive le premier sur les lieux que sourit la chance? D'ailleurs on vient de Aïn Témouchent vendre ces beignets et mhadjeb ici à Madagh». Criant, ?mhadjeb, mhadjeb skhounine !», Amine nous quitte en quête de clients.

 Aujourd'hui, vendredi, la plage de Madagh connaît un afflux important de baigneurs. C'est une bonne journée pour Amine et les autres enfants comme lui qui sont nombreux. Ils n'ont pas droit aux vacances, à la plage, à l'insouciance et pas même à l'enfance. Les enfants sont entrés dans le monde des adultes avant même de vivre leur enfance. La plupart de ces enfants sont issus de familles très démunies.

 «Ces enfants se trouvent devant l'obligation de quitter l'école dès le jeune âge pour affronter un monde totalement différent et plein de dangers. Ainsi, ils subissent inexorablement la pression d'un univers nouveau dans lequel ils sont plongés sans être préparés pour cela. Ils sont contraints d'affronter les adultes, les concurrents, les délinquants?.», dira un psychologue.

 Beaucoup d'enfants habitant les environs et d'autres plus loin fréquentent les plages en été pour vendre quelque chose. Même les filles s'y mettent. Leïla, 11 ans, travaille pour sa part à côté de son frère aîné qui vend du thé chaud. Elle vient chaque matin avec lui pour vendre ses galettes pour ne repartir qu'en fin d'après-midi. Contrairement à Amine, Leïla vient de réussir à son examen de 5e année et compte rejoindre le CEM. «Je vends des galettes, ce n'est nullement par plaisir. Qui peut faire ça par plaisir ? Ma mère est seule à travailler et ne peut subvenir à tous nos besoins, à moi et mes frères. Pour l'aider, je travaille moi-même pendant les vacances. C'est mieux que de mendier !», dira-t- elle. Avant d'jouter: «une fois l'année scolaire terminée, je commence à travailler pour gagner de l'argent pour la prochaine rentrée et acheter aussi quelques habits».

 Ce qui soulève davantage d'interrogations, c'est la présence constatée de très jeunes enfants parmi les revendeurs, sur les plages, portant des couffins d'une dimension et d'un poids supérieurs à leurs capacités physiques. «Le fait de faire travailler un enfant à un âge aussi précoce où il devrait être en train de jouer et de s'épanouir, risque de lui porter tort et de le répugner à vouloir un jour un diplôme. C'est une responsabilité bien trop lourde pour des enfants. Elle est aussi dangereuse, et pour leur santé et pour leur personne», soulignera le même psychologue.

 Ce n'est pas uniquement en période de vacances que des enfants issus de familles pauvres travaillent, mais c'est à longueur d'année, notamment pour ceux qui ont quitté l'école prématurément. Les conditions de vie lamentables et les contraintes sociales les ont poussés jeunes vers le travail.