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LE «SOCIAL BUSINESS» MENACE

par Akram Belkaid, Paris

Existe-t-il un frein ou un contrepoids à l’expansion triomphante du capitalisme financier ? C’est la question qui mérite d’être posée en ces temps où l’Europe entière risque de sombrer dans la faillite en raison de ses difficultés budgétaires. Une mauvaise passe dont les causes profondes sont liées, faut-il le rappeler, à la crise de 2008, laquelle a été provoquée par les banques et les autres acteurs des marchés financiers. Le fait est que les pays de la zone euro ne sont pas à l’abri d’un grand krach alors que, dans le même temps, la fuite en avant des grands acteurs financiers reprend de plus belle.

La spéculation n’a pas disparu

Au total, ce sont près de 4.500 milliards de dollars qui ont été consacrés pour sauver les banques entre 2008 et 2010. On reste pantois devant ce chiffre et il est certainement nombre de Tunisiens et d’Egyptiens qui se disent, qu’en comparaison, le G20 aurait pu faire preuve de plus de générosité à l’égard de leurs pays engagés dans de vitales transitions démocratiques. Mais le plus important, quand on examine ce chiffre, c’est de savoir si le jeu en valait la chandelle ou pas. Certes, les banques ont été sauvées, leurs caisses ont été renflouées et elles se sont même remises à gagner de l’argent.
Mais, dans le fond, rien n’a changé ou presque. Les comportements spéculatifs sont loin d’avoir disparu, bien au contraire. On parle de nouveau de subprimes sur l’immobilier, de spéculation sur les matières premières agricoles et, dans les banques, le soi-disant encadrement des bonus est une gentille plaisanterie. Le capitalisme financier s’attaque même à des domaines que l’on croyait à l’abri parce que, justement, ils ont été conçus et développés pour être des alternatives à l’économie financière.
C’est le cas notamment de l’économie sociale et solidaire. Cette dernière constitue encore l’une des meilleures promesses en matière de rééquilibrage entre travail et capital. Aux quatre coins de la planète, le « social business », dont le credo est « ni profits pour l’entreprise ni dividendes pour les actionnaires », contribue à faire sortir des êtres humains de la misère en les insérant dans la vie active soit par le biais d’un travail, soit par le biais du micro-crédit. On le sait, cette forme de financement est particulièrement efficace dans les pays les moins avancés où le secteur bancaire n’est guère développé et où il rechigne à prêter aux plus pauvres.
Le problème, c’est que, là aussi, l’ingénierie financière fait des ravages. Des créances liées au micro-crédit ont été titrisées par des banques et des opérateurs financiers comme le furent hier les subprimes. Résultat, ce secteur connaît aujourd’hui de grosses turbulences, notamment en Asie où des organismes sociaux sont en quasi-faillite. De même, il faut savoir que des opérateurs du micro-crédit se sont introduits en Bourse, notamment au Mexique, et que les grandes banques d’affaires font le siège d’autres organismes similaires pour les convaincre de l’utilité d’aller sur le marché. Qui peut croire que l’on puisse concilier exigence de rentabilité et action solidaire et sociale ?

Un «social business» en danger

L’économie sociale et solidaire est donc en danger. Elle l’est d’autant plus que de nombreuses entreprises classiques y font désormais des incursions au prétexte d’actions caritatives et de volonté d’assumer une certaine responsabilité sociale. A l’heure où l’écart de salaire salariés et patron est de 1 à 1000 voire plus et que le salarié n’est rien d’autre qu’une variable d’ajustement (ce qui explique pourquoi les délocalisations continuent), on a tout de même le droit d’être extrêmement suspicieux à l’égard des bonnes intentions proclamées par ces entreprises. Et il ne faut pas compter sur des gouvernements totalement dépassés pour légiférer dans le sens d’une protection du « social business » contre les dérives du capitalisme.