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FATWA FOOT

par K.Selim

Pour le dernier vendredi de 2010, l'imam d'une mosquée de la capitale, dont nous tairons le nom, a choisi de faire fort et de frapper les esprits. Dans un style enflammé, il a décrété illicites beaucoup de choses qui, en raison de la langue quelque peu surannée utilisée dans le prêche, sont passées inaperçues. Le gros des fidèles n'écoutaient pas vraiment. Ils attendaient, stoïquement, que le prêcheur finisse et que vienne le moment d'accomplir la prière et de repartir. Mais l'imam avait dans son arc un coup de massue pour attirer l'attention - et une indignation inexprimée - en décrétant haut et fort que le football était haram, un péché, dont les adorateurs iront griller irrémédiablement en enfer.

 Combien y avait-il d'amateurs de football dans cette mosquée qui recevaient ainsi une fatwa définitive et une sommation de ne plus voir les Verts ou le terrible Barça ? Au bas mot, 95% des fidèles présents en cet ultime vendredi 2010, pris en otages par le verbe vindicatif d'un imam, encore trop jeune pour avoir acquis le minimum de sagesse qui commande d'éviter de faire des fatwas. Quelques-uns qui étaient dehors, sur les trottoirs, se sont levés et se sont éclipsés discrètement, décidant qu'ils pouvaient sacrifier une prière du vendredi menée par un imam aussi peu raisonnable. Mais le gros des fidèles ont entendu, contraints, l'argumentaire spécieux et par certains côtés loufoque de l'imam sur les raisons qui font que le football est un jeu diabolique. «C'est un jeu qui sème la discorde parmi les musulmans, il a été inventé pour ce but. Vous voyez, il y a deux camps, il y a une aile gauche, une aile droite, une attaque et une défense? ce sont donc des musulmans qui se font la guerre?».

 Après la mosquée, un jeune homme ne cachait pas sa colère. «Du temps du Prophète et des sahaba, on pouvait se lever dans une mosquée et dire à l'imam qu'il fait fausse route. Là, ce n'est pas possible. Il a le minbar, il a le pouvoir et il peut dire n'importe quoi sans se faire arrêter». D'autres faisaient valoir que le Prophète a incité les musulmans à faire du sport en demandant aux pères d'apprendre à leurs progénitures à nager, à tirer à l'arc et à monter à cheval? Certains, en furie, refusaient même de discuter ces «âneries» entendues à la mosquée.

 On ne sait pas si au ministère des Affaires religieuses on est satisfait du niveau des imams qui ont le «pouvoir du minbar». Mais en cet ultime vendredi 2010 où l'on s'attendait à des prêches invitant les musulmans à devenir meilleurs, à aider davantage les prochains, à mieux s'occuper de l'éducation de leurs enfants, à les inciter par exemple à faire du sport, on a dépassé toutes les limites. On est allé au-delà de l'indécence. A notre connaissance, même chez les ultra-rigoristes imams saoudiens, on n'a pas encore décrété que le football est haram et qu'il est un complot de l'Occident contre l'âme des musulmans. Vendredi, 95% des fidèles dans cette mosquée de la capitale ont constaté avec effroi que l'inculture avait le pouvoir sur le minbar.