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FLN : un parti hanté

par El Yazid Dib

Un parti n'est grand que par, d'abord, la grandeur de ses idées, ensuite de ses hommes et enfin de sa dynamique à pouvoir changer et bouger les êtres et les choses. Lorsque la vantardise empêche le bon sens d'unir la saveur du mythe à la réalité de l'erreur, le projet tardera à venir et le parti vacillera d'une rive à l'autre. Pris par un mauvais esprit, le parti est hanté.

La présence structurelle du parti semble donner, entre deux échéances électorales, l'impression d'une simple existence d'un néant dynamique, soit l'illusion de la coquille vide. Ce grand parti libérateur et rédempteur, artisan du sentiment nationaliste, ne serait-il plus habité par ces élans rassembleurs et unitaires de la composante patriotique ? Aurait-il subi, à l'instar d'autres corporations, le syndrome de l'usure et du vieillissement méthodique et fonctionnel ? Cet anachronisme, qui ne devait point sévir au sein des forces vives et centrifuges, serait pourtant devenu une nature essentielle pour le fonctionnement de tout l'appareil tant central que local.

 Si la libération du pays avait exigé dans le temps l'utilité nécessaire d'un front unique apte à pouvoir mener vers les rives de l'indépendance l'immense volonté populaire, il en serait un peu autrement après la période post-indépendance. Le parti se transformant en un appareil usuel de propagande commençait à se faire sortir de l'option politique qui devrait tendre à réunir davantage les potentialités managériales et gestionnaires. Il faisait plus dans l'inquisition que dans la persuasion politique. L'Etat se confondait dans la rigueur qu'exerçait par fonction non élective le commissaire du parti. L'administration ne trouvait issue que dans l'application de résolutions.

 L'unicité du parti n'avait rien apporté comme élément fondateur d'une nation si ce ne fut cette discipline quoique honnie, mais qualifiée d'indispensable pour éviter toute dérive. Le moindre vent de vouloir dire ou faire des choses en dehors d'un «cadre organisé» s'assimilait de facto à un acte contre-révolutionnaire. La démocratie n'avait qu'une signification occidentale et bourgeoise au moment où l'appropriation de l'outil de travail, la justice sociale et l'égalitarisme rimaient avec la négation des classes. L'embourgeoisement condamné à plus d'un titre sera, une fois la démocratie mise sur scène, un mode apte à appâter les foules et gagner, croit-on, l'estime de la populace. Les slogans d'à bas l'impérialisme et la réaction se tairont et les vociférateurs feront la chaîne devant les ambassades des pays qualifiés ainsi. Le Parlement en 1976 ne constituait qu'un regroupement de gens réunis pour la galerie tout en faisant office d'une preuve tenant lieu d'un amphithéâtre de libre expression dans le cadre d'une démocratie «responsable et organisée».

En fait de classes, elles n'avaient certes aucun statut juridique sauf que la réalité matérielle de certains pontes en disposait autrement. L'opulence ne signifiait pas un rang mercantile donné beaucoup plus qu'elle voulut signifier un état d'esprit. La division sociale n'était pas douée d'être perçue telle une expression justifiant l'option politique prise dans la théorie de la lutte des classes. La bourgeoisie d'alors se limitait à un affichage idéologique tacite et dissimulé, parfois contraire, dit-on, aux principes de la révolution populaire.

 L'édification nationale formée de tâches de grande envergure, tels que le barrage vert, la transsaharienne, le volontariat dans la campagne, devait se partager par tout un chacun, sans quoi les idéaux majeurs d'une révolution jeune et ferme n'auraient point eu les mérites dignes de la grandeur d'une Nation à peine sortie des affres séculaires de la dépendance colonialiste.

Ce fut un temps où l'engagement politique ne variait nullement de l'ardeur à pouvoir continuer la révolution autrement et sur d'autres fronts. L'école, la rue, l'usine et tout espace de la vie active ne pouvaient être extraits à un militantisme qui ne cessait de déborder jusqu'aux fins de tous les rouages institutionnels.

Le parti, qui, jusqu'ici, remporta la victoire sur un plan et la perdit sur tous les autres, se trouvait coincé entre les serres d'un système qui voulut en faire un simple mécanisme de règlement de compte historique. Tantôt il prêchait la bonne parole au profit d'un pouvoir, tantôt il faisait dans l'éloge et la déification de personnes. Il était ainsi devenu, au regard des foules, le réceptacle de l'échec de toute politique. Il jouait le rôle sans avoir en finalité le mot ou l'ultime mot. Dans cette lancée, le FLN ne pouvait survivre aux mites qui le rongeaient. Les figures de proue commençaient à lui causer une sérieuse hémorragie pour voir d'autres noms s'élever et s'ériger à l'avenir en des symboles incontournables dans l'échiquier politique algérien.

 Octobre 1988 ne fut, en d'autres termes, qu'un salut politique pour la résurrection du FLN. Jusqu'aux soupirs languissants de l'agonie organique, il lui avait permis, en fin de cheminement, un certain «ressourcement». Bien ou mal opérée, cette nouvelle démarche dynamique n'aurait pas réussi totalement du seul fait de l'insistance farouche et sournoise de l'ancienne garde. Manœuvrant à distance, les caciques ne lâchent pas les rênes qui les ont traînés aux zéphyrs de la gloire du jeune Etat. Les coulisses ne sont plus utiles, pour eux, plus que ne le sont les eaux troubles de ce qu'ils qualifieront de démocratie. Cette dernière est là, d'abord au service de leurs intérêts. Puis, elle aura à servir, dans un proche avenir, ceux de leurs relais que sont les futurs certains personnages politiques façonnés dans le côté cour de l'immeuble, côté infect de la corporation.

 C'est ainsi que l'on s'aperçoit, au fur et à mesure de l'effilement de toutes les élections, que les batailles dans le parti n'ont jamais pris l'allure de courants idéologiques contradictoires. Les conflits opposaient les personnes, les clans et les familles et non les idées ou la nature de projets sociaux. Sinon comment explique-t-on la levée de boucliers à chaque redéploiement du comité central ou à l'occasion de la distribution de postes clé dans le bureau politique qui revient allégrement en surface ? Il reste édifiant encore de pouvoir constater avec lassitude que même avec la survenance, d'ailleurs salutaire, d'autres associations politiques, le FLN tient, a contrario du discours à imposer, une caste au nom d'une légitimité, non plus historique mais militantiste. L'opportunisme est confectionné grâce à l'octroi d'une carte ou le renouvellement d'une autre. La lutte n'apparaît qu'autour de l'échéance de vote qui fera, croit-on toujours savoir, des hommes publics pour ceux qui ne sont que de quelconques noms usuels.

Le sens éveilleur de ceux qui ne vivent que par la légende, les rapports et la carte du parti, ne sera certainement pas capable d'entraîner, dans un élan enthousiaste, l'électorat. Comment une population locale, qui ne connaît de certains noms que l'habitude de les voir ressurgir aux moments opportuns, puisse croire le discours redondant tendant à faire du renouveau et du rajeunissement un credo sacro-saint du parti, nouvelle version, alors que le plateau candidatural qui lui serait présenté n'offre que du réchauffé ? Qu'ont-ils fait ces éternels candidats, ratés à tout métier, retraités précoces en perpétuelle attente de meilleures opportunités électorales ?

 Avec un personnel des années du parti unique, le FLN n'ira pas vers le fond philosophique de la démarche qu'il semble préconiser. Il demeurera otage des caciques et de groupes corporatistes fort jaloux envers toute «pénétration» extérieure. Faisant dans une nébuleuse volonté, sa propension de changement, il n'arbore qu'une démocratie de bavardage dénuée de toute logique propre à un parti où le centralisme démocratique est une règle d'or. La défection collective de militants, les démissions successives de chefs de kasma désavoués par la commission de wilaya dans l'établissement de listes n'ont cessé de mettre au jour le souci révolutionnaire Flniste qui vient déranger les opportunistes, les attentistes et les profiteurs sans idéologie ni conscience et dont l'unique but n'est autre que de continuer à se positionner dans un confort matériel singulier. Il aura, maître Belkhadem, à s'intéresser un peu plus et sans affinités aucune à «ses amis» ou à ceux qui crient qu'ils le sont. Lui le vieux routier, l'excellent coulisseur ne peut plier sous la pression des faux jésus et des anxieux du pouvoir. Que fait encore ce député importé et imposé d'une wilaya qui ne l'a jamais vu, même dans ces moments les plus significatifs ? Le 08 Mai.

 Par principe, par coutume «boulitique», il échoit au simple citoyen de juger juste à la lumière ( ?) du mandat électif en cours, les prouesses passives et actives des auteurs élus, qui ont causé l'érosion au crédit-confiance accordé aléatoirement au FLN. Ainsi, à travers le menu offert aux électeurs, la diversité des profils présente une indigence accrue en matière de valeur politique. Le plateau électoral à dévoiler lors des prochaines joutes aurait, et c'est déjà dans l'air de la pré-campagne, un goût insipide, fade et amer, tant les éléments le composant sont ou soit extraits des archives mouillées, soit intronisés nouvellement à la faveur toujours d'accointances claniques ou parentales.

Supplanté par ses arrière-gardes, le FLN n'entend pas se rénover. Il a la peau dure. Il ne devait ce respect quelquefois intact que par le mythe qu'il tente d'entretenir au moyen de recours itératifs et sans cesse rabâchés à la légitimité historique. Mais, en réalité, que lui reste-t-il de tout cela ? Il est hanté par les mauvais esprits. Il n'est plus le représentant du mouvement national, quoique s'essayant de s'inscrire dans une mouvance de démocratie et de modernisme. Développant un double discours, il tressaute tel un appareil en manque d'énergie et apporte jusqu'aux fonds du ridicule la preuve de la contradiction et de la chicane. C'est un mensonge, une vérité à peine croyable que d'avoir comme député une épave de 78 ans. L'on a l'impression que chez ce parti, tout fonctionne comme avant avec une certitude en bout qu'il ne faut pas le dire ou l'écrire. La cajolerie exercée envers les militants ne sera pas de la même conviction qu'exigerait un lectorat vif et vivace. Le plus grincheux des militants ne peut soutenir une liste imposée.

 La tentative, du moins déclarée, d'opérer la décantation menant vers un assainissement progressif des rangs tenus en tête par les vieux randonneurs du FLN, n'aura certainement pas lieu. Hélas, pour ce mouvement des premières heures! Patrimoine sans conteste de tous les Algériens, il ne peut demeurer otage de quelques scribouillards en mal de postes ou de considérations sociopolitiques. La restitution de ces trois initiales, confisquées sournoisement par des potentats ou des futurs néo-dinosaures, est à réclamer par tous au nom de l'Histoire, des martyrs et des profondes fibres de la Nation. Il restera tout de même ce parti d'avant-garde qui a su galvaniser à un certain moment le sentiment national. Il aura été, contre vents et marées, le catalyseur des efforts libérateurs et de l'emploi rédempteur pour le recouvrement de l'indépendance nationale. Comme il aura l'avantage du mérite de pouvoir continuer sa trajectoire non sans faire ablation de tous les microbes qui le gangrènent et faire table rase des méthodes inquisitoires qui l'abîment, des clans qui le minent et de la fourberie immorale qui gravite comme un essaim autour de son noyau dur. Si le rajeunissement pris en option dans la démarche du renouvellement des instances, la notion n'exprime pas qu'il fallait confier des tâches de commandement (el kiada) honorifiques à des gamins ou à des personnes quelconques et indifférentes. Aussi le renouvellement ne peut rimer avec la réincarnation des momies ou la réparation pâteuse des épaves retirées sans scrupule du cimetière politique.

Plus qu'un parti, moins qu'un Etat, le FLN était un mythe. Il peut être un producteur de noms mais il est surtout un chariot-élévateur d'hommes. Congrès contre congrès, on n'y efface pas. L'on recommence et on continue.

Il est des situations où l'homme militant n'arrive point à reconnaître la charte des droits et des obligations qui pèsent sur sa conscience d'homme ou de citoyen. Il ne saura admettre sans coup férir les blessures que causent l'interventionnisme et l'entrisme politique dans une corporation qui ne cesse de requérir un rajeunissement. De façade ?

Le FLN souffre de ses hommes. Ils lui font du mal autant que les pionniers lui avaient fait les signes de noblesse. Il endure à se voir vaciller entre le caprice d'un pouvoir perdu et la convoitise d'une démocratie étriquée. Il pâtit des aléas de ces apprentis qui, devenus maîtres sorciers, auraient terni sans nul état d'âme la figure emblématique d'un éminent symbole rattaché aux grandes luttes qu'avait connues le dernier siècle. Il est, hélas! aux prises de certaines mains qui ne servent qu'à réguler, en fonction des conjonctures, les faveurs des uns et les préférences des autres. Fier de son histoire, une histoire faite d'affliction et de lourdes épreuves, il se voit encore étendu vers les méandres des règlements de compte entre personnes dites de la seconde ou de la troisième voie. Hanté par des âmes moribondes qui rodent comme des figures fantomatiques, le parti se perd à coups de faux militantisme. L'insidieux serait dans la négation de soi avant que le ridicule ne s'installe dans celle d'autrui. L'Histoire retiendra, contre fous et flots fallacieux, un FLN d'hommes, baroudeurs, combatifs et martyrs.

Le FLN, si l'on en parle ainsi avec souvent moins de contrariété et plus d'écœurement, c'est qu'il n'est pas n'importe quel parti. Mais, par mésaventure, il entreprend à contenir en son sein n'importe qui. L'élite étant à la base ou en knock-out, la masse s'individualise et s'accroche pêle-mêle aux sommets.

Heureusement pour tous que le FLN demeure moralement un patrimoine national collectif. C'est un bien d'héritage que l'histoire de la lutte armée a greffé sans distinction aucune dans les parois de chaque cœur algérien.