Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La crise de l'Euro et nous

par Pierre Morville : Paris

Après quatre mois de tergiversations, d'hésitations coupables et d'âpres déchirements, et après une dernière semaine de franche panique dans les ministères comme dans les bourses, les gouvernements de la zone Euro ont, le week-end dernier, adopté un plan de sauvetage pour tenter de sauver l'Euro d'un vaste mouvement spéculatif ! Un énorme budget de 750 milliards de dollars, équivalent à celui consenti par les Etats-Unis pour sauver leur propre système financier?

 A peine les marchés financiers étaient le 11 mai «rassurés» par cette annonce, que de fortes inquiétudes pointaient dès le début de cette semaine. Pour finir hier, brutalement, sur un nouvel accès de faiblesse des bourses internationales ! Le climat est volatil, les menaces sont toujours là. Chacun a en effet pu constater que les principaux chefs d'Etat de l'UE ont eu beaucoup de mal à trouver des solutions communes. Les dirigeants européens ont ainsi été sérieusement troublés par le jeu très «solo» de l'Allemagne. Angela Merkel ne s'est résolue à accepter l'unité et la solidarité intereuropéenne que sous pressions explicites du FMI et de Barack Obama, tous deux inquiets des risques de contamination mondiale de la crise de l'Euro. De fait, la capacité d'une gouvernance économique européenne, indépendante et efficace, a pris un sérieux coup dans l'aile.

 Dans les autres sujets de crainte, les réactions justement indignées des «salariés-contribuables-européens» qui paieront, seuls, la note des folies financières et spéculatives : jusqu'où les peuples vont-ils accepter les programmes d'extrême rigueur qui se préparent dans toute la zone Euro ?

 3ème sujet de préoccupation : la spéculation contre l'Euro va-t-elle si facilement s'arrêter ? Celle-ci est muselée, au moins un temps. Mais cette hypothèse optimiste ne s'applique pas de toute façon à l'ensemble de l'Union européenne. Les 27 Etats-membres de l'UE sont en effet divisés en deux sous-ensembles distincts : 16 pays appartiennent à la zone Euro (L'Estonie devait l'intégrer le 1er janvier prochain), les autres, notamment à l'est de l'Europe, ont faute de résultats économiques suffisants conservé leur propre monnaie. Des mouvements spéculatifs pourront à leur tour durement les affecter : quelle solidarité aura alors l'Union européenne pour ces Etats-membres qui ont pourtant tous accepté des contraintes et des règles du jeu communes ?

 Plus généralement, la crise financière, les mouvements spéculatifs sur les monnaies ont déjà imposé des marques négatives sur l'économie : déficits budgétaires et commerciaux, contraction de la demande, faiblesse de l'investissement, ralentissement de l'activité avec une espérance de 1% de croissance, au mieux, pour l'UE en 2010?

 Le marasme affectera donc les 27 Etats-membres mais également les proches voisins de la zone géographique Europe, les pays candidats (Turquie, pays des Balkans) mais aussi les principaux partenaires méditerranéens hors UE qui font une part plus que majoritaire de leurs échanges avec l'Union, au 1er rang desquels les pays du Maghreb.

Union pour la Méditerranée : un choc supplémentaire

Dans un récent passé, des initiatives avaient suscité une espérance (Dialogue euro-méditerranéen en 1995, création des 5+5, lancement en 2008 de l'Union pour la Méditerranée?) : ils n'ont guère débouché sur des dossiers concrets ni sur des projets d'infrastructures d'importance, financés conjointement. De même, l'ouverture proposée ressemblait beaucoup à la création d'une zone de libre-échange (inégale et trop en faveur de l'UE) qu'à un véritable projet de codéveloppement «gagnant-gagnant» entre les deux rives de la Méditerranée. De surcroît, tous les chantiers esquissés (transports, eau, santé, agriculture?) reposaient sur des financements provenant principalement d'une économie européenne alors en croissance modérée? Il n'en est pas du tout de même aujourd'hui et dans cette situation, il ne faut pas exclure des réflexes protectionnistes de l'UE, soudains et mal maîtrisés.

 Doit-on pour autant renoncer à cette coopération économique vitale pour les deux parties ? Il émerge, plus qu'une mondialisation sans frontières et sans principes, de grandes zones géographiques de coopération économique en Asie, autour des Etats-Unis, en Amérique latine, là où se concentrent les échanges et les investissements. Le milliard d'individus est l'unité de compte de base de ces zones géographiques et économiques. Les 500 millions d'Européens n'y suffisent pas. En revanche, un marché intégrant l'Europe (avec la Turquie !), les autres pays de la Méditerranée, voire la Russie, peut former à terme une zone équilibrée économiquement et démographiquement.

 Dominique de Villepin, le 29 avril en Tunisie, va plus loin : l'ancien 1er ministre français proposait au Forum international du journal Réalités, une triple coopération ambitieuse entre l'Europe, le Maghreb et l'Afrique subsaharienne, partant entres autres du principe réaliste que les capitaux sont encore au Nord mais les consommateurs de demain (et les matières premières), toujours au Sud.

Enfin, la crise actuelle sonne-t-elle le glas de l'Euro et au-delà de la création de monnaies communes à des zones économico-géographiques ? Certes, la Banque centrale européenne, patron de l'Euro, n'a guère brillé par sa capacité à détecter les problèmes, anticiper et favoriser des solutions rapides. Mais, si l'Euro n'avait pas existé, quels que soient les défauts de sa gouvernance, les effets dramatiques des mouvements spéculatifs actuels sur les économies européennes auraient été bien plus dramatiques.

Cette spéculation internationale, par ailleurs, repose en grande partie sur des déséquilibres persistants entre les principales monnaies mondiales. La question des parités, notamment entre les deux rives de la Méditerranée, reste malgré le yo-yo des cours internationaux, d'une brûlante actualité. Certains évoquaient il y a trois ou quatre ans, l'hypothèse d'une entrée progressive des trois monnaies du Maghreb dans l'Euro *. La conjoncture ne s'y prête guère. En revanche, la création progressive d'un Espace économique maghrébin (EEM), comme support et complément d'une véritable UMP doit rester en débat, tout comme la proposition d'Othmane Benjelloun (PDG du groupe BMCE Bank ? Maroc) de créer entre ces pays du Maghreb une véritable monnaie commune.

* L'adoption de l'Euro par le Maghreb est-elle possible et souhaitable ? Jacques POIROT, Université Nancy 2 ? 2007-