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Belgique: Grave crise politique

par Notre Bureau De Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

A deux mois de la présidence tournante de l'UE, la Belgique s'offre une énième crise politique et institutionnelle. Le gouvernement de consensus d'Yves Leterme vit le risque d'une troisième chute? en moins de trois ans.

Depuis les dernières élections législatives de juin 2007, la Belgique vit une crise politique continue, marquée par des démissions successives de ses gouvernants. Le pays s'est même vu gouverné, entre décembre 2007 et mars 2008, par l'ex-Premier ministre sortant Guy Verhofstadt, alors que son parti politique, l'Open VLD (libéraux flamands), avait perdu les élections. Car le gagnant de l'élection de 2007, le leader des démocrates chrétiens (CD & V), Yves Leterme, n'avait pas réussi à former, comme de tradition en Belgique, un gouvernement de consensus avec son allié politique flamand d'alors, la NVA, parti nationaliste flamand. Passé l'intermède Vehofstadt, le 1er gouvernement Leterme est mis en place en mars 2008. Il chute, neuf mois plus tard, en décembre 2008. Lui succède un gouvernement de sa famille politique (CD & V) dirigé par l'ex-président de la Chambre des députés Herman Van Rompuy (devenu depuis président du Conseil européen). En novembre 2009, après la nomination d'Herman Van Rompuy à la tête du Conseil européen, Yves Leterme est rappelé une deuxième fois à diriger le gouvernement. Jusqu'à ce jeudi 22 avril 2010, où de nouveau il risque une troisième chute, après que ses alliés à la Chambre des députés, ceux de l'Open VLD (libéraux flamands), ont annoncé qu'ils quittent le gouvernement fédéral, avant de revenir tard dans la soirée sur leur décision en donnant un ultimatum au Premier ministre sur la question de la scission de l'arrondissement électoral de la banlieue bruxelloise de Hall et Vilvoorde, dit communément BHV.

 De quoi s'agit-il dans les faits ? Rien d'autre qu'une querelle linguistique doublée d'une recherche de réserve de voix électorales. Hall et Vilvoorde ce sont 35 communes regroupées dans 6 cantons électoraux, regroupés eux-mêmes dans un même arrondissement judiciaire et une même circonscription électorale. Plus compliqué que ça, il faut trouver. Ces complications cachent, en fait, toute la «guéguerre» identitaire et linguistique entre flamands néerlandophones et wallons francophones. Hall et Vilvoorde, situées en territoire flamand, sont habitées par une très large majorité de francophones (75 à 80%). Ils ont les droits de voter pour les législatives et les européennes avec les électeurs de la région de Bruxelles-Capitale. Les flamands demandent à ce que ces deux entités de Hall et Vilvoorde soient rattachées à la circonscription électorale flamande de la région de Louvain. Les francophones, majoritaire à Bruxelles (90% environ), souhaitent, au contraire, l'extension de la région de Bruxelles à la périphérie, c'est-à-dire à Hall et Vilvoorde.

 Autant dire que c'est un dialogue de sourds, et que l'ultimatum fixé à jeudi prochain par les libéraux de l'Open VLD ne sauvera pas le gouvernement Leterme d'une énième crise politique et institutionnelle. Le problème est que cette crise intervient à deux mois de la présidence tournante de l'Union européenne par la Belgique. Le 1er juillet, l'Espagne cédera la direction des affaires européennes à la Belgique. C'est d'autant plus caricatural que la présidence du Conseil européen (organe suprême de décision de l'UE) est assurée par le Belge Herman Van Ropuy, qui a eu à temporiser la crise de ce même gouvernement belge en assurant un «intérim» entre décembre 2008 et novembre 2009. Il est vrai que l'UE a déjà vécu une crise identique avec la démission du gouvernement tchèque alors qu'il assurait la présidence tournante de l'UE (janvier 2009 - juin 2009). Seulement, la crise financière internationale a eu le temps depuis le temps de mettre à rude épreuve les économies européennes et leurs stabilités sociales. L'UE ne peut se permettre une deuxième crise, ou de quelconques difficultés institutionnelles.

 Par ailleurs, les constitutionnalistes sont, avec le cas de BHV, devant une vraie interrogation. Peut-on au nom d'un principe démocratique sacrifier la survie d'un pays ou d'une communauté ? Car c'est de ça qu'il s'agit en réalité : la revendication électorale d'une minorité de flamands (environ 50.000) mettant en péril la survie de tout un pays qu'est la Belgique, avec des conséquences graves sur la gestion des politiques communes européennes. S'il faut trouver un consensus politique autour de la question de BHV, et les Belges passent pour être les spécialistes du consensus, ne faut-il pas laisser le temps nécessaire, le temps qu'il faut, sans attiser les querelles identitaire et linguistique pour de simples calculs électoraux ?