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Un nom, un lieu: Azza Abdelkader, un intellectuel engagé

par M. Kadiri

C'était au nom du parti UDMA, pour les Algériens, que cette victoire fut réalisée par l'accès de Azza Abdelkader au conseil municipal pour défendre la promotion des autochtones cantonnés au nord de la ville. Ce n'est pas, bien sûr, l'unique profil de Azza Abdelkader. C'était un intellectuel de renom. Il naquit le 5 décembre 1905 à Sidi Bel Abbès. Il grandit toutefois dans une atmosphère d'attachement aux racines tribales et culturelles. Le jeune enfant est, en ce début du 20ème siècle, parmi les très rares enfants indigènes à être admis à l'école. Faisant figure de privilégié, il fréquenta l'école primaire (école Marceau) de Sidi Bel Abbès, puis en 1927 des études supérieurs à la médersa d'Alger. Il obtient à 24 ans une licence d'arabe à la faculté de Paris et commence alors une carrière professionnelle comme professeur d'arabe à l'école Sonis. Puis on le retrouve comme professeur au collège colonial à partir de 1929. Il est alors le premier Algérien à occuper la chaire d'arabe dans ce collège, qui deviendra en 1936 le lycée Laperrine. Il restera enseignant dans ce lycée plus de vingt années. Sa carrière professionnelle commence donc en 1930, année au cours de laquelle les colons commémorent avec arrogance les fêtes du centenaire avec un faste provocateur. De façon générale, les populations algériennes vécurent ces fêtes avec un profond malaise. Même les rares bourgeois indigènes «intégrés» et les notables musulmans les plus acquis à l'administration coloniale ne purent cacher leur gêne et leur embarras devant l'étalage impudique des manifestations des colons. Cela est encore plus vrai pour Sidi Bel Abbès coloniale qui célèbre, en plus des fêtes du centenaire de l'occupation d'Alger, le centenaire de la Légion étrangère. Dans ce berceau de la légion, les manifestations sont encore plus arrogantes et plus provocatrices qu'ailleurs.



Le cercle musulman, les islahistes...



Le jeune Azza Abdelkader, comme les très rares lettrés et notables indigènes de la ville, vit l'étalage de la puissance coloniale comme une sourde et douloureuse humiliation. Un indigène lettré, aussi modéré fût-il, ne pouvait rester insensible aux provocations des colonisateurs qui rappelaient aux Algériens leur état de vaincus. Intellectuel indigène, il se posait, souvent malgré lui, comme le représentant de ses coreligionnaires. Et, de fait, dès 1932, en réaction probablement à l'attitude impertinente des colons, Abdelkader Azza sera l'un des fondateurs du premier cercle culturel musulman de Sidi Bel Abbès. On n'a pas assez d'informations sur les activités de ce cercle culturel musulman. Il a dû être très prolifique. Mais on peut cependant s'interroger sur les éventuels rapports qu'auraient eu ce cercle et le professeur Azza avec le mouvement islahiste, très dynamique à cette époque dans diverses régions du pays. C'est en effet à cette époque, 1934-1935, que cheikh Mustafa Benhalouche vient s'établir à Sidi Bel Abbès en qualité de Alem, chargé de propager la doctrine de l'association des Oulémas réformistes algériens. Le cheikh tentera de sensibiliser la population aux idées de l'islah. La population indigène, en majorité prolétarienne, était, dit-on, peu sensible aux discours des confréries maraboutiques, mais plus près des slogans de la CGT et du PCF-PCA. Feu Mustafa Benhalouche y anima toutefois de nombreuses causeries sur l'islam, l'éducation de la jeunesse, la nécessité d'apprendre la langue arabe et le Coran.



L'engagement pour la «chose politique»



Y aurait-il une relation entre cet enseignement du cheikh Benhalouche et l'initiative prise quelques années plus tard par le professeur Azza de lancer l'association El-Irfane pour venir en aide aux étudiants musulmans nécessiteux ? Quoi qu'il en soit, Abdelkader Azza, en dehors de ses activités culturelles, son activité politique n'était pas encore très définie. Il faut attendre la création de l'UDMA, en 1946, parti des notables et des intellectuels indigènes, et aux positions politiques modérées, pour voir Azza émerger.

Qu'est-ce qui explique cet attrait relativement tardif de Abdelkader Azza pour la «chose» politique ? A-t-il était choqué par les massacres du 8 Mai 1945 ? Probablement. Se sentait-il plus proche, intellectuellement, de ce courant modéré et moderniste ? Certainement. A-t-il été séduit par le nouveau programme politique développé par Ferhat Abbès ? Sûrement.

Le programme préconisait une solution pondérée au problème algérien: «Ni assimilation, ni nouveau maître, ni séparatisme. Un peuple jeune, faisant son éducation démocratique et sociale, réalisant son équipement industriel et scientifique, poursuivant son renouvellement intellectuel et moral, associé à une grande nation libérale».

Une année plus tard, en 1947, Abdelkader réussit à se faire élire au conseil municipal de la ville, où le maire communiste René Justrabo avait comme adjoints Azza, Goelli, Villela, Laguer, Benamou. Au sein de l'assemblée, il y avait Ben Hassaïni, Ouhibi, Elhaïna, Adim, Benali, Badsi, Abrouss et autres conseillers municipaux. L'activité du militant intellectuel Azza au sein du conseil municipal de la ville a été caractérisé par ses efforts pour promouvoir l'éducation et la formation de la jeunesse indigène. Les archives de la ville gardent le document de la motion proposée par Abdelkader Azza et adoptée le 15 avril 1947 par le conseil municipal de la ville. Le texte de cette motion nous renseigne sur la situation de la jeunesse indigène de la ville à cette époque et aussi des préoccupations qui agitaient à l'époque le professeur Azza: «Vous n'êtes pas sans avoir remarqué le grand nombre des yaouleds qui circulent à travers la ville, vivant livrés à toutes les tentatives malsaines, désoeuvrés, déguenillés, misérables, bruyants. Nul ne se soucie de porter remède à leur situation et tout le monde se plaint de leurs méfaits, de leur humeur chapardeuse, de leur effronterie, de leur insistance, véritable plaie sociale. Leur nombre va croissant d'année en année. Dans leur tendre jeunesse, ils n'ont pas trouvé place dans les écoles et des parents ignorants et insouciants les ont abandonnés à la rue. Ils ont conquis cette rue, les boulevards et les marchés, les cafés, la ville, toute la ville. C'est le tribut que paie au système colonialiste l'Algérie, qui devient progressivement un peuple de mendiants faméliques et misérables. De beaux projets touchant l'enseignement des Français musulmans ont vu dernièrement le jour. Ils concernent la jeunesse de demain, dont ils n'absorberont la totalité que dans vingt ans. Mais, pour le passé, pour le présent immédiat, l'administration n'envisage rien de précis, sinon des opérations policières. Elus conscients de la population, nous sommes obligés de nous pencher sur ce problème social de l'enfance déshéritée, de l'enfance malheureuse. L'enfance et la jeunesse, c'est le peuple, c'est l'Algérie de demain », clamait l'intellectuel, auteur de plusieurs oeuvres littéraires de renom, un legs à faire connaître. C'est l'un des objectifs de toute fondation dont une en gestation, et c'est également le vif souhait de la population locale, conclut-on.

Le militant et intellectuel Azza Abdelkader s'est éteint le mercredi 11 avril 1967. Il a été enterré le jeudi 20 avril après la prière du Dohr au cimetière de Sidi Bel Abbès. L'ex-lycée El-Djalaa (Laperrine) porte son nom depuis le 19 avril 1968.

En termes de productions littéraires, et en dehors de son activité avec l'UNESCO avec laquelle il a longtemps collaboré, feu Azza, qui a été docteur ès lettres à la faculté des lettres d'Alger, après avoir obtenu à la Sorbonne la mention «honorable», s'est livré à l'enseignement des sciences ethnographiques et ethnologiques.

Comme productions, on citera le roman «Le pacte de sang», SNED Alger, 1984. «Nouvelle nuit sur Mléta», paru chez Forge, juillet 1947, Revue périodique. «Mostefa Ben Brahim, Barde de l'Oranais et chantre des Béni Ameur», SNED Alger, 1979.