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Kristel, l'envers du décor

par T.Lakhal

Kristel, ses fontaines, ses jardins, son petit port et la mer comme seul et éternel horizon : l'image carte postale d'une localité longuement exclue de la marche du temps à cause justement de ce cliché.



En effet, les habitants de cette très splendide localité, plusieurs fois millénaire, n'apprécient pas tellement l'étalage d'une beauté surfaite car au fond il y a l'amertume et la mal-vie. Une région enclavée par la nature. La mer et la montagne en immuables sentinelles n'ont laissé aux hommes, très attachés au terroir, qu'un mince couloir pour vivre et survivre et faire et défaire la vie.

Jeudi matin, Radio El Bahia a réalisé un reportage de proximité sur cette localité dont les habitants ont beaucoup à dire, pour ne pas dire beaucoup à dénoncer. Le transport qui fait défaut entre la localité de 8.000 habitants et Gdyel, le chef-lieu communal est au centre de toutes les préoccupations citoyennes. Avec trois cars Hyundai et un Karsan, les dessertes ne peuvent être assurées d'une manière régulière, diront les citoyens, qui insistaient également sur le fait que les transporteurs ne démarrent que s'ils font le plein.

Le directeur du transport de la wilaya d'Oran, à ce propos, affirmera qu'il existe même une ligne entre Kristel et Oran mais qu'aucun transporteur n'a daigné desservir et, justement, les transporteurs qui font le «calage» comme désigné dans le jargon ne savent pas qu'ils perdent beaucoup plus qu'ils n'en gagnent.

A Kristel, il n'existe même pas de CEM, ce qui fait que les jeunes sont obligés de rallier Gdyel. Le maire, également sollicité, dira qu'un CEM sera bientôt réalisé au niveau de la localité. Le centre de soins n'abritant même pas de logement de fonction fait dire aux interlocuteurs qu'à partir de 16 heures et durant les week-ends c'est porte close.

«Ma belle-fille, faute d'ambulance, a accouché dans la voiture qui la conduisait vers l'hôpital », dira une habitante. Le maire expliquera que la réalisation d'une polyclinique exige que le nombre de la population soit supérieur à 25.000 habitants, ce qui n'est pas le cas avec la localité mais, toutefois, assure-t-il, une enveloppe de 150 millions de centimes vient d'être dégagée pour entamer des travaux de réaménagement dans l'actuel centre de soins. Le listing des manquements ne s'arrête pas là pour les habitants qui dénoncent également les grands camions chargés d'agrégats qui empruntent la principale artère traversant l'agglomération. Le passage de ces camions occasionne des dégâts irréversibles aux habitations qui présentent des fissurations et également aux détonations provenant de la mine qui jouxte le village et qui est à l'origine de la pollution et à l'amoindrissement de l'eau de source.

Le chômage sévit ici plus qu'ailleurs. Certes, certains jeunes reconnaissent avoir eu des embarcations de pêche par l'entremise du dispositif emploi de jeunes, mais la pêche artisanale à cause des multiples frais et aux intempéries qui interdisent la sortie en mer ne fait pas vive. Le délégué pour sa part dira que de nombreux jeunes refusent des emplois. Il expliquera également que le problème à Kristel est que tous les terrains appartiennent à des particulières d'où la difficulté de trouver des espaces pour la réalisation d'un centre culturel ou d'antenne de centre de formation professionnelle, tout comme le déplacement des habitations qui sont limitrophes à la mine Tazdoudj.

A Kristel, la réalisation du port de pêche est en cours. Les vergers sont aussi verdoyants comme toujours, mais ne font pas vivre leurs propriétaires qui voient encore avec amertume les sources qui ont de tout temps fait le charme de Kristel se tarir à cause du manque d'entretien. Ils ne verront plus le cerbah, cette anguille qui vit depuis la nuit des temps dans les sources. En ce vendredi matin, sur la minuscule placette du village, les légumes par tant d'éclat et de fraîcheur, étalés à même le sol, tout près de la source d'eau, donnent de la salive à la bouche. En attendant la réalisation peu probable de la route qui rallie à travers la côte Arzew ou bien d'élargir un peu plus la principale artère qui traverse la localité, les Kristellis se sentiront confinés dans un isolement le plus total qui n'est pas du seul fait des hommes mais aussi de la nature qui, en guise d'ultime consolation, leur a donné ce que les autres n'ont pas.